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Altérité et politique identitaire

Les Québécois aiment se décrire comme des gens ouverts. En regardant autour de nous, il est légitime de dire que c'est souvent vrai. Cependant, c'est dans les moments difficiles que l'on montre la profondeur de ses valeurs.
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Lors d'une manifestation contre les armes nucléaires à New-York, une personne se promenait avec une pancarte demandant: «Take the toys from the boys» ; les jouets étaient des bombes laissées entre les mains des politiciens. Aujourd'hui, j'y repense et je me demande si nos politiciens sont assez responsables pour parler de l'identité du Québec.

La très forte réaction de Bernard Drainville au désir avoué de son adversaire à la chefferie du PQ, Alexandre Cloutier, de travailler de façon consensuelle aux problèmes d'identité québécoise allume des feux rouges. En effet, pourquoi prendre un ton si alarmiste devant ce désir? Pourquoi prédire que la survie (pertinence) même du PQ dépendrait de l'affirmation identitaire et de la proclamation de la laïcité de l'État? N'y aurait-il pas ici des intentions politiciennes, plutôt que nationales? Il n'est pas inutile de rappeler que, lors des élections, la démarche proposée par M Drainville nous a conduits vers des déchirements collectifs inhabituels (bravo l'identité commune!) et qu'elle a permis à quelques prédicateurs de se présenter en défenseurs des droits démocratiques (bravo pour la lutte à la radicalisation!).

Les Québécois aiment se décrire comme des gens ouverts à la différence. En regardant autour de nous, il est légitime de dire que c'est souvent vrai. Cependant, c'est dans les moments difficiles que l'on montre la profondeur de ses valeurs.

Un contexte difficile

Il faut l'avouer, le contexte actuel est difficile. D'abord, le vieillissement de notre population pose d'importants défis économiques et sociaux. Il est reconnu que le maintien de notre position enviable dans le monde passe entre autres par l'immigration. Ensuite, notre responsabilité humaine nous oblige à ne pas rester insensibles aux malheurs qui frappent la planète. Dans la mesure de nos moyens, nous devons agir et accueillir. De surcroit, des tensions internationales, dont certaines tirent leurs sources dans la troisième guerre du Golf, ont des effets jusque dans nos villes. Nous vivons donc des chocs de valeurs comme jamais depuis plusieurs décennies. Cela exige de la prudence.

Pour le démontrer, rappelons les années 30 et 40 au Québec. Cette période était marquée par des chambardements économiques ou sociaux rapides et marquants: concentration du capital, chômage très élevé, mouvements radicaux de contestation, changements dans les valeurs à l'endroit des femmes ou dans l'éducation, etc. Les problèmes étaient importants et douloureux pour plusieurs citoyens. Aujourd'hui, nous savons qu'il n'y avait pas de réponses faciles à ces difficultés et nous pouvons regarder avec condescendance les idéologies qui circulaient pour les pallier. Pourtant, à l'époque, plusieurs mouvements de salut public étaient populaires. Au Québec, ce fut la période faste du nationalisme de repli sur soi. Le passé était idéalisé (les belles histoires des pays d'en haut), le présent était rejeté (les francs-maçons ou les socialistes contre la religion dans les écoles) et le futur était craint (le communisme, le capital étranger, la mort de la famille). À ce nationalisme réactionnaire, s'ajoutait une contre-identité : le juif, qui était la victime parfaite de l'époque.

Il est utile de revenir sur cette période, parce que quand les temps sont difficiles à vivre ou à prédire, il est normal d'avoir peur. Ce sentiment est à la fois nécessaire et nuisible. D'un côté, son utilité consiste en un avertissement que les choses peuvent mal tourner; que la vigilance et l'action s'imposent. De l'autre côté, il ne fournit pas de judicieux conseils sur les choix d'action. D'ailleurs, la période de crise décrite plus haut montre les débordements dans lesquels nous pouvons être entrainés. En particulier, l'histoire démontre que la peur de perdre son identité, mélangée à des craintes plus terre à terre, peut conduire aux pires excès. En conséquence, peu importe le problème, une fois alarmé par la crainte, il est temps de se calmer et de chercher rationnellement des voies de solutions.

