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«L'art de Morris»: hommage au «poor lonesome writer»

À l'occasion du 70e anniversaire de Lucky Luke, nous avons rencontré Stéphane Beaujean, auteur deet commissaire de l'exposition du même nom.
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7 décembre 1946 : dans le but de présenter de nouveaux bédéistes belges, les Éditions Dupuis lancent l'Almanach 1947, un numéro hors-série du Journal de Spirou. Au fil des pages, les lecteurs découvrent les futures vedettes du 9e art : Eddy Paape qui reprend Jean Valhardi ; André Franquin qui présente Spirou et le tank ; et Maurice de Bevere, alias Morris, qui propose Arizona 1880, où un petit cow-boy à l'imposante mèche rebelle poursuit trois braqueurs de diligence. Première apparition d'un Lucky Luke qui l'accompagnera tout au long de son parcours vers le panthéon des bédéistes légendaires.

Légende, certes, mais discrète et sans reconnaissance officielle de la part des spécialistes et des exégètes du 9e art. C'est maintenant chose faite avec L'art de Morris, une superbe exposition présentée jusqu'au 25 septembre à la Cité internationale de la bande dessinée de l'image d'Angoulême. À l'occasion du 70e anniversaire de Lucky Luke, nous avons rencontré Stéphane Beaujean, commissaire de l'exposition et auteur de L'art de Morris, publié chez Dargaud. À la recherche du «poor lonesome writer»...

«Si on a pris autant de temps à le reconnaître c'est peut-être parce qu'il fait partie de ces grands techniciens qui se sont mis au service de la bande dessinée. Il n'a jamais eu de prétentions artistiques comme Hergé ou Franquin, du moins il ne s'en est jamais vanté. Je crois qu'il se voyait plus comme un artisan que comme un artiste.»

Une attitude qui a surement contribué à cette méconnaissance par l'intelligentsia du 9e art, tout comme son allergie à la vie publique. Discret, effacé, il n'aimait pas particulièrement être sous les projecteurs et se méfiait du discours savant sur la bande dessinée ou sur ses créations.

«Pourtant Morris connaissait très bien la bande dessinée mondiale, il a même fait des conférences sur l'histoire du 9e art. Mais dans les entrevues qu'il donnait, il ne parlait que très rarement de son parcours, de sa vie et de son travail», explique le journaliste bd, qui rappelle qu'Angoulême lui avait consacré, il y a plus d'une quinzaine d'années, une exposition plutôt controversée, qui ne contenait ni planches, ni dessins originaux, qui avait déçu autant les néophytes que les aficionados, et qui ne rendait pas justice à ses grandes qualités graphiques.

«Morris refusait de montrer ses planches. Il les gardait cachées, personne ne pouvait les voir. Et contrairement à Hergé ou à d'autres, on ne pouvait pas en retrouver ailleurs. Sa famille possédait presque 100 % de sa production.»

Si la première exposition présentait des ratés, ce n'est pas le cas de celle-ci, puisque les commissaires ont réussi à convaincre ses ayants droit de prêter planches et documents originaux. «Après sa mort, sa famille a changé d'avis. Elle a compris l'importance pour les artistes de bandes dessinées d'être présents dans les musées et d'avoir un discours critique sur leurs œuvres.»

Très influencé par le dessin animé de Disney et les strips américains, dont le Popeye de Segar, Morris tente d'intégrer le rythme, le dynamisme et l'efficacité de la narration du dessin animé et du strip à sa création. «Dans les premiers Lucky Luke, il y a effectivement ces influences. Il ne fait pas du dessin animé en bande dessinée, mais la technique du dessin animé lui a permis de trouver une méthode pour raconter en bande dessinée. On parle souvent du dessin animé parce qu'à ses débuts, il voulait être animateur, pas dessinateur de bédés. Pendant 8 ans, la bande dessinée ne sera pas un vrai projet pour lui. Il pense faire ça en attendant.»

Ces années lui permettent de peaufiner et d'affiner son style, son univers et ses personnages, et de se confronter à ses limites et à certains défis insurmontables : adapter son dessin, hérité de l'animation, à la bande dessinée, trouver un style à son héros et à sa série, transposer le western dans des romans jeunesse à une époque où toute violence est gommée par la censure. Et c'est sans compter sa fâcheuse tendance à faire disparaître tous ses vilains, ce qui l'oblige à trouver constamment de nouveaux malfrats et à réinventer son univers. «Il peine beaucoup à trouver de nouveaux méchants. Il a par exemple regretté d'avoir tué les Dalton. C'est pour ça qu'il va aller voir Goscinny. D'ailleurs, c'est ce dernier qui saura le convaincre de ressusciter les Dalton sous la forme de cousins.»

Pourquoi Goscinny ? Parce qu'il le connaît bien, qu'il a en haute estime la qualité de ses scenarii, et qu'il a une excellente connaissance de l'Amérique où, tout comme Morris, il a séjourné plusieurs années.

Il décide alors de lui confier les scénarios. En Goscinny, Morris trouve le partenaire parfait qui saura amener le cow-boy vers de nouveaux pâturages. Toutefois, le dessinateur garde la direction du tandem. Exit l'exubérant scénariste qui signait Astérix et autres Iznogoud aux innombrables jeux de mots et aux gags «gérardouryesques». Goscinny adopte un humour plus discret, moins éclatant. «La collaboration n'est pas la même. Astérix, Iznogoud et ses autres histoires sont ses créations, ce qui n'est pas le cas de Lucky Luke. Ici, il s'est mis au service de Morris. Et ce dernier gardait toujours la décision finale. Quand il n'était pas d'accord avec une idée, il la changeait. Quand il avait une meilleure idée, il la mettait. Ce qui l'intéressait, ce n'était pas tant le dessin ou le scénario, que la mise en scène. Il a très souvent trahi celle proposée par son scénariste», conclut le journaliste en nous recommandant chaudement de lire Le cavalier blanc, une de ses aventures préférées et la preuve pour lui de l'importance de la mise en scène chez le créateur.

Une suggestion qui ne tombera pas dans l'oreille d'un sourd.

• Stéphane Beaujean, Jean-Pierre Mercier, L'art de Morris, Dargaud.

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Oups, petite erreur dans la chronique de la semaine dernière. L'intégrale du Séraphin illustré n'est pas une nouveauté mais une réédition d'un bouquin paru lors de la sortie du film de Charles Binamé. Mécanique générale a profité de la popularité de la nouvelle mouture télé pour ressortir cet excellent album. L'avare fait encore parler de lui, bouleau noir !

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