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Mathilde Ramadier: la cérémonie des adieux

Une bande dessinée biographique coïncide avec le 25e anniversaire de la disparition du célèbre philosophe Jean-Paul Sartre.
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Intellectuel marquant du XXe siècle, Sartre est aujourd'hui presque oublié d'une partie de la population. Réduit à quelques formules-chocs, à son image médiatique et à la nostalgie populaire du bon-temps-de-la rive-gauche-de-la-Seine, on oublie qu'il fut une personnalité riche, entière, éprise de liberté et complexe.

C'est justement ce Sartre, emblématique de ce XXe siècle déchiré par les extrémismes, les idéologies et les révolutions technologiques, médiatiques et des idées, qui est le cœur du Sartre de Mathilde Ramadier et Anaïs Depommier, une bande dessinée biographique qui coïncide avec le 25e anniversaire de la disparition du célèbre philosophe.

S'attaquer à un personnage aussi complexe que Sartre aurait pu en faire reculer plus d'un. Pourtant, le choix était naturel pour Mathilde Ramadier. «C'était une évidence. Je venais de terminer ma maîtrise de philosophie sur lui. Et comme les bandes dessinées biographiques commençaient à être populaires, je me suis dit que ça serait intéressant d'en faire une sur lui, d'autant plus que sa vie est fascinante, riche et mouvementée», explique la scénariste.

Rapidement, elle se trouve confronté au même dilemme que tous les autres biographes rencontrent: adapter la vie au complet, au risque d'exploiter outrancièrement l'ellipse ou, au contraire, se concentrer sur un moment évocateur et le fouiller.

«C'est vrai qu'au début je pensais adapter La cérémonie des adieux de Simone de Beauvoir, qui raconte les vingt dernières années de la vie de Sartre, alors qu'il est malade et qu'il commence à perdre un peu la tête. Le livre est un émouvant au revoir. Mais l'adapter aurait signifié pour le lecteur l'absence des moments fondamentaux de la vie du philosophe.»

Or, sa vie est passionnante. Trop passionnante pour tenir dans un seul album, et ce, même si la bédé fait près de 160 pages. «Il a fallu faire des choix, utiliser plusieurs ellipses, choisir égoïstement les moments qui me touchaient le plus et que j'avais envie de transmettre.»

Tout cela pour tracer un portrait à la fois proche et différent de celui retenu par l'histoire. «C'est très difficile de restituer la vie de quelqu'un. Il y a autant de visions que de biographes.» C'est d'autant plus vrai quand on travaille sur un monument. «On a tous lu un livre de Sartre, on l'a tous abordé à travers sa philosophie, son théâtre, sa littérature», explique l'auteure, qui a longtemps hésité avant de choisir le titre de sa bédé. «Je voulais qu'elle se nomme Sartre, mais je voulais qu'elle comporte un sous-titre. Je ne voulais pas qu'on pense que c'était LA biographie. C'est une biographie sur Sartre parmi tant d'autres.»

Un avertissement d'autant plus important que depuis longtemps une image officielle, composée de phrases et d'événements chocs du père de La Nausée s'est imposée dans la mémoire collective. «Effectivement, et nous nous sommes frottés à cette vision, quelques fois pour la conforter et d'autres fois pour la confronter et la déboulonner, et ce ne fut pas toujours facile.»

Toutefois en évitant l'utilisation de «l'enfer c'est nous autres», «je suis, j'existe» et ces autres formules tellement utilisées qu'elles ne signifient plus rien, en occultant des événements importants mais hyper-médiatisés, comme la première représentation de Huis clos, les auteurs présentent un Sartre plus personnel, différent d'une définition «wikipédienne.»

«C'est justement pour offrir cette autre vision de Sartre que nous avons misé sur des anecdotes moins ou peu connues du public.»

D'autant plus qu'à travers le philosophe, c'est tout une époque qui fait encore rêver et qui reste toujours parmi les attraits touristiques parisiens les plus populaires - je le sais, j'y étais il y a quelques semaines. On pense à Saint-Germain-des-Prés, au Café de Flore, aux Deux Magots, mais aussi à Boris Vian, Albert Camus, Jean Genet, et à combien d'autres qui, à un moment ou à un autre, on fait partie de la famille «sartrienne».

«Sartre était le pivot central de cette petite bande. Il n'était pas marié, n'avait pas d'enfant, mais il adorait être entouré, rencontrer des gens. C'était une sorte de super-papa.» Un véritable aimant, un catalyseur généreux qui attirait autour de lui les intellectuels et les artistes les plus prometteurs. Même si, à l'occasion, certaines relations, comme celles avec Albert Camus ou encore Jean Genet, se sont mal terminées. «C'est un de ses paradoxes surprenants. Autant il pouvait être fidèle en amitié, autant il pouvait être fourbe. Dans le cas de Genet, il s'est servi de ses confidences pour écrire une psychanalyse existentielle sur l'auteur des Bonnes.» Un calcul du philosophe ou tout simplement un comportement naïf de la part d'un apprenti sorcier qui jouait avec des forces qui le dépassaient? Une réponse que la biographe n'a pas.

Mais, malgré cette part d'ombre, il reste que son Sartre est lumineux, plein de contradictions, certes, mais fascinant. Un philosophe adoré des médias qui a ouvert la voie à tous les Bernard-Henri Levy de ce monde, un universitaire qui a concilié discours et action, qui a su descendre dans la rue. Mais aussi un être profondément blessé par son physique, qu'il considérait ingrat. Un personnage complexe qui ne cesse de nous surprendre et qui nous réserve encore bien des surprises.

Anaïs Depommier, Mathilde Ramadier, Sartre, Dargaud.

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Oups petite erreur dans la chronique de la semaine dernière. Je ne parlais pas du XIX siècle mais bien du XXIe siècle. J'espère maintenant que je n'aurais pas à visiter un des cercles de l'enfer décrit par Dante pour cette erreur.

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