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Jeune Conseil de Montréal, l'idée d'une ville

Trois projets de règlements occuperont l'essentiel de nos journées au Jeune Conseil de Montréal, ils seront débattus au sein du Conseil de Ville par quatre-vingts participants. Si les trois puisent dans la veine de la démocratie participative, ils amènent la polémique par des voies différentes.
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Quand on se regarde entre nous, participants deS simulations politiques, on aime bien se moquer de notre homogénéité: des étudiants, juristes de près ou de loin, passionnés de politique provinciale ou municipale. Heureusement, il y a toujours quelques électrons libres qui osent franchir le pas et qui se révèlent (saveurs déroutantes!) au hasard des débats.

Trois projets de règlements occuperont l'essentiel de nos journées au Jeune Conseil de Montréal, ils seront débattus au sein du Conseil de Ville par quatre-vingts participants. Si les trois puisent dans la veine de la démocratie participative, ils amènent la polémique par des voies différentes.

Le premier, c'est l'idée de comités de citoyens jurés mandatés pour surveiller le travail des élus dans chaque arrondissement. Le but est de limiter la corruption et d'assurer un contrôle des activités municipales. Après que les débats d'amendements aient traîné sur la sémantique (ce n'est pas « surveiller », c'est « superviser » et « apprécier »), le débat d'adoption prendra de la hauteur. On parle des comités comme d'un incitatif, pour les élus, à servir la collectivité, de rayonnement de la démocratie par la participation populaire. Mais quelle légitimité pour neuf personnes tirées au sort de juger d'un travail, et d'amorcer, le cas échéant, un processus de destitution? Quels moyens pour ces comités, quels transferts de connaissances? Le projet prévoit une formation pour eux, 35h en administration publique. C'est déjà bien quand on sait que les élus, eux, n'ont aucune formation, lance une participante. « Faux, réplique la porte-parole de l'opposition. Les élus ont un parcours politique, un cheminement de plusieurs années qui bâtit leur compétence. » Les militants politiques applaudissent, c'est à ça qu'on les reconnaît, hochant la tête à l'unisson comme un régiment au garde-à-vous.

Et les comités ne sont pas à l'abri des fraudes, des pressions, va-t-il falloir un comité pour surveiller les comités? « Mais pourquoi voulez-vous que les citoyens soient malhonnêtes? » s'enflamment les idéalistes; j'abats ma tête sur le pupitre quand ils en viennent à citer Robespierre.

La porteuse du texte saisit l'ambiance, elle rassure l'assemblée (« les comités ne sont qu'une sonnette d'alarme »), et le projet passe à l'arraché, au terme du débat le plus clivant du week-end.

Bien plus consensuel, le deuxième texte veut doter la métropole de toits verts, pour que s'y ébattent plantes et animaux (mais ici, on aime surtout les poules). Fable écologique d'envergure, il est forcément à la mode à l'heure des problèmes respiratoires, de la chaleur et de la pollution des villes. Et puis concilier l'agriculture à l'urbanisme, ça ne peut déplaire à personne. Haussant les épaules comme à l'heure du midi, quand je me choisis un sandwich, je m'apprête à voter pour, mais soudain je prête l'oreille, je fronce les sourcils, les débats prennent de l'épaisseur. Avec des marchés de nourriture locale, que fait-on des agriculteurs qui ont déjà du mal à vivre ou à écouler leur production? Comment contrôle-t-on la qualité des nouveaux aliments qui vont circuler? Gérer une basse-cour sur un toit (avec les problématiques de santé, de salubrité) par passion, comme un agriculteur, est-ce à la portée de tout le monde? Mon indifférence ennuyée se heurte à la structure de béton montée par les doutes! Moi qui, par lassitude, préparais quelques rimes écologistes pour amuser la galerie, me retrouve à patauger dans un discours contre décidé une minute avant mon tour de parole.

« Contre, contre, toujours contre, René! s'amuse une collègue à la sortie de ce vote sans surprises. Tu attends le projet parfait, ça n'existe pas. »

Troisième texte de règlement à l'ordre de la simulation, l'utilisation des technologies pour permettre aux citoyens de rapporter des problèmes d'infrastructures, et proposer des projets d'amélioration pour la ville. Après un débat d'amendement où même les non-juristes s'affrontent sur de l'abstrait (les citoyens rapportent-ils des « plaintes » ou des « appréciations »?), le débat d'adoption ne part pas sur de meilleures bases. Emportés par les statistiques, les sophistes montent au créneau : ce règlement ne rassemblera pas les citoyens quand 30% des Montréalais ont des difficultés de lecture, quand 16% des foyers n'ont pas de matériel informatique (et le reste du pourcentage? Mais parlez-en!). Puis, quelques interventions offensives rééquilibrent les échanges. J'apprends que ces offres de services existent déjà, que la complexité (bien réelle) d'une proposition de projet n'encouragera pas l'initiative. Moment surréaliste au cœur de la mêlée, quand la génération smartphone fustige la perte du contact humain dans cette technologisation à tout prix, la perte du temps de réflexion que provoque Internet lorsqu'il s'agit de soutenir en trois clics une pétition criarde. Mais dans la balance des avantages et inconvénients, le Conseil voit le progrès qui y gagne, et des mesures supplémentaires, qui, bien que dédoublées pour certaines, ne seront jamais que « de l'eau apportée au moulin ».

Sous les vingt-six rosaces de cette salle confinée, la température et la tension retombent avec les résultats du vote, les sourires s'épanouissent sur les visages épuisés. On déchire les règlements comme une vieille lettre qu'on ne veut plus voir, ne restent que les bons souvenirs et la maturation de l'esprit. Tant qu'on reviendra ici, pour trois jours au mois de janvier, on n'aura toujours pas terminé de grandir.

Je pars ce dernier soir avant la cérémonie d'adieux, et traverse seul le hall d'honneur, en patinant sur le marbre pour limiter l'écho de mes pas. Chemin faisant je salue Jacques Viger, premier maire de Montréal, devenu buste de bronze couleur lichen aux pupilles creuses tournées vers l'horizon. L'ais-je vu me faire un clin d'œil, à l'instant précis où j'enlevais mes lunettes? Probable. En cette belle fin de semaine, j'ai compris que tout arrive sous ces plafonds vertigineux.

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Avril 2018

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