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Yeruldelgger: le flic qui venait des steppes

À l'occasion de la visite de l'auteur aux derniers Printemps meurtriers de Knowlton, nous avons discuté avec le plus mongol des auteurs français.
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La planète polar se mondialise. Si, il y a quelques années, les États-Unis étaient le théâtre de prédilection des auteurs de romans policiers, nombreuses sont maintenant les autres nations qui s'imposent dans l'imaginaire des amateurs du genre. On pense bien sûr à la Suède, au Danemark, à l'Italie, au Québec, à la Nouvelle-Zélande et même à la Mongolie qui, sous la plume d'Ian Manook, prête ses steppes aussi superbes qu'impitoyables aux exploits du philosophe inspecteur bourru Yeruldelgger et à son équipe d'enquêteurs.

À l'occasion de la visite de l'auteur aux derniers Printemps meurtriers de Knowlton, nous avons discuté de son héros, du polar et de la Mongolie. Rencontre avec le plus mongol des Français.

Écrivain sans véritable culture polar - «j'ai arrêté d'en lire dans les années 1980» - Ian Manook, éditeur dans une autre vie, savait que l'imposante production «polaresque», l'obligeait à se démarquer. Or, comme son intrigue restait assez classique, trop pour surprendre les lecteurs exigeants que sont les amateurs du genre, Manook devait jouer sur une autre corde pour s'imposer. Et cette spécificité il l'a trouvée dans ses souvenirs de vieux bourlingueur.

«Je suis amoureux fou du Brésil, de Patagonie, de l'Islande, de l'Alaska et de la Mongolie. Mais, à part la Mongolie, tous ces pays étaient déjà au centre de plusieurs romans policiers. La Mongolie s'est donc imposée naturellement.»

Une excellente décision puisque, rapidement, le public et la critique sont séduits par ce pays aux mystérieuses traditions chamaniques coincé entre la puissante Chine et la non moins puissante, mais plus chaotique, Russie. Sans le savoir, Manook venait de mettre sa touche d'originalité dans le monde stéréotypé du polar. «Dans la culture chamanique les notions essentielles du polar - la mort, la violence, le destin - sont perçues et abordées différemment qu'en Occident. Du coup, cette approche donne une aspérité différente à mon histoire et à mes personnages.»

Le parfum titillant du mystère chamanique allié à la musique et à l'efficacité de son écriture font de ses romans de véritables «page-turners». Dès les premières pages, les mots de Manook vibrent aux rythmes des bruits, des parfums et des couleurs d'Oulan-Bator et des steppes mongoles du Khentii traversées par les vents sibériens de l'hiver ou cuit par le soleil insoutenable de l'été. «En arrivant à Montréal, j'ai reçu un courriel d'une lectrice mongole qui vit à Paris. Elle m'a écrit que mes romans lui rappelaient le parfum de ses steppes», souligne-t-il avec fierté.

L'auteur en profite au passage pour s'attaquer à l'image idéalisée de dernier vestige du paradis perdu accolée au nomade. «On ne peut pas voir le nomade comme un personnage débonnaire, un bohème romantique. S'il se déplace constamment, ce n'est pas par poésie, c'est parce que son environnement hostile l'impose. Si le groupe réussit à survivre, c'est qu'il respecte les traditions basées sur l'expérience», explique-t-il. «Si le milieu devient plus hostile, le groupe ne s'en remet pas. S'il devient moins hostile, le groupe se sédentarise, et c'est la même chose avec le respect des traditions», ajoute l'auteur, qui déplore l'aura romantique du nomadisme populaire chez une certaine gauche depuis quelques années.

«C'est pourquoi j'ai introduit le concept de bono, qui est la vision nomade du bourgeois bohème, c'est-à-dire un bourgeois qui devient nomade par choix intellectuel ou artistique, et non pas par obligation.»

Le terme est amusant, mais il décrit parfaitement le drame que vit présentement le pays de Gengis Khan, déchiré entre la tradition mal en point et les promesses de lendemains qui chantent la modernité. «C'est un déchirement qu'on retrouve chez tous les pays émergents, dont la Mongolie», renchérit Manook «Avec la richesse de son sous-sol, elle aspire à devenir un géant économique, mais le drame c'est qu'en même temps, les Mongols sont le dernier peuple nomade cavalier de la planète. Elle vit donc tiraillée entre deux extrêmes. D'un coté, elle est prête à sauter à pied joint dans le XXIe siècle, et de l'autre elle continue de vivre selon un mode de vie hérité de la tradition et destiné à disparaitre.»

Avec le résultat que la société se demande si, pour construire son avenir, elle ne doit pas sacrifier son mode de vie ancestral. «Il ne faut pas se leurrer, le seul modèle de développement qu'on offre à ces peuples, c'est le nôtre. Ils non pas le choix: soit ils sautent dans notre conception, soit ils sont mis de coté». En dehors de l'échiquier mondial, serait-on tenté de compléter.

Mais bien qu'il reconnaisse le rôle des pays industrialisés dans la déchirement social mongol, Manook évite de rejeter la faute sur les attraits des sociétés modernes. «Ce n'est pas la parabole dans la yourte qui diffuse Les Experts: Miami le soir qui tue le nomadisme. Les nomades se sont toujours adaptés aux innovations technologiques. Non, c'est la notion de revenu, d'argent et du petit capitalisme autour de la yourte qui le tue, qui détruit le ciment de la tradition, qui attaque le cœur de la structure économique du nomadisme», s'enflamme l'auteur, certain que le gouvernement de la Mongolie tente inconsciemment d'en finir avec cette structure économique.

«La Mongolie va garder bien sûr un petit nomadisme de carte postale et touristique parce que l'industrie touristique est économiquement un secteur important, mais j'ai l'impression que le gouvernement veut vraiment en finir avec le nomadisme.»

Un conflit que l'auteur traduit à merveille par sa confrontation entre Yeruldelgger et son adjointe Oyun. Et c'est cette préoccupation qui sera la trame de fond de la prochaine enquête de son Yeruldelgger. Un rendez-vous incontournable pour tous les amateurs de romans policiers, de thrillers et d'aventures.

Ian Manook, Yeruldelgger, Albin Michel.

Ian Manook, Les temps sauvages, Albin Michel.

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