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Harcèlement en milieu de travail: l’obligation d’enquête est un miroir aux alouettes

Les solutions simples pour les problèmes complexes sont la plupart du temps des leurres.
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Il est heureux de constater chez Marianne St-Pierre Plamondon et Manon Poirier, avocates et dirigeantes de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, une évolution de leur position publique en matière de traitement des plaintes de harcèlement. Dans une lettre aux médias, elles promeuvent une stratégie globale de prévention, de soutien et d'intervention. Une telle position correspond mieux à la complexité des phénomènes favorisant le harcèlement au travail. Pourtant, la lecture de la lettre révèle une position encore fortement (c'est leur mot) et presque exclusivement axée sur l'obligation de tenue d'enquête à la suite d'une plainte. Mentionnons que leur exposé public comprend maintenant la possibilité d'une médiation en tout temps et un examen préalable de recevabilité. Ainsi formulé, cela semble mieux équilibré, mais on y trouve un excès de bureaucratie et un manque d'humanité.

De nombreux intervenants en matière de harcèlement savent que le dépôt d'une plainte est souvent un cri du cœur, une demande d'aide. Ils peuvent également témoigner des refus catégoriques de tenue d'enquête chez plusieurs plaignants. Comme si ces derniers disaient : « Faites quelque chose pour m'aider, mais surtout pas d'enquête. » Cette étrange demande est en fait une exigence de précautions à leur endroit. Les causes de cette grande sensibilité sont multiples : fragilité psychologique ou physique, sentiments de culpabilité, peur de représailles, lourdeur du processus, etc. Alors, l'intervenant et l'employeur doivent en tenir compte en devenant très patients et créatifs. Après discussions, il arrive qu'une victime alléguée finisse par accepter la nécessité d'une enquête. D'autres fois, pour des raisons très valables, une autre continuera de la refuser. Il reste que pour tous ces cas de figure, l'obligation risque de devenir un frein important à la dénonciation. De plus, il faut souligner les situations pour lesquelles, après une plainte officielle et un examen des circonstances, l'employeur serait prêt à prendre les mesures nécessaires et suffisantes, ce qui rendrait bureaucratique et démesurée une obligation d'enquête.

Pour une victime alléguée, souffrante et en attente de réconfort, ce n'est pas facile.

D'ailleurs, les raisons de l'aversion à la tenue d'une enquête sont nombreuses. Il s'agit d'un processus rigoureux, exigeant une posture neutre et distante à l'endroit des parties. Pour une victime alléguée, souffrante et en attente de réconfort, ce n'est pas facile. En outre, une corroboration des propos est fréquemment nécessaire. Des rencontres avec d'autres personnes s'imposent donc, exposant de cette manière un mal-être pour laquelle la victime se sent souvent responsable! Il s'agit en fait d'un processus lourd qui, au-delà de ses gains, est susceptible d'avoir des impacts négatifs. Cela a été observé de nombreuses fois. Précisons tout de même qu'il ne s'agit pas de dénigrer les vertus de l'enquête pour les victimes ni son utilité pour l'employeur. Cet écrit est un contrepoids à des prises de position publiques reflétant une perspective juridique.

Au travail, le but n'est pas de punir, mais de faire cesser les comportements nuisibles afin de garantir un climat sain pour l'avenir.

Selon l'ordre des CRHA, l'obligation d'enquête serait un message fort à l'égard de la responsabilité des entreprises en matière de harcèlement. Il est vrai que l'actuelle révision du Code du travail est une occasion d'être à la hauteur de l'indignation collective devant les cas de harcèlement psychologique ou sexuel. Mais l'ordre a tort en exigeant la tenue obligatoire d'enquête. Au travail, le but n'est pas de punir, mais de faire cesser les comportements nuisibles afin de garantir un climat sain pour l'avenir. Les risques d'aggravations de situations conflictuelles par l'adoption de la mesure proposée par l'ordre des CRHA sont réels. En revanche, le législateur pourrait modifier la loi sur les normes du travail de manière à mieux préciser l'obligation de moyens appropriés et suffisants pour la protection de la santé et de l'intégrité des personnes harcelées. Cette obligation pourrait s'actualiser à partir d'un menu flexible de processus reconnus comme efficaces.

Les solutions simples pour les problèmes complexes sont la plupart du temps des leurres.

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