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Le petit racisme du bon vieux temps

Regardez-vous en pleine face, arrêtez de vous mentir, évoluez et cessez d'être racistes.
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Faites changer les chiffres.
JimmyLung via Getty Images
Faites changer les chiffres.

Quand j'étais petit, dans les soupers et les partys, il y avait toujours un moment dans la soirée où les grandes personnes se mettaient à se raconter des blagues. Les mononcles, surtout, enfilaient les nouvelles histoires qu'ils avaient apprises pendant leur pause, à l'usine, ou à la taverne avec les chums. Une fois c't'une blonde, comprends-tu... Connais-tu la différence entre un newphie pis une balayeuse? C't'un chinois, un paki pis un cowboy qui rentrent dans un bar, le chinois demande au cowboy... Maurice! Conte-leur l'histoire du nèg qui voulait rentrer dans police!

J'aimais ça les entendre et les voir rire à gorge déployée. Souvent, je riais, moi aussi, même si je n'avais rien compris de la blague. Je riais parce qu'ils riaient, parce que ça me rendait heureux de rire avec eux.

En vieillissant un peu, je me suis mis à rire avec ma famille plus franchement. Je comprenais des punchs, des doubles-sens et même certaines insinuations érotiques, mais je n'arrivais pourtant pas encore à comprendre la plupart des « blagues de nèg ». Je savais que « nèg » était un mauvais mot, au même titre que « tabarnak » ou « plotte », mais ça ne me faisait pas rire d'entendre de gros mots. En plus, la couleur de la peau n'avait souvent strictement rien à voir avec la blague et je ne comprenais pas ce qu'il y avait de drôle. Ça me laissait perplexe.

Un jour, je me suis fâché contre Jerry, je me rappelle pas trop pourquoi, et je lui ai dit, en classe : « T'es juste un asti d'nèg. »

C'était en 1986 et j'étais en première année du primaire dans une petite école de l'avenue de Rome à Montréal-Nord. À cette époque, près de la moitié de mes amis et camarades de classe étaient haïtiens. Il y avait aussi des Italiens, des latinos, des Grecs, quelques Arabes et moi, qui ne faisait absolument aucune distinction entre tout ce beau monde. Un jour, je me suis fâché contre Jerry, je me rappelle pas trop pourquoi, et je lui ai dit, en classe : « T'es juste un asti d'nèg. »

Dans mon souvenir, tout s'est arrêté. La grosse horloge. La classe en entier avec les crayons qui apprenaient les lettres dans les cahiers lignés et les effaces qui recommençaient les mauvais traits. Même le boulevard Henri-Bourassa, juste à côté, s'est arrêté de faire rouler les autos et les camions. Je n'avais aucune idée de ce que je venais de dire, mais Jerry, lui, du haut de ses six ans et demi, lui savait. Dans ses yeux pleins de larmes, moi qui ne savais pas encore lire, j'ai lu la peine la plus profonde du monde. Je venais de comprendre que ce n'était pas juste un gros mot. J'ai été inondé par une honte qui n'avait rien à envier au Texas.

J'habitais en face d'un petit parc avec une grande côte où on faisait de la crazy carpet l'hiver. J'y passais tous mes étés parce que la ville y tenait un camp de jour où des moniteurs nous organisaient des jeux et des bricolages tous les jours du matin au soir. Dans un coin du parc, il y avait toujours la même gang d'ados qui trainaient. Une vingtaine, au moins. Parfois, quand je revenais vers chez moi, ils me demandaient d'aller au dépanneur leur acheter des cigarettes ou de la bière en disant que c'était pour mon père. Dans ce temps là, ça passait encore si on était assez petit et qu'on avait l'air sage. Ils se ressemblaient tous. Jeunes blancs habillés en noir avec de grosses bottes lacées en blanc, des t-shirts avec des têtes de mort, des croix, les cheveux rasés très courts. Des skinheads qu'ils disaient. La plupart des jeunes de mon âge en avaient peur. Moi, ils ne m'impressionnaient pas. J'étais leur « chum », je leur achetais des clopes. Je n'avais aucune idée de ce qu'ils représentaient.

