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Netanyahou: le Duplessis israélien?

Duplessis était «le Chef», Bibi est le «roi» et il a su se construire une image de sauveur, de magicien, qualificatifs que ses partisans aiment à utiliser régulièrement.
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Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, salue ses partisans et célèbre sa victoire.
ASSOCIATED PRESS
Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, salue ses partisans et célèbre sa victoire.

Alors que Benjamin Netanyahu s'apprête très vraisemblablement à commencer son cinquième mandat et à battre le record de longévité à la tête d'Israël, et pour clore ce blogue, je voudrais vous proposer une comparaison qui me paraît évidente: malgré les différences de périodes et de contextes, Netanyahou est le Duplessis d'Israël. Voici pourquoi.

Médiatisation et personnalisation du pouvoir

Un rapide coup d'œil à la carrière des deux hommes suffit pour voir une première série de points communs: le même génie pour s'imposer face aux autres dirigeants de leur camp politique, la même capacité à se remettre d'un premier mandat vu comme un échec et à faire un retour triomphant quelques années plus tard, la même longévité ensuite.

Au-delà de ces parcours similaires, Duplessis et Benjamin Netanyahu ont conquis et exercé le pouvoir de la même manière. Tout d'abord, les deux hommes sont les premiers qui, dans leur pays respectif, ont adopté les méthodes dites «à l'américaine».

Dans un monde politique au bord de l'archaïsme, le Québec des années 1930 et l'Israël au début des années 1990, ils ont introduit des techniques de campagne alors inconnues et qu'ils maitrisaient parfaitement, ce qui leur a assuré un avantage sur leurs concurrents. Ces techniques ont, dans les deux cas, servi à un exercice très personnel du pouvoir.

On connaît le quasi-culte de la personnalité qui entourait le premier ministre dans le Québec des années 1950. Le premier ministre israélien bénéficie du même type de liens avec sa base, et il les entretient savamment.

Duplessis était «le Chef», Bibi est le «roi» et il a su se construire une image de sauveur, de magicien, des qualificatifs que ses partisans aiment à utiliser régulièrement.

Populisme, nationalisme, religion et boucs émissaires

Au-delà de ce style politique, la ligne adoptée par les deux hommes est à peu près la même. Le premier ministre israélien, fortement ancré à droite, a toujours su faire vibrer la fibre nationaliste et populiste de son camp, avec un discours qui est un savant mélange de flatterie du sentiment national, d'une proximité revendiquée avec le peuple, et d'une rhétorique alarmiste sur les dangers auxquels le pays fait face.

Pour plaire et renforcer sa base, Netanyahou, pourtant personnellement très laïque, a su adopter une posture de défense des valeurs du judaïsme, se mettre en scène avec des rabbins et obtenir le soutien des institutions religieuses. Sur ces deux points, ceux qui connaissent la rhétorique et les alliances de Maurice Duplessis en son temps reconnaîtront des choses familières.

Le pendant de cette rhétorique est l'identification d'ennemis qui servent à la fois de boucs émissaires et d'objets de ralliement. Pour Duplessis, on le sait, l'ennemi était le communisme, et ses différents relais dans la société. Pour Netanyahou, c'est, de manière similaire, la gauche, et ses alliés, qui sont un danger pour le pays.

À force de répéter «communisme» ou «gauche» de manière quasi obsessive, les deux hommes ont réussi à susciter chez leurs sympathisants l'idée d'un danger omniprésent à combattre.

Ceci leur a permis en retour de se maintenir au pouvoir, même si cela a pu signifier dans les faits la création ou l'aggravation de failles importantes entre les différents groupes de la société.

La grande noirceur en Israël?

Une fois cette première comparaison posée, la question qui se pose naturellement est: si Netanyahou est comme Duplessis, Israël est-il présentement plongé dans une «grande noirceur»? La réponse est oui.

Comme dans le Québec de Duplessis, les intellectuels et la gauche israéliens pointent, non sans raison, la lourdeur qui règne sur la société de leur pays depuis le retour de Bibi en 2009.

Par exemple, un nationalisme crispé, excluant les groupes sociaux plus libéraux, et un conservatisme social persistant dans la direction politique du pays, surtout depuis 2015. En ce sens, s'ils connaissaient l'expression québécoise, ils seraient bien prêts à l'adopter et à parler du règne de Netanyahou comme d'une grande noirceur.

Mais, comme le rappellent les historiens, le règne de Duplessis fut aussi le temps d'un développement économique impressionnant pour le Québec. C'est en cas aussi pour les dernières années en Israël, avec une croissance économique insolente, la baisse du chômage et le développement d'un secteur high-tech qui permet au pays de mettre derrière lui les crises des années 1980 et 2000.

Les conséquences sociales de ce développement économique sont un dernier point commun entre les deux périodes. Alors que Bibi, comme Duplessis, est un ardent défenseur du libéralisme politique, les fruits de la croissance, dans l'Israël d'actuel comme dans le Québec d'alors, sont bien peu équitablement distribués.

Une Révolution tranquille en vue?

De manière presque paradoxale, le souvenir de Duplessis et celui de la Révolution tranquille semblent intrinsèquement liés, tant le passage de l'un à l'autre a été brusque. Un tel bouleversement est-il à prévoir en Israël? Là aussi, je crois que oui.

Tout d'abord, comme pour Duplessis, l'ultra centralisation du pouvoir autour de la personnalité de Bibi fait que sa sortie du monde politique, qui arrivera bien un jour, laissera un vide difficile à remplir et le Likoud, parti de Netanyahou risque de s'en trouver fragilisé.

Mais surtout, de même que le règne de Duplessis cachait les changements structurels qui ont fini par conduire à la Révolution tranquille, celui de Netanyahou empêche de voir les profondes transformations en cours dans la société israélienne.

Qu'on se rende compte, alors que le pouvoir repose sur, on l'a vu, un discours nationaliste et religieux, il s'avère que sur ces deux points, pour ne citer que deux exemples, la société israélienne évolue dans la direction opposée. La communauté arabe d'Israël est en train de ressembler de plus en plus à la population juive du pays, du point de vue du niveau d'éducation, de la situation économique, et de la démographie.

Quant au niveau de religiosité en Israël, même si les plus religieux font un nombre plus élevé d'enfants que les laïques, les dernières études montrent que de plus en plus d'enfants issus d'un milieu religieux finissent par être plus laïques que leurs parents, ce qui change toutes les prédictions démographiques possibles.

En bref, comme durant les dernières années de la grande noirceur, les tendances lourdes de la société israélienne ne sont pas autant en adéquation avec le discours du pouvoir, plus médiatisé, que ce qu'on pourrait penser.

Parce que ces tendances vont mettre un certain temps à avoir un effet concret, et parce que le système politique israélien, et sa proportionnelle absolue, rend plus difficile un changement politique radical comme celui que fut l'arrivée de «l'équipe du tonnerre», il se peut que la Révolution tranquille israélienne soit encore plus tranquille que son pendant québécois, et plus lente dans sa mise en place.

Mais des signes tangibles sont là. Et lorsque nous regardons Israël, que nous voyons le pays plongé dans sa grande noirceur, pensons aux germes du changement qui y sont aussi présents.

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