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Dépasser les bornes, est-ce méchant?

Quelle légitimité reconnaître à l'insulte? La solidarité idéologique et la ligne de parti exigent-elles vraiment d'aller aussi loin dans l'attaque de l'adversaire?
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Une enquête nationale concluait récemment à une diminution de la violence dans les écoles du Québec. Moins de menaces et d'affrontements, moins d'insultes et d'intimidation. Bien. On dit souvent, par ailleurs, qu'en matière d'éducation, l'exemple vient de haut : des parents et de la famille, des éducateurs et des entraîneurs sportifs, des milieux de travail, des médias, etc.

L'exemple vient aussi parfois des plus hautes autorités, comme à l'Assemblée nationale où siège une classe privilégiée de parlementaires. Les débats publics qui s'y tiennent doivent théoriquement obéir aux règles de respect des adversaires et de la procédure. Mais que les esprits s'échauffent, et fusera aussitôt et à vau-l'eau la violence verbale - insultes et insinuations - entre les élus.

Pour preuve, les propos acérés de la députée Carole Poirier accusant le gouvernement actuel de s'être employé «à mettre en œuvre des actes de violence et de discrimination sexiste qui peuvent être physiques, psychologiques, verbaux, économiques, sexuels, sociaux et politiques» envers les femmes du Québec.

Est-ce juste et vrai? Non. La pente est savonneuse et le propos démesuré.

Est-ce insultant? Oui, assurément. On insulte ici pour écorner l'image du gouvernement et mettre à mal l'intégrité de ses ministres.

Le poids de cette affirmation est écrasant et, sur le «fond» de l'énoncé, aucune concession ni excuse ne viendront. La députée et son chef admettront plutôt une «malencontreuse métaphore».

Était-ce bien là une métaphore ? Non, bien sûr. L'accusation est brutale et lancée pour être crue, telle quelle, sans aucune transposition possible (ce qui est le propre de la métaphore).

La métaphore propre à l'enjeu actuel serait la métaphore guerrière qui convertit certains élus - femmes et hommes confondus - en de véritables combattants, certains plus ou moins habiles à composer avec l'adversité. On s'arme de mots chargés émotivement et on tire dans toutes les directions possibles. Normal, direz-vous? Certes, dans la mesure où les débats parlementaires s'inscrivent tout de go dans une dynamique hautement compétitive. Ces p'tits coups de force rhétoriques seraient de «bonne guerre». Guerre des mots et luttes des places!

Quelle «légitimité» reconnaître, cependant, à l'insulte dans cette lutte acharnée pour le pouvoir? La solidarité idéologique et la ligne de parti exigent-elles vraiment d'aller aussi loin dans l'attaque frontale de l'adversaire?

Les analystes du discours s'entendent pour dire que l'insulte et l'enflure verbale charrient souvent le désir de vaincre à tout prix. Et plus l'environnement est polarisé - il faut choisir son camp et s'y tenir - plus le risque de violence verbale est élevé. Mener la charge, asséner le bon coup au bon moment, voilà la stratégie virile pour marquer les territoires et départager les créneaux politiques.

Les partisans-combattants qui montent alors au créneau peuvent parfois dépasser les bornes, jouer avec les règles du jeu parlementaire. L'idée directrice est simple : gagner et dominer l'autre parti. L'autre tout court, à l'école comme ailleurs dans la société. La psychologie sociale a beaucoup à nous apprendre sur les raisons et les effets délétères d'une hostilité mal contenue. Où est le «mal», cependant, d'un point de vue éthique?

Mala in se, mala prohibita...

Une distinction en matière d'éthique s'est depuis longtemps imposée entre mala in se, les actes commis sur «fond de méchanceté dans le sentiment et dans le caractère», et les fautes qui ne sont que mala prohibita : «violations de conventions bonnes ou mauvaises, fautes qui peuvent être bonnes ou mauvaises en elles-mêmes, mais qui sont susceptibles d'être commises par des personnes par ailleurs dignes d'attachement et d'admiration» (Stuart-Mill).

On trouve cependant une riche palette de couleurs entre un caractère méchant et le simple fait de dépasser les bornes. Ce peut être, tapie dans la conscience, la mauvaise foi, cet oubli commode de la vérité que l'on se cache d'abord à soi-même, puis aux autres. La responsabilité éthique suppose pourtant que la personne qui parle et qui accuse assume la véracité de ses dires, qu'elle ne disparaisse pas derrière ses propres énoncés. Tout le contraire de la bonne foi ou de l'intégrité intellectuelle soucieuse, par définition, de ce qui est juste ou vrai. Ce qui, à l'évidence, ne peut être réglé qu'en son âme et conscience, par et pour soi-même. Sans la poussée ou le support rassurant d'une ligne de parti bien définie.

Outre la mauvaise foi, on peut aussi trouver entre une réelle intention malveillante (mala in se) et un simple dépassement des bornes (mala prohibita), du surmenage, une forme ou l'autre d'insouciance, une ignorance crasse des règles du débat démocratique, voire un accablant manque de jugement. Mais on trouve aussi parfois une bonne part d'incivilité, le défi majeur, comme on sait, des systèmes éducatifs actuels.

Alors, dépasser les bornes, est-ce méchant? Impossible de trancher net sans vraiment connaître les gens, leur style habituel et leurs intentions. Et sur quels critères juger aujourd'hui? Moraliste, la députée? Sans doute. Les moralistes - les donneurs de leçons - aiment bien dire aux autres ce qu'ils doivent faire, sans trop se demander ce qu'ils devraient s'imposer à eux-mêmes. Ils sont nombreux. Ils sont partout.

Et comme dirait l'autre, il n'y a pas de différence de nature entre les sociétés violentes et les sociétés non violentes. Chaque société est violente à sa façon. N'est-ce pas dans ce bouillon de culture acrimonieuse que baigne l'esprit de nos enfants?

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