Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«Le jardinier des Molson»: une carte postale du front

Adaptation du scénario le plus ambitieux de Pierre Falardeau, ceest une bande dessinée essentielle qui devrait être inscrite à nos programmes scolaires d'histoire.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Si pendant longtemps le mois de mai au Québec a été le mois de Marie, le mois le plus beau (air connu mais sans doute oublié depuis une ou deux générations), c'est maintenant le mois de la bande dessinée, du moins dans les bibliothèques montréalaises. Un mois fertile en émotions dessinées qui culminera avec la 5e édition du Festival de la bande dessinée de Montréal les 27, 28 et 29 mai à l'Espace La Fontaine du chaleureux parc du même nom. Pour bien se préparer à célébrer le 9e art, voici deux suggestions de bd québécoises pas piquées des vers.

Le jardinier des Molson

Fin 1918, dans le nord de la France, les soldats du 22e bataillon sont en première ligne. La section du sergent Jules Simard remplace dans un poste avancé les «Poilus» pour quatre jours. Malheureusement pour les troupiers canadiens-français, les Allemands creusent une mine et empilent des tonnes d'explosifs sous le poste, histoire de le faire sauter quand l'occasion se présentera. Pour les gars de Simard, dont la vie ne tient qu'à une mèche, ce seront les quatre jours les plus longs de leur vie.

Adaptation dessinée du scénario le plus ambitieux du cinéaste Pierre Falardeau - qui ne verra jamais le jour, faute de financement - ce Jardinier des Molson est particulièrement réussi.

Implacable huis clos où chaque seconde devient une éternité, le drame de Falardeau est un poignant instantané de la vie quotidienne dans les tranchées, au cœur de la folie meurtrière de la Première Guerre mondiale. Un théâtre idéal pour pour une implacable remise en question de la société, du passé et de la place des Canadiens-français dans un empire qui les traite comme des moins-que-rien, des sous-hommes, des porteurs d'eau.

Alors qu'il aurait été facile de parodier le style Falardeau - nous avons tous notre vision du cinéaste polémiste -, Richard Forgues, qui a utilisé les plates-formes de sociofinancement pour produire ce projet, propose au contraire une vision qui épouse avec brio la signature, les dialogues et les préoccupations du cinéaste.

À travers les dessins de Forgues, ce sont les échos de la voix de Falardeau qui résonnent, le Falardeau humaniste, réfléchi, analytique, calme, dénonçant les injustices, assoiffé de liberté et de respect. Le Falardeau d'Octobre, du Party et de 15 févier 1838, pas le polémiste presque parodique qu'on aimait si souvent inviter dans les talk shows pour faire de l'audience.

Le trait de Forgues, qui n'est pas sans rappeler celui de Tardi et quelques fois de Pratt, sert à merveille l'intrigue de Falardeau. Réquisitoire émotif contre la guerre, le colonialisme et les puissants de ce monde qui imposent leur vision, Le jardinier des Molson frappe comme un puissant coup de poing, un témoignage vibrant d'une participation, imposée par une bourgeoisie anglophone colonisatrice et une élite collaboratrice, à un conflit impopulaire tellement loin de la réalité de cette poignée de Canadiens-français perdus dans un immense empire anglo-saxon.

Et même si quelques fois certains dessins sont moins assurés, la bande dessinée de Forgues, presque un storyboard, impressionne et fait réfléchir. Une bande dessinée essentielle, dans la lignée de celles de Tardi, qui devrait être inscrite à nos programmes scolaires d'histoire.

La femme aux cartes postales

Avril 1957, Saint-Émile-de-Caplan. Rosie quitte sur la pointe des pieds sa Gaspésie natale pour la Havane du nord : Montréal! Escale obligée pour tous les grands jazzmen américains et les grandes vedettes des États-Unis et de France, paradis pour le crime organisé qui y fait des affaires d'or, Montréal brille de tous ses feux. Talentueux, le trio de Rosie, Lefty King et Art McPhee s'impose rapidement comme l'incontournable de la scène montréalaise. Hélas, la popularité du rock 'n' roll naissant et la croisade pour la moralité dirigée par Jean Drapeau et Pacifique Plante auront bientôt raison des folles nuits de Montréal.

Pour Rosie, Art et Lefty commence un exil de ville en ville, à la recherche d'engagements, qui les mènera jusqu'aux nuits de La Havane de Batista, sur le point de céder aux irrésistibles mirages des Barbudos de Fidel. Une vie de tournées, une vie d'ombre malgré la lumière éblouissante des projecteurs, une vie de secrets bien gardés qui finiront par refaire surface en 2002 lorsqu'un étranger, à la recherche de ses origines, achètera la maison familiale de Rosie.

Nouvelle collaboration entre Claude Paiement et Jean-Paul Eid, après les deux excellents tomes du Naufragé de Memoria, La femme aux cartes postales est une fabuleuse illustration de la maturité de notre bande dessinée, qui n'a plus rien à envier à l'Europe ou aux États-Unis.

Paiement, un fabuleux conteur, nous guide dans les coulisses obscures du glamour, de ses paillettes et de ses sourires «Pepsodent», truffant ici et là, au détour des cases, des personnages mythiques de l'histoire culturelle québécoise. Claude Blanchard, Robert Charlebois et autres Lucien Rivard viennent au fil des pages faire un petit tour de piste.

Si Paiement excelle autant dans cette descente dans les zones plus sombres de l'âme humaine, là où se cachent les secrets les plus lourds de sens, c'est peut-être parce que Jean-Paul Eid a su la traduire avec nuance, intelligence et émotion. Sous sa plume le Montréal de Cotroni et La Havane de Meyer Lansky se parent de leurs plus beaux atours, témoignage évocateur des derniers moments de frénésie de deux métropoles sur le point d'adopter un nouveau visage. Avec sa judicieuse utilisation du noir et blanc, des fondus et des cartes postales, le père de Jérôme Bigras tisse une toile d'où s'échappent les notes des plus grands airs de jazz et les applaudissements d'un public enthousiaste.

Depuis Barney et la note bleue de Loustal et Paringaux, le jazz n'aura jamais été aussi bien traduit en bande dessinée.

• Pierre Falardeau, Richard Forgues, Le jardinier des Molson ;

• Jean-Paul Eid, Claude Paiement, La femme aux cartes postales, La Pastèque.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Les usagers du métro de Montréal en dessins

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.