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«La demoiselle en blanc»: de l'ombre à la lumière

de Dominick Parenteau-Lebeuf et Éléonore Goldberg est la bande dessinée qu'on doit absolument lire.
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Bonne récolte bd cette semaine. Deux coups de cœur viennent de s'emparer de la tête de mon palmarès de l'année.

La mort vous va si bien

Frank Kitchen est un redoutable tueur à gages, froid, implacable, efficace et discret. Confier un contrat à Frank est synonyme de réussite. Devant son taux de réussite élevé, son principal client, celui qui lui trouve des contrats, lui offre une somme mirobolante pour dégommer un certain Robert Chow. Hélas, rien ne se passe comme prévu et ce contrat qui devait s'avérer pépère dégénère rapidement en un coup pourri. Pour Kitchen, qui va de Charybde en Sylla, plus rien ne sera comme avant.

Deuxième collaboration, après Balles Perdues, du trio Matz, Jef et Walter Hill - oui, oui, le Walter Hill de 48 hours et du cultissime The Warriors - Corps et âme est sous l'apparence d'un polar classique une œuvre audacieuse qui bouleverse les codes du genre et qui guide subtilement le lecteur vers des chemins qui, à ma souvenance, n'ont pas été encore explorés.

Si les premières pages respirent la sempiternelle histoire du chasseur chassé, du tueur à gages devenu la proie de ses confrères - on a tous lu Mon 29e meurtre de Joey, publié en 1975 -, le reste de l'album, lui, surprend. Les auteurs proposent à la 40e page un coup de théâtre aussi surprenant que déstabilisant, qui nous pousse hors de notre zone de confort, qui relance l'intérêt de l'intrigue, et qui nous scotche sur notre siège jusqu'au dernier dessin.

Dès lors, tout est en place pour permettre au scénariste d'Alien d'exploiter les filons qui ont su si bien le servir au cinéma : testostérone, violence exacerbée, odeur de poudre, petits malfrats sans envergure, et cette Amérique sale, glauque, suintante du désespoir des perdants tragiques.

À la différence peut-être que, assisté par le dessin efficace de Jef et par l'adaptation rigoureuse de Matz - qui en connaît un bout sur les tueurs à gages, il a quand même écrit Le Tueur, publié chez Casterman -, Walter Hill ne tombe pas dans ses vielles manies. Exit la violence excessive qui frisait à l'occasion le grotesque. Le cinéaste propose au contraire une histoire serrée, captivante, intelligente et nuancée, sans les effets gratuits injustifiés et les excès déstabilisants dont il a fait si souvent usage au grand écran.

Espérons que sa version cinématographique attendue pour 2017 et mettant en vedette Sigourney Weaver et Michelle Rodriguez saura être à la hauteur de la bédé.

Le négatif de l'histoire

12 juillet 1932 : Raoul Hausmann, le légendaire photographe dada, père du photomontage, séjourne sur l'ile de Sylt, la plus grande des îles allemandes de la mer du Nord. Pendant son séjour, il rencontre une jeune adolescente anglaise en vacances, Nevi Morrisson. À la recherche de sujets à photographier, il décide de la prendre en photo alors qu'elle se promène sur les dunes qui longent la plage. De retour à Berlin, le photographe ne sait plus quoi faire de cette demoiselle en blanc qu'il finit par oublier dans sa chambre noire, trop occupé par son départ pour les Baléares et par sa fuite d'Allemagne, qui cède aux sirènes du nazisme.

Pourtant, la demoiselle en blanc n'est pas qu'un négatif anonyme. Elle a sa propre vie. Accompagnée de l'esquisse d'un chat dadaïste, elle regardera, à travers le puits de lumière de sa chambre noire, l'évolution de la société allemande, de la Seconde Guerre mondiale à la destruction du mur en Berlin, attendant le retour de son créateur.

Bande dessinée d'exception, La demoiselle en blanc est la bande dessinée qu'on doit absolument lire, une réflexion fascinante sur l'art - et si c'étaient les œuvres d'art qui nous observaient et non le contraire ? - et sur les événements marquants du XXe siècle. Adaptée de sa pièce de théâtre, la bande dessinée de Dominick Parenteau-Lebeuf explore avec intelligence et émotion notre perception des grands événements historiques que nous observons de loin, froidement, à travers la lucarne de nos petites boîtes à images, tout comme cette demoiselle en blanc qui regarde sans comprendre ce qui se passe.

Si la dramaturge nous propose un excellent récit, il faut toutefois avouer qu'il trouve dans le trait d'Éléonore Goldberg, à la fois imaginatif, séduisant, émotif, poétique et porteur de nostalgie et d'espoir, le parfait véhicule pour atteindre cette dimension supplémentaire qui permet à La demoiselle en blanc de devenir une œuvre incontournable, impressionnante, du genre de celles qui s'incrustent dans notre mémoire, dont on a envie de recommencer la lecture aussitôt la dernière page lue, dont on relit régulièrement des passages pour retrouver ces personnages devenus des amis

Peut-être qu'à l'instar de Louis, ce Québécois qui s'enticha de cette demoiselle en blanc lors de son passage à Berlin-Est, assez pour vouloir la retrouver quelques années après la chute du mur, je suis moi aussi tombé sous son charme ? Je ne sais pas, mais en tout cas, c'est ce que je vous souhaite.

• Walter Hill, Matz, Jef, Corps et âme, Rue de Sèvres.

• Dominick Parenteau-Lebeuf, Éléonore Golberg, La demoiselle en blanc, Mécanique générale.

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Mai 2017

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