Des choix à faire

Nous vivons donc une transition difficile. Certains immigrants se sentent exclus. Plusieurs Québécois considèrent qu'il n'y a pas suffisamment d'efforts d'intégration à l'endroit des concitoyens récemment arrivés. Des valeurs fondamentales comme l'égalité des sexes, la liberté de religion ou la neutralité de l'état sont ébranlées par des événements.

Pour y faire face, la récente proposition de la CAQ n'est pas sans mérites : mieux adapter les efforts de francisation; offrir des programmes d'intégration à la société; mettre plus d'efforts sur l'employabilité; s'assurer de protéger un noyau de valeurs communes. Tout cela apparait très bien. Toutefois, à ce jour, les modalités d'application de cette politique semblent beaucoup moins prometteuses. Il y a une odeur d'exclusion et des promesses de complications administratives autour des certificats révocables.

De son côté, le PLQ fait des promesses sur de futures politiques d'inclusion et d'intervention en matière de radicalisation, mais à ce jour rien ne pointe à l'horizon. Ce parti se contente de critiquer à la pièce ce que les autres avancent.

Quant au PQ, les derniers jours font ressortir deux orientations. Un courant représenté par Alexandre Cloutier miserait sur le dialogue et l'inclusion. À l'opposé, Bernard Drainville semblerait encore favoriser des politiques d'ultimatum. Sur ce point, exiger l'application d'une charte qu'aux seuls nouveaux employés de l'État n'est pas sans rappeler les clauses «orphelines» des conventions collectives.

Des enseignements de la psychologie organisationnelle

Dans un article précédent, en m'inspirant de la psychologie organisationnelle, j'insistais sur l'importance de lancer des discussions sur les meilleures pratiques en matière d'identité nationale. À cette fin, j'y proposais les caractéristiques d'une démarche productive. Plus récemment, dans le HuffingtonPost, je mettais en lumière le rôle très important de l'altérité comme valeur organisationnelle. Par le biais d'objectifs, de processus de résolution de problème ou de normes de gestion, l'altérité devient une approche fertile de sorties d'impasses ou de conflits. Elle reflète le courage d'une organisation et de ses membres à l'égard des problèmes et de la nécessité de chercher des solutions viables pour tous.

La psychologie appliquée aux organisations fait la promotion de l'altérité. Elle enseigne que les solutions trop simples appliquées aux problèmes complexes ont une nette tendance au camouflage, puis à empirer les choses. Elle met aussi en lumière que, comme solution, le simple passage du temps relève de la pensée magique et de l'irresponsabilité. Nous croyons que ce qui est vrai pour une organisation est aussi vrai pour une nation. La différence est une question d'échelle et de complexité.

En matière d'immigration de première ou deuxième génération, l'occident et le Québec sont à l'heure des choix. Voulons-nous d'un Québec passif et balloté, ou intolérant et conflictuel, ou inclusif et dynamique? Au regard des efforts faits partout dans le monde, il est évident que les solutions magiques n'existent pas. La promotion de la laïcité militante et du multiculturalisme ouvert n'a pas fait leurs preuves dans l'intégration harmonieuse de l'immigration. La montée du Front national en France ou la multiplication des foyers de recrutement djihadistes en Angleterre n'indiquent pas des voies à suivre pour le Québec. L'ouverture dont se réclament les Québécois doit se manifester par le biais de dialogues organisés permettant de dégager un modèle original d'intégration et de promotion de notre identité. Une fois cette tâche accomplie, tout ne sera pas réglé. Un peuple mature sait accepter que le paradis terrestre ne sort jamais des livres.

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