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Alive : scènes du grand cirque du rock’n’roll

Une grande déclaration d'amour envers le rock comme on n'en voit que trop rarement.
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Il y a quelque chose de fabuleux dans le rock, le vrai, pas celui des musiciens en mal de succès qui flirtent avec lui occasionnellement. Il y a cet esprit de contestation bien sûr, mais aussi ce rejet des conventions, cette intransigeance lapidaire et ce besoin de détruire le passé pour reconstruire le présent. Véhicule essentiel dans la quête identitaire de la jeunesse, le rock est, à l'image de l'adolescence, une révolution permanente, avec son lot d'incohérences, de générosité, de cruauté et d'égocentrisme, nécessaire et peut-être même sauveur.

I know it's only rock'n'roll...

On parle beaucoup cette année du cinquantième anniversaire du « Summer of Love», pinacle de la vision hippie d'une contre-culture trop souvent réduite à cette image. Si on célèbre avec panache cet événement, on commémore moins le 40 du « Summer of Hate», ce fameux été marqué par l'explosion occidentale, mais qui couvait depuis déjà quelques années, du punk et par la violente réaction britannique envers le God Save the Queen des Sex Pistols, ultime provocation d'un groupe, qui en avait déjà beaucoup à son actif, considéré cette année-là comme plus détesté du Royaume-Uni.

Perrin

Cet été de la haine est un des nombreux aspects abordés par Caroline de Kergariou dans son excellent, No future une histoire du punk, une rétrospective critique de ce mouvement musical, qui a littéralement balafré le visage d'un rock trop lisse qui s'institutionnalisait inexorablement. 548 pages de pur plaisir où l'auteur avec sa langue vivante et imagée, à l'image du journalisme gonzo dont elle adopte l'efficacité du «storytelling» et la vivacité de la langue - certaines phrases comme sa description de l'ineffable Shane MacGowan talentueux leader des Pogues reconnu autant pour ses chansons que pour « son effroyable dentition qui évoque un vieux cimetière anglais ravagé par un tremblement de terre » sont de véritables petits bijoux - éclaire le mouvement punk sans complaisance, célébrant ses bons coups comme le DIY, soulignant ses contradictions internes, plusieurs des influenceurs punks loin de venir du prolétariat sont plutôt issus des classes supérieures comme Joe Strummer des Clash, fils d'un diplomate, mettant en évidence l'onde de choc qu'il a provoqué dans l'industrie musicale. Comme on reconnait tous qu'il y a eu un avant et un après Elvis, à la lecture du bouquin on est convaincu qu'il y a aussi eu un avant et un après punk.

À partir des témoignages de ceux qui l'ont vécu, d'articles de journaux et d'exemples évocateurs, l'auteur aborde avec le même plaisir et la même fougue autant le punk anglo-saxon, que ses variantes francophones et européennes, notamment celles des anciennes républiques satellites de l'URSS, sa philosophie, ses caractéristiques et son héritage. Et si on peut lui reprocher quelques interprétations psychanalytiques un tantinet «flyées», un des défauts du journalisme gonzo, et à l'occasion le verbiage caractéristique des journalistes musicaux branchés, sans pour autant, il faut le reconnaître, tomber dans une segmentation outrancière des tendances musicales, le bouquin est passionnant du début à la fin et se lit comme un roman, l'auteur racontant avec verve et passion cette fabuleuse épopée.

Editions Allia

Avec l'essentiel Please Kill Me de McNeil et McCain il s'agit sans contredit du bouquin le plus passionnant et le plus complet que j'ai lu sur ce mouvement.

...but I like it, I like it, yes, I do.

Il est très difficile pour un journaliste de bien traduire en mots l'essence du rock, son urgence de vivre, son incontrôlable folie nourrie aux hormones et à la testostérone, comme si notre vocabulaire et nos règles grammaticales freinaient toute la charge émotive d'une chanson de Springsteen, d'un riff déchaîné d'AC/DC ou d'un solo «destroy» de Motörhead. Il y a bien sur ces journalistes gonzo, Lester Bangs, Nick Kent, Greil Marcus et autres Simon Reynolds, qui ont su reproduire dans leurs phrases la séduisante sauvagerie musicale des enfants d'Elvis, mais généralement les journalistes échouent, n'en traduisant qu'une infime partie.

Ce qui n'est pas le cas du dessin, qui lui semble être beaucoup plus proche de la substantifique moelle du rock. Enfin, c'est ce que je ressens chaque fois que je lis du Frank Margerin et son incontournable Lucien, Hervé Bourhis qui a fait de véritables petits trésors avec ses bédés sur le rock et Luz, qui depuis plus de 20 ans capte, pour le compte de différents imprimés, des instants de rock dont une sélection vient d'être publié chez Futuropolis.

Futuropollis

Grand rockeur devant l'Éternel, Luz est régulièrement envoyé depuis 2002, dans les différentes manifestations rock d'ici en France et ailleurs, histoire de saisir l'émotion du moment, celle que les photographes de presse ne peuvent pas emprisonner sur la pellicule, qui traverse la scène et électrocute autant les musiciens que l'audience. Avec son dessin cru, sans filtre, imprécis, mais énergique, quelques fois déstabilisant ou bavard, mais toujours fascinant, nourri aux sonorités des rythmes bestiaux, de la sueur et de la sensualité «rock'n'rollesque», Luz traduit, mieux que les mots et la caméra, l'énergie dévastatrice et la folie hypnotique du délirant cirque du rock'n'roll.

Plus qu'un autre bouquin sur le rock, Alive est avant tout et surtout un témoignage de sa relation amoureuse avec cette musique qui le fascine depuis que ses parents l'ont amené, gamin, à d'incroyables concerts rock.

Plus qu'un autre bouquin sur le rock, Alive est avant tout et surtout un témoignage de sa relation amoureuse avec cette musique qui le fascine depuis que ses parents l'ont amené, gamin, à d'incroyables concerts rock.

Une grande déclaration d'amour envers le rock comme on n'en voit que trop rarement.

Caroline de Kergariou, No Future, une histoire du punk, Perrin.

Legs McNeil, Gillian McCain, Please Kill Me, l'histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs, Éditions Allia.

Luz, Alive, Futuropolis.

Avril 2018

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