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On ne nait plus «mourant» (comme autrefois), on le devient!

Si les ordres professionnels doivent protéger les patients vulnérables, le patient le plus vulnérable, c’est celui qui veut mourir. C’est lui que nos institutions doivent protéger.
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J’ai toujours douté de la prétention à faire de l’euthanasie un problème médical.
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J’ai toujours douté de la prétention à faire de l’euthanasie un problème médical.

En novembre dernier, j'ai dévoré le livre de Luce des Aulniers et Bernard Lapointe: Le choix de l'heure: ruser avec la mort? Je veux partager quelques réflexions, suscitées aussi par la publication du Rapport annuel de la Commission sur les soins de fin de vie à la fin de novembre 2018. On y apprend que l'aide médicale à mourir (AMM) est en forte hausse.

Au Québec, pas moins de 845 personnes ont eu recours à l'AMM en 2017-2018, comparativement à 638 l'année précédente. Depuis décembre 2015, moment de l'entrée en vigueur de la loi, c'est 1664 d'AMM qui ont été déclarées. De ce nombre, 62 dossiers considérés ne répondaient pas entièrement aux critères établis par la Loi. Aucune radiation professionnelle n'a été enregistrée à la suite de ces irrégularités.

Dès la mise en œuvre de la Loi concernant les soins de vie en décembre 2015, le ministre de la Santé et des Services sociaux avait scrupuleusement insisté sur le fait que l'AMM serait un soin de fin de vie «exceptionnel». Force est de constater aujourd'hui que l'AMM n'est pas un soin exceptionnel. Une situation qui survient 845 fois en une année me semble plutôt un phénomène habituel. On nous dira que cela ne représente que 2% ou 3% ou 4% des décès, que ce taux est acceptable et que cela correspond aux standards de la Belgique. Mais, que vient faire ici l'exemple de la Belgique? En quoi est-ce que ces pourcentages seraient enviables?

Ce qui se produit plus de 70 fois par mois au Québec ne me semble pas être une chose «exceptionnelle».

Le comparatif avec la Belgique est irrecevable

Ici, l'AMM est un soin médical. En Belgique, l'euthanasie est une transgression. Aucune commune mesure. Il est gênant de faire des rapprochements avec les pays du Benelux. L'aide médicale à mourir, consacrée comme soin médical approprié, ne ressemble en rien à l'euthanasie beneluxienne décriminalisée.

Les douleurs réfractaires en soins palliatifs seraient plutôt rares. Mieux que jamais, les soins palliatifs permettent de les soulager adéquatement. Il faut se féliciter et s'enorgueillir de l'excellent travail effectué par la Société québécoise des médecins de soins palliatifs. Penser solidairement la fin de vie, tel est le leitmotiv de la culture palliative: trouver des solutions permettant au patient de continuer à vivre et d'en éprouver certaines satisfactions. Il faut reconnaître le leadership déployé par l'Association québécoise de soins palliatifs.

Au départ, la volonté politique y voyait naïvement un geste médical approprié pour des situations exceptionnelles. Nous pouvons constater l'échec de l'ambition initiale. Je me questionne sérieusement. Je souhaiterais un moratoire sur l'AMM, voire un moratoire sur la Loi concernant les soins de fin de