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«Le magicien de Whitechapel»: le chant du cygne de Benn?

Il faut donc que les conditions de création se soient énormément dégradées pour que plusieurs créateurs mettent en dilettante leur passion pour lorgner vers d'autres professions.
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Dire qu'il se publie beaucoup de bédés, beaucoup trop même, - 3923 albums entre le 1er novembre 2014 et le 31 octobre 2015- est une lapalissade. Dire que cette surproduction ébranle une industrie déjà fragilisée par une baisse de lectorat est aussi un autre lieu commun qui a été archi évoqué. Il n'y a rien de nouveau là-dedans, on en parle depuis plusieurs années. Mais, curieusement, même si la crise est abordée dans les médias on ne souligne que très rarement ses répercussions sur les conditions de travail des bédéistes. Pourtant, il est de moins en moins rare d'entendre un bédéiste annoncer ou envisager de remiser ses pinceaux. Une remise en question qui touche autant les nouveaux auteurs que les plus établis. C'est le cas d'André Benn qui vient pourtant de publier le deuxième tome de son excellent Magicien de Whitechapel. À l'occasion de la sortie québécoise de Vivre pour l'éternité, deuxième acte de sa trilogie, Benn nous a parlé de son avenir incertain dans un 9e art en plein bouleversement. Il y a quelque chose de pourri dans le royaume des petits Mickeys.

Rien pourtant ne présageait cette confidence de la part du père de Mic Mac Adam, sa série la plus connue. La conversation autour de son nouvel opus allait bon train quand, au détour d'une question sur son assurance graphique et narrative, le bédéiste natif de la magnifique commune d'Ixelles lance tout de go sa surprenante révélation. « C'est dommage parce qu'il y a des chances que ça s'arrête là. Je suis à un tournant de ma vie. J'ai maintenant 65 ans et je ne sais pas si je vais continuer de faire de la bédé », révèle le dessinateur.

« Actuellement, le monde de la bande dessinée me déçoit. J'ai toujours réussi à en vivre, mais là ça devient très difficile et ça ne m'intéresse pas d'avoir de la difficulté à joindre les deux bouts. » D'autant plus que le dessinateur est reconnu pour le temps qu'il met à réaliser ses albums, 6 ans pour sa nouvelle trilogie. « Je me suis toujours fait un point d'honneur de faire les meilleures bédés possibles et ça prend du temps faire une bonne bédé. Ça ne m'intéresse pas de faire une mauvaise bédé juste pour gagner rapidement de l'argent. Je préfère prendre ma retraite plutôt que de bâcler une bande dessinée », renchérit celui qui craint à la longue un appauvrissement du 9e art.

Il faut donc que les conditions de création se soient énormément dégradées pour que plusieurs créateurs mettent en dilettante leur passion pour lorgner vers d'autres professions. « Je serais toujours un bédéiste, je dessinerais toujours. Je ne pense pas qu'on puisse abandonner son métier. J'ai même un projet pour un nouveau Mic Mac Adam. Mais voilà, je n'ai pas envie de le faire avec les éditeurs actuels », explique le dessinateur qui a fait ses premiers pas dans une autre époque, presque révolue, celle des éditeurs familiaux, aux structures plus humaines, qui connaissaient et aimaient les auteurs et les bandes dessinées qu'ils publiaient.

« Pour moi, il n'y a plus d'éditeur maintenant, il n'y a que de grands groupes médiatiques. Les gens qui représentent les maisons d'édition dans ces grands groupes sont obligés de performer, de faire le plus de ventes possible. » Ce qui se traduit par cette surproduction qui inonde le marché serais-je tenté de compléter. « Ça fait des années qu'on dit qu'on est sur le point de frapper un mur. Eh bien, on est arrivé à ce mur! »

Toutefois, malgré ce qu'on pourrait croire à la lumière de ses propos, Benn refuse de rejeter toute la responsabilité de la crise aux seuls éditeurs. « Je ne pense pas que ce soit la faute du représentant de mon éditeur. Ce n'est pas lui que je blâme. Il est difficile de trouver un responsable. Ce qui se passe dans la bande dessinée c'est ce qui se passe partout sur la planète. »

Une constatation qui, loin de satisfaire le bédéiste, nourrit ses interrogations sur sa place et son avenir sur la planète bédé et sur le futur d'un 9e art devenu obèse et beaucoup trop gros pour la véritable capacité de son marché. « Il y a beaucoup trop de bandes dessinées qui sont publiées. Il y en a de très mauvaises, mais il y en a aussi de très bonnes et des remarquables. Alors je pense que si je cesse d'en faire les lecteurs ne le remarqueront pas », soutient-il avec une pointe de résignation dans sa voix.

Et si jamais le dessinateur décidait de mettre fin à une carrière qu'il mène depuis les années 70, il aura au moins eu la chance et l'élégance de la terminer sur un coup d'éclat avec son Magicien de Whitechapel qui aura fait découvrir à plusieurs amateurs, dont moi, une nouvelle facette de son travail. « Je préfère me retirer sur un bon bouquin plutôt que d'en faire un mauvais. Mais, soyons positifs, il se passera peut-être quelque chose qui permettra de rétablir la situation », conclut le bédéiste avec le ton de celui qui aimerait bien y croire.

Benn, Le magicien de Whitechapel 2 tomes déjà parus aux éditions Dargaud;

Alors que le Salon du livre de Montréal cogne à la porte, on connait enfin le récipiendaire du premier prix de la meilleure bande dessinée québécoise de l'Association des critiques et des journalistes de bande dessinée. Jimmy Beaulieu et ses Aventures, éditée en Europe chez Les Impressions Nouvelles, verra donc son nom briller au panthéon des bédéistes auréolés du prix de cette prestigieuse association. Félicitations au gagnant et aux finalistes.

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