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L'académie de la langue hébraïque est-elle la soeur israélienne de l'OQLF?

Comme l’OQLF, l’Académie ne contrôle pas les réactions de la société à ses propositions, et les mots qu’elle invente ont des succès inégaux.
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L’OQLF n’est pas la seule institution à se battre pour permettre à un peuple parler dans sa langue.
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L’OQLF n’est pas la seule institution à se battre pour permettre à un peuple parler dans sa langue.

L'Office québécois de la langue française est connu entre autres pour son travail de francisation des termes anglais. Ses propositions diverses, plus ou moins adoptées par le grand public, continuent de marquer les esprits, notamment ceux des commentateurs français qui oscillent entre admiration et scepticisme face à des termes comme baladodiffusion ou divulgâcher.

L'OQLF n'est cependant pas la seule institution à se battre pour permettre à un peuple parler dans sa langue. À quelques milliers de kilomètres du Québec, l'Académie de la langue hébraïque ne ménage pas non plus ses efforts pour créer, pour la société israélienne, une option alternative aux différents termes anglais. Et, depuis Jérusalem, des mots purement hébreux sont proposés aux Israéliens, notamment pour éviter de parler de podcast (qui devrait être appelé Hesket en hébreu), et de spoiler (que l'hébraïsant sérieux devrait officiellement remplacer par Kalkelan).

Cette académie et son histoire sont liées à celle de l'hébreu moderne, et du mouvement national juif en général, et trouvent leur origine dans l'action d'un certain Eliezer Ben Yehuda, dont l'influence a été telle que chaque grande ville israélienne est traversée par une rue qui porte son nom.

À la fin du XIXe siècle, Ben Yehuda fait partie de ceux qui croient que la vie juive en diaspora n'est pas une solution pérenne. Pour pouvoir être une nation égale aux autres; il faut aux Juifs, selon lui, deux choses : un pays et une langue. En attendant le pays, qui paraît alors un objectif peu réalisable, Ben Yehuda consacre sa vie au renouveau de l'hébreu.

Or la situation de cette langue à la fin du XIXe siècle est dramatique. Quoiqu'encore utilisée à l'écrit par quelques rabbins et intellectuels, il lui manque les choses les plus basiques. Personne ne sait vraiment la parler, et surtout, elle ne dispose que d'un vocabulaire très limité.

Personne ne sait vraiment la parler, et surtout, elle ne dispose que d'un vocabulaire très limité.

Fondé principalement sur l'Ancien Testament et sur les écrits rabbiniques, l'hébreu n'a alors même pas de mot pour dire des choses aussi simples que tomate, journal, restaurant ou train, ce qui le rend peu utile dans la vie quotidienne moderne.

Ben Yehuda prend le problème à bras le corps et se lance, en parallèle de sa carrière journalistique, dans un grand travail d'invention. Pour que l'hébreu rattrape son retard et se dote de termes qui puissent faire de lui une langue parlée au quotidien, il commence la rédaction d'un dictionnaire et invente, sur la base des racines bibliques ou talmudiques, quelque 300 mots.

« Le père de l'hébreu moderne » décide aussi de créer une institution qui puisse continuer son œuvre : le Comité de la Langue Hébraïque, réellement actif qu'à partir de 1905, et qui, sous l'impulsion de personnalités intellectuelles et littéraires de premier plan, offre un cadre linguistique aux premières vagues d'immigration juive en Palestine, et leur permet de créer un système éducatif uniquement en hébreu, langue à présent réanimée.

Après la création de l'État d'Israël, le Comité devient une Académie établie par une loi spéciale et qui continue son travail de régulation de l'hébreu. Parmi ses activités, elle s'illustre particulièrement par son rôle dans l'évolution et le renouvellement de la terminologie hébraïque. Et pour cela, la stratégie choisie consiste à privilégier les initiatives populaires.

Le dialogue avec la société est en effet fondamental dans le travail de l'Académie qui reste en contact perpétuel avec les Israéliens, notamment à travers une page Facebook qui compte plus de 130 000 inscrits. Cette page sert de forum, grâce auquel l'institution sonde la population israélienne, n'hésitant souvent pas à lui demander des suggestions lorsqu'apparaît le besoin de créer un nouveau mot.

Elle utilise aussi ce moyen pour rendre publiques les innovations linguistiques, et faire régulièrement des rappels à l'ordre face à ce qu'elle perçoit comme des dérives. Ainsi, l'interaction entre l'organisme régulateur de la langue et la société israélienne est quotidienne, et passe par tous les moyens qu'offre la société de communication actuelle.

Le résultat de cette interaction est, entre autres, l'invention et la publication de mots hébreux dont l'objectif est de remplacer les anglicismes comme feedback, teaser, toaster, qui apparaissent trop souvent, au goût des membres de l'Académie, dans les conversations israéliennes.

L'Académie continue malgré tout de lutter contre l'anglicisation de la langue hébraïque et de proposer sans relâche des mots qui l'actualisent et la rendent toujours pertinente dans la vie quotidienne.

Comme l'OQLF, l'Académie ne contrôle pas les réactions de la société à ses propositions, et les mots qu'elle invente ont des succès inégaux. Par exemple, le mot Misron, a réussi à effacer partiellement le SMS, alors que le mot Mirshetet, censé remplacer Internet, a été un échec total. L'Académie continue malgré tout de lutter contre l'anglicisation de la langue hébraïque et de proposer sans relâche des mots qui l'actualisent et la rendent toujours pertinente dans la vie quotidienne.

J'y vois là un point commun important entre la société québécoise et la société israélienne. Historiquement, le réveil du sentiment national est passé dans les deux cas par une mise en avant de la langue. Dans les deux cas, la création d'un organisme consacré à la régulation linguistique a été perçue comme nécessaire, avant même l'établissement d'un État indépendant.

Et dans les deux cas, cet organisme est principalement associé dans les esprits à la création et mise à disposition du public de mots nouveaux, avec l'idée fondamentale que l'identité repose sur la possibilité pour chacun de s'exprimer, en toute circonstance, dans une langue qui soit propre et capable de décrire la réalité sans rien emprunter à l'anglais. Enfin, dans les deux cas, la population réagit de manière nuancée, gardant une liberté de choix face aux propositions faites par l'office ou l'académie.

Ce volontarisme linguistique institutionnalisé est à mes yeux une dimension partagée qui mérite d'être soulignée, même si elle n'efface pas les spécificités propres à chacune des deux situations.

Pour aller plus loin dans notre réflexion sur ces questions, je vous proposerai, dans mon prochain article, une présentation sur la place qu'ont les minorités linguistiques en Israël.

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