Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

La fistule du consommateur

La responsabilité du consommateur est de connaitre ses besoins nutritionnels, ses préférences organoleptiques, et ses convictions personnelles pour ne pas orienter ses décisions sur la seule base d'une pensée restrictive limitée au prix.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

C'est lors d'une soirée entre amis que le mot fistule a été évoqué. Ce mot en agronomie se rapporte à un orifice artificiel placé sur l'abdomen d'un ruminant comme accès direct au rumen, ce majoritairement pour l'étude de la digestion des aliments. Plusieurs personnes présentes ne connaissaient pas cette technique. Certains en ont rigolé et d'autres en ont été choqué. En revanche, tous s'accordaient à dire que la technique était «barbare». Dans la littérature ou même dans la société civile, cette technique a déjà fait l'objet de critiques comme atteinte au bien-être de l'animal. En effet, à titre d'exemple, ce procédé a donné lieu à une pétition en France où il a été jugé de pratique «déviante» ou encore «répugnante».

Dans le monde de la recherche agronomique, ce procédé est commun et démocratisé, mais il est aussi reconnu comme respectueux du bien-être animal. L'objectif est, entre autres, d'obtenir des performances laitières plus efficaces par l'étude de la digestion des différents types d'aliments en corrélant leurs genres et leurs quantités à la production de lait. Cette pratique existe depuis des décennies et elle est difficilement substituable, du fait que les méthodes alternatives connues de nos jours ne peuvent remplacer, qu'en partie, les objectifs de la chirurgie digestive.

Capture d'écran tirée du reportage «Sauver le boeuf...» de l'Office national de radiodiffusion télévision française, diffusé lors de l'émission Eurêka (2 décembre 1970) - INA.fr

À partir de ce point, je souhaite élargir la discussion autour des informations dont nous disposons sur le contenu de nos assiettes. Savons-nous ce que nous mangeons? En effet, ce type de techniques renvoyant au bien-être animal existent et sont communes dans le monde agricole (élevage en batterie pour les volailles, arrachage des dents pour les porcins, coupure du bec pour les poussins...) mais sont que peu connues par le consommateur. Il ne s'agit pas là de mettre toutes ces pratiques dans le même panier puisqu'elles sont très variées et que leurs objectifs ainsi que leurs modes opératoires sont hétérogènes. Ici, le point qui me paraît important est le degré d'informations dont disposent les consommateurs et la responsabilité qui en découle. En effet, le constat est clair. Hormis les professionnels ou quelques curieux, rares sont ceux qui s'intéressent à leur alimentation et les quelques informations leur parvenant sont souvent biaisées ou orientées selon des convictions personnelles. Il faut alors comprendre dans quel système alimentaire nous vivons et quel est notre pouvoir de décision sur ce système en tant que consommateurs.

Cette perspective systémique est nécessaire pour comprendre ce qui peut justifier en partie la fistulation d'une vache. En effet, l'organisation du monde agroalimentaire moderne est un système intégré selon différents degrés en fonction des régions et des pays. Il existe une interconnexion entre chacun des acteurs de la chaîne, allant du producteur au consommateur. En amont, l'agrofourniture englobant le secteur génétique, l'agrochimie et les équipementiers. Au centre, le secteur agricole, l'industrie agroalimentaire, la distribution et la restauration.

Enfin, en aval, le consommateur. Par cette intégration, il faut comprendre que chaque action entreprise, dans un des maillons, entraine une réaction dans les différents secteurs formant le système. Ainsi, des avancées technologiques, comme celles de la fistulation, existent aujourd'hui. Ces avancées visent, entre autres, à diminuer les coûts de production, des viandes et du lait, par la voie de la nutrition animale, afin d'obtenir les prix les plus compétitifs sur le marché et ainsi attirer les consommateurs.

Cette organisation a permis des avancées extraordinaires, offrant : une autosuffisance alimentaire, une diminution drastique de la toxicité des aliments et la création ou l'essor de nouveaux secteurs de l'agro-services. À titre d'illustration, l'emballage, la logistique ou encore la distribution sont tous, autant les uns que les autres, de nouveaux secteurs qui ont permis le maintien de l'emploi face à l'effondrement de secteurs plus anciens.

Toutefois, malgré ces avancés, ce système reste efficace sur le court terme mais peu efficient sur le long terme. Cela est dû à son aspect «incomplet» qui provoque les réactions connues et reconnues de la société civile et professionnelle. Parmi ces défaillances, on peut citer la question du bien-être animal. Aussi, il est important de savoir que 4 à 12% du réchauffement planétaire revient à la production de viande. De plus, pour produire 150 grammes de steak il faut compter environ 2400 litres d'eau ce qui renvoie au constat que les ressources naturelles font partie des éléments les plus touchés. Enfin, il est à noter qu'un tiers de la totalité des aliments achetés en Angleterre sont gaspillés. La liste est longue et les degrés sont variables, mais la conscientisation de ces problématiques reste primordiale.

Le système agroalimentaire moderne est en phase avec notre ère et est orienté vers la productivité. Mais, l'alimentation reste un sujet sensible, car elle est relative au physique et à l'émotionnel. Elle représente des choix, des goûts, une nécessité mais aussi une identité (religion, tradition, culture, climat, etc.) Sur cette base, et sur la nomenclature de cette organisation, il est aisément compréhensible qu'il ne fasse pas l'unanimité. Il est construit de manière à répondre au plus grand nombre en terme de quantité, de qualité ou encore de choix. Néanmoins, sa formation est faite majoritairement autour d'une seule variable, le prix et plus précisément le bas prix.

Ainsi, si nous voulons un meilleur avenir alimentaire, agricole, social et environnemental, ou un avenir alimentaire en phase avec nos préférences, nos choix doivent alors se tourner vers le produit. La responsabilité du consommateur est de connaitre ses besoins nutritionnels, ses préférences organoleptiques, et ses convictions personnelles pour ne pas orienter ses décisions sur la seule base d'une pensée restrictive limitée au prix. En revanche, il doit réfléchir à son alimentation, au même titre que l'agronome qui réfléchit l'alimentation de la vache à travers la fistule, car ce choix est un vote.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Mai 2017

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.