Un soir, il faisait déjà noir, des cris se sont fait entendre dans la petite rue en face de chez nous. Deux groupes s'affrontaient. D'un côté les blancs, de l'autre les noirs. Dans mon souvenir, ils devaient être une centaine et ils se tapaient dessus à coup de chaînes et de batte de baseball. C'était surréel. Une émeute sur notre petite rue tranquille! Dans la foule, j'ai reconnu des visages familiers : les ados du parc. Ma mère était enceinte jusqu'aux orteils et mon père avait des cernes qui lui dégoulinaient du visage à force d'aller chercher des brioches à la cannelle en pleine nuit. Les fils se sont touchés, je ne l'ai jamais vu si enragé. Il a ouvert la fenêtre du deuxième et s'est mis à lancer des bouteilles de liqueur Fiesta, à l'aveugle, dans la foule. Blanc, noir, rouge ou jaune, il s'en crissait. Il ne voulait pas de ça dans sa rue et le faisait savoir à grand coup de crème soda et de racinette sur la tronche. Je n'ai jamais su comment ça s'est terminé, il m'a envoyé dans ma chambre entre deux lancées de ginger ale. Vu son état, je ne me suis pas obstiné. Dans mon imagination, il les a dispersés au bout de deux caisses de 24 et une bonne poignée de jurons.

Quelque temps plus tard, on déménageait en banlieue.

Les usines ont engagé du nouveau personnel, issu de l'immigration, sur le plancher comme dans les bureaux. Le racisme n'est plus accepté, c'est dépassé.

Tout ce que je vous raconte s'est déroulé il y a 30 ans. Ce n'est pas beaucoup à l'échelle de l'histoire avec un grand H. Ma méthode n'est pas très scientifique, mais, quand je pose la question autour de moi, les partys de famille des autres « pure laine » n'étaient pas très différents des miens. C'était normal dans ce temps là, acceptable. Les mentalités ont changé depuis, certes. Les mononcles se font regarder un peu plus de travers par leurs neveux et nièces quand ils ressortent leurs vieilles blagues. Les usines ont engagé du nouveau personnel, issu de l'immigration, sur le plancher comme dans les bureaux. Le racisme n'est plus accepté, c'est dépassé.

Mais il n'est pas disparu.

Les chiffres le prouvent. À CV égal, les immigrants racisés - qu'ils soient de 1re, 2e ou 3e génération - ont moins de chances que les blancs de se faire accepter en entrevue. Idem pour le logement. Au travail, une fois embauchés, ils gagnent moins d'argent annuellement qu'un blanc qui occupe le même poste. Ils occupent, toutes proportions gardées, moins de postes prestigieux, sont sous-représentés dans le milieu culturel et se font plus souvent enquêter par la police.

En 2007, un sondage fait au Québec rapportait que 59% des répondants blancs AVOUAIENT être racistes d'une façon ou d'une autre. Bout de cuisse! En 2015, un autre sondage indiquait que 20% des répondants se disaient ouvertement racistes. C'est une personne sur cinq l'avoue.

Les skinheads de mon parc sont maintenant dans la fin quarantaine, ont des entreprises, sont propriétaires d'immeubles locatifs, votent et ont des enfants qui entrent au CÉGEP cette semaine.

Nos oncles et nos tantes ne sont pas morts encore, bien au contraire. En fait, ils composent 46% de la population et sont les membres les plus influents de notre société. Les skinheads de mon parc sont maintenant dans la fin quarantaine, ont des entreprises, sont propriétaires d'immeubles locatifs, votent et ont des enfants qui entrent au CÉGEP cette semaine. Ils n'ont pas disparu par magie.

Regardez-vous en pleine face, arrêtez de vous mentir, évoluez et cessez d'être racistes.

Je lis partout, ces temps-ci, que les Québécois sont tannés de se faire traiter de racistes. Regardez-vous en pleine face, arrêtez de vous mentir, évoluez et cessez d'être racistes. Faites changer les chiffres. That's it.

***

Jerry m'a pardonné mes paroles. On est resté bons copains tout le primaire. Je l'ai perdu de vue en déménageant. Où que tu sois, je te salue! Grâce à toi et à d'autres amis d'enfance d'horizons variés, je n'ai pas de biais négatif par rapport aux origines de l'autre. Vous m'avez aidé à me forger ma propre idée. C'est un cadeau inestimable qu'on devrait léguer à tous les enfants.

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