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Charte de la laïcité ou charte du prêt à penser?

Dans ces temps de tourmentes et de violents chocs de valeurs, trouver ce qui nous unit actuellement, ou devrait nous unir dans l'avenir se révèle nécessaire pour mieux vivre ensemble avec nos différences. Une telle démarche ne peut faire l'économie de discussions touchant le promu, l'acceptable, le tolérable ou le déconseillé.
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Les débats entourant la charte des valeurs québécoises 1.0 et de la laïcité 2.0 sont révélateurs à plus d'un titre. En effet, les sujets abordés sont incontournables pour les sociétés du 21e siècle. Identifier ce qui nous unit permet de porter nos projets plus loin. Oser traiter de ces sujets tout en faisant preuve de courage devient essentiel. Le Parlement s'avère le bon forum pour statuer en ces matières. La prudence s'impose, car les émotions sont facilement exacerbées en matière d'identité. Mais c'est surtout dans la manière dont sont conduites les discussions que ce débat est le plus révélateur.

Dans ces temps de tourmentes et de violents chocs de valeurs, trouver ce qui nous unit actuellement ou devrait nous unir dans l'avenir se révèle nécessaire pour mieux vivre ensemble avec nos différences. Précisons qu'une telle démarche ne peut faire l'économie de discussions touchant le promu, l'acceptable, le tolérable ou le déconseillé. Naturellement, à ceci s'ajoutent les comportements proscrits ou même combattus. Rappelons que malgré les difficultés et les sensibilités touchant ces sujets, il s'agit de favoriser les manières de mieux vivre ensemble. Est-ce vraiment le sens des deux démarches lancées par Bernard Drainville ?

Soulignons que le but ultime est d'unir. Par contre, il apparait que, jusqu'à maintenant, les moyens utilisés nous ont plutôt conduits dans un psychodrame national. Peu de sujets ont autant divisé les Québécois. Des familles, des amis, des collègues qui avaient l'habitude de voir le monde de manières compatibles se sont retrouvés dos à dos. Les articles, blogues, gazouillis sur le sujet ont explosés. Par contre, le grand nombre d'expressions n'avait pas d'équivalent dans les quantités de nuances utilisées. Cela explique le peu d'empressement à reprendre le débat. Et pourtant! Dessiner la société à laquelle on veut croire. Faire grandir ces idéaux. Tenter de se conformer aux valeurs choisies et demander aux autres de faire de même. À quels puissants leviers, est-on en train de tourner le dos!

Prenons comme exemple la gestion des entreprises. Il est de plus en plus accepté que la culture organisationnelle est un levier important de performance et d'adoption de comportement éthique. Les gestionnaires d'expérience savent qu'une culture non gérée risque la fragmentation ou diverses formes de perversion. Quand les personnes ne voient plus leur entreprise de la même manière, il est facile de comprendre que celle-ci aura de problèmes. Cependant, si gérer une culture organisationnelle est complexe et délicat, imaginez ce défi à la grandeur d'une nation.

Pour relever un tel défi, plusieurs questions surgissent. Quelles valeurs fondamentales sont susceptibles de faire battre la plupart des cœurs? Quels écueils inutiles devons-nous éviter dans la description de notre vision d'avenir? Quelles habitudes devons-nous accepter malgré notre désapprobation? Que devons-nous exiger par-delà le mur de conflits qui va se dresser? Les tâches sont donc difficiles : trouver les valeurs fondamentales, les comportements valorisés, les zones de tolérance, les normes pour juger les litiges comportementaux, etc. On ne part quand même pas de zéro. Nous disposons déjà de la charte des droits et liberté de la personne et de nos différends codes (criminel, civil, travail, etc.) Tout de même, ajouter une pierre à cet édifice est un exercice exigeant un minimum de temps et de courage. Il semble que les deux aient cruellement manqué. La démarche de consultation était bâclée en négligeant la transparence, la rigueur et les efforts. En particulier, le courage affiché n'était pas approprié. Ce courage de combat nuisait à la cause. Il fallait plutôt afficher suffisamment de bravoure pour se remettre en question devant les effets négatifs de la proposition initiale.

Il ressortait de la charte des valeurs québécoise et des débats l'entourant une tenace image de solution simple pour une situation complexe. Les premiers indicateurs relatifs à la charte de la laïcité semblent aller dans le même sens. À ce chapitre, parmi plusieurs thèmes, la situation des femmes musulmanes était particulièrement révélatrice. Affirmons que nier la montée des intégrismes au Canada relève de l'aveuglement. Il existe chez nous des mariages forcés, des contrôles maladifs de jeunes filles, des exigences vestimentaires non consenties et pire encore. Cependant, affirmer que toutes les femmes voilées sont marquées par ces niveaux d'oppression nécessitant donc une proscription apparait de «l'idéologisme» aveugle. D'ailleurs, chez plusieurs tenants du discours associant le voile à l'oppression des femmes, il y a une désapprobation de l'interdiction. Je ne suis pas en mesure de trancher cette question. Je me demande quand même si l'on voulait vraiment résoudre ces problèmes ou marquer des points dans une joute électorale?

Malgré leurs travers, qui d'autre que nos élus a la légitimité pour adopter une charte des valeurs québécoises ou plus modestement une charte de la laïcité? Cependant, sans une recherche véritable d'un consensus minimal, cette légitimité disparait. Il faut le dire, la politique partisane telle que pratiquée au Québec, est souvent mal adaptée aux débats et aux choix fondamentaux. Certaines lois, comme celle portant sur les soins en fin de vie, font exception. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'on a fait tant de bruit avec cette dernière. Mais, la plupart du temps nos politiciens affichent des comportements calculateurs et parfois mesquins. Avouons que le temps passe vite et qu'un mandat de quatre ans est rapidement terminé. Il reste que, malgré cette réalité, jamais un tel débat ne devrait devenir un enjeu électoral. La politique partisane est fréquemment comparée au sport. Elle peut effectivement être intéressante et divertissante. Le malheur c'est que les émotions qui l'accompagnent conviennent mal au choix entre des intérêts contradictoires et souvent légitimes. Avec une charte 1.0 ou 2.0, on se retrouve sur le terrain des vérités qui s'affrontent. En matière de religion, ce qui est ma vérité n'est pas la vôtre. Il faut pourtant choisir. Ainsi, dans cette perspective, toute la complexité apparait et les coups d'émotion deviennent prévisibles. Demandons-nous, qui oserait conseiller une prise de décision sous la colère, la tristesse ou l'euphorie? C'est que les émotions montrent toute l'importance d'un problème ou la pertinence d'une résolution du problème, mais elles ne conseillent jamais sur les chemins à prendre.

Un jour ou l'autre, nous devrons affirmer ce qui nous unit, afin de porter nos projets encore plus loin. Les animateurs de ces débats devront faire figure de guides, en affichant de la sagesse et du courage pour aller au bout des vérités qui s'affrontent. De temps à autre, j'ai fréquenté des politiciens. Je l'ai fait comme psychologue organisationnel lors de démarches d'accompagnement humaniste ou comme simple citoyen. Je sais qu'ils sont nombreux à partager la conviction de pouvoir améliorer la société. Cependant, ils sont également confrontés aux nécessités de la solidarité ministérielle, des amitiés de combat, des luttes électorales et des calendriers implacables. Je leur dis, rappelez-vous votre responsabilité quant aux impacts de vos choix lorsque vient le temps de diviser pour gagner ou d'unir pour grandir.

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