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Quand on nait fille au Maroc, on n'a pas le droit à l'insouciance

La première fois que j'ai été harcelée dans la rue, j'avais 9 ans.
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À la maison, on me répétait sans cesse : « je te fais confiance ma fille, mais je ne fais pas confiance à la société ».
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À la maison, on me répétait sans cesse : « je te fais confiance ma fille, mais je ne fais pas confiance à la société ».

Le Maroc est en train de payer la facture d'un système éducatif qui ne remplit pas son devoir depuis des décennies. Une crise de valeurs qui n'a pas fini de faire des victimes dans un Maroc qui continue d'évoluer à deux vitesses créant un gouffre énorme dans lequel s'enlise la jeunesse du pays.

Je n'ai pas eu le courage, ni l'envie à vrai dire, de voir la vidéo. Je n'en ai pas besoin pour être indignée, et profondément triste pour la jeunesse de ce pays, pour les femmes de ce pays.

La première fois que j'ai été harcelée dans la rue, j'avais 9 ans. J'étais seule, j'avais peur, et je n'ai jamais oublié ce sentiment d'insécurité qui m'a accompagné pendant des années. J'étais trop jeune pour comprendre que ce n'était pas de ma faute, que le harcèlement est une forme de violence psychologique, et que j'en étais la victime. J'étais trop jeune pour savoir que tout cela n'était pas normal. La seule chose que j'ai bien internalisée, c'est que j'étais vulnérable, et que les garçons dans la rue pouvaient me faire du mal.

J'ai appris comme beaucoup de filles marocaines que c'était mon devoir à moi de me protéger, parce que la société ne le fera pas, et ne me pardonnera pas si quelque chose m'arrive. À la maison, on me répétait sans cesse : « je te fais confiance ma fille, mais je ne fais pas confiance à la société ». On m'a toujours dit que j'étais comme mon frère, que je pouvais faire tout ce que je voulais de ma vie. Mais paradoxalement, je ne pouvais pas sortir comme lui, où et quand je voulais. J'avais quelque chose en moins, j'étais née fille.

Je sais que personne n'interviendra pour me sauver si les choses se compliquent.

Pour m'adapter à cet environnement austère, j'ai du développer des comportements parfois inconscients: froncer les sourcils dans la rue, porter des habits larges ou style garçon manqué, et réagir de manière suspicieuse chaque fois que quelqu'un m'aborde dans la rue même si c'est juste pour demander l'heure. J'ai aussi dû adopter des comportements plus conscients comme le fait de «penser» à ce que je vais mettre en fonction de si je vais y aller en voiture ou en transport en commun, si je vais dans un endroit «branché» ou pas, ou encore me taire quand quelqu'un me harcèle dans la rue de peur que la situation ne dégénère. Je sais que personne n'interviendra pour me sauver si les choses se compliquent. J'ai dû composer avec ce que j'avais afin de me protéger comme je le pouvais.

Je réalise aujourd'hui l'absurdité de tout cela, mais cette peur internalisée pendant si longtemps m'a empêché des années durant d'être moi même. J'avais honte de ma féminité, je faisais tout pour la cacher sans même me rendre compte de cela. Aujourd'hui encore, je suis incapable de sortir marcher seule dans la plage ou dans une ancienne médina parce que j'ai peur. Je ne sais pas si quelque chose pourrait m'arriver, mais je n'irai pas tenter le diable. Voici mon quotidien de jeune citadine marocaine, je vis la boule au ventre. Bien sûr, je ne ressens pas cette peur du harcèlement de manière consciente, mais il y a une pression omniprésente dans toutes mes actions, ce qui la rend d'autant plus sournoise et dangereuse.

Est-ce tellement différent de ce que l'on choisit d'ignorer tous les jours dans la rue ?

Cette vidéo nous indigne, parce qu'elle est crue, brutale et qu'elle dévoile la passivité des gens. Mais est-ce vraiment tellement différent de ce que vivent les filles et jeunes femmes marocaines au quotidien? Est-ce tellement différent de ce que l'on choisit d'ignorer tous les jours dans la rue ?

Alors pour se protéger, certaines iront faire de la boxe ou un autre sport de combat pour se donner l'illusion de la force, de pouvoir se défendre si jamais le besoin se présente. Elles se préparent, car elles n'ont pas le droit d'être victimes dans une société qui les jugera toujours avec rigueur sans forcément les protéger. Quand on nait fille au Maroc, on n'a pas le droit à l'insouciance...

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