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«Cinq branches de coton noir»: rencontre avec l'incontournable de l'été

L'été commence en force avec cette excellente bande dessinée signée Sente et Cuzor.
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Et si, sous une des 13 étoiles blanches de la Star-Spangled Banner originale se trouvait une noire, dissimulée par une couturière afro-américaine qui avait participé à la fabrication de la première mouture du célèbre drapeau. Et si, par un tour du destin, comme il sait si bien le faire, ce drapeau se retrouvait caché quelque part dans le fin fond de l'Allemagne nazie. Et si, des soldats de couleur étaient dépêchés derrière les lignes ennemies pour rapatrier cette relique qui pourrait jouer un rôle notable dans la longue marche des Noirs pour la reconnaissance de leur apport dans la construction de la nation américaine. La proposition est intéressante et fait saliver les amateurs de quêtes, de complots et d'histoire alternative occultée par l'officielle. Eh bien, c'est justement ce que nous offrent Yves Sente et Steve Cuzor dans la très excitante Cinq branches de coton noir, la bande dessinée de l'été, de celle que l'on doit absolument lire. À l'occasion de la visite de Cuzor au dernier festival de bédé de Montréal, nous avons rencontré le Rennois d'origine qui nous parle de sa bédé et de ses États-Unis.

Dupuis

Digne héritière de la grande tradition de la bande dessinée populaire de qualité, Cinq branches de coton noir désarçonne constamment le lecteur en l'envoyant sur des pistes qu'il n'avait jamais cru explorer. Alors qu'il pouvait dès les premières pages s'imaginer être dans une histoire à la Glory le lecteur se retrouve au cœur du processus d'indépendance des 13 colonies américaines et du rôle joué par les Afro-Américains. Alors qu'on croyait à un remake « black » du Monument Men de George Clooney, « on nous fait souvent cette comparaison. Or nous avons commencé le projet bien avant la sortie du film. Ça m'a pris 4 ans pour faire l'album et Yves Sente avait écrit l'histoire deux ans plus tôt avant de me la proposer. Mais par contre il avait été intrigué par le bouquin de Robert M. Edsel qui a donné à Clooney la matière pour son film, » les deux bédéistes proposent un regard fascinant sur la longue marche vers l'égalité des Noirs américains, la quête ne devenant qu'un prétexte pour une réflexion sur leurs conditions de vie à travers deux époques et trois théâtres différents.

Roberr Edsel

Une stratégie pleine de risques, mais qui atteint sa cible grâce à l'immense talent d'alchimiste des deux auteurs qui savent concocter la recette parfaite pour garder le lecteur en haleine sans jamais le perdre dans les méandres des nombreux retours en arrière.

Le scénario ingénieux de Yves Sente, qui comme le bon vin se bonifie avec le temps, gagne en profondeur, en force et en dynamisme grâce au talent indéniable d'un Cuzor en totale maitrise de son trait, qui sait composer des ambiances évocatrices – le froid qui se dégage de sa tempête de neige nous rappelle nos pires hivers – et des personnages à la Milton Caniff, forts en gueule, aux faciès impressionnants, fait du même moule que les acteurs légendaires d'Hollywood, d'ailleurs on retrouve au fil des pages Sammy Davis Junior, Robert Ryan et plusieurs autres gloires du cinéma américain de la grande époque. « Caniff, Joe Kubert, Alex Toth, les écoles espagnole et argentine dont Alberto Breccia, m'ont influencé. Ils savaient raconter une histoire avec un minimum de moyens. Je ne suis pas un partisan des prouesses techniques. Je ne veux pas devenir un grand dessinateur, je veux raconter mon histoire le plus efficacement possible.»

Mais plus que cette quête admirablement dessinée, du matériau avec lequel on forge les grandes aventures, c'est le regard que les auteurs portent sur la société américaine qui est fascinante, un regard ni tout à fait noir, ni tout à fait blanc, très loin du mythe et des raccourcis qui nourrissent souvent les bandes dessinées franco-belges qui se déroulent aux États-Unis. Un regard lucide dû à l'expérience du bédéiste qui dans une autre vie a été cowboy de rodéo sur les routes arides et suffocantes du Texas. « Je parle des États-Unis parce que je les connais. Ses odeurs, ses couleurs et les relations entre noirs et blancs me sont familières. Tout n'est pas blanc ou noir aux États-Unis et j'essaie dans mes différentes bédés d'en présenter un portrait plus humain, plus nuancé, moins caricaturé. L'Amérique qui m'intéresse ce n'est pas la blanche ou la noire, c'est celle entre les deux, c'est celle où les blancs et les noirs ne sont pas à l'abri de s'entendre sur des points qui devraient en principe les séparer. »

Dargaud

Fasciné par le « Deep South » américain de la première moitié du siècle dernier ( Blackjack,O'boys, etc.,) - « j'ai un penchant pour ces périodes de crises et de guerres. Ce sont des moments où les gens se mettent à espérer et sont prêts à se battre pour le changement. C'est à travers ces événements qu'on se rend compte de l'espoir, pas en temps de paix où on s'endort un peu » - Cuzor trouve dans ce Cinq branches de coton le véhicule parfait pour nous démontrer non seulement que l'Amérique n'est pas automatiquement celle que nous imaginons, mais qu'il est un des incontournables de la bande dessinée et un auteur à suivre de près.

Casterman

Assurément, l'été commence en force avec cette excellente bande dessinée signée Sente et Cuzor.

Cinq branches de coton noir de Yves Sente et Steve Cuzor est publié chez Dupuis.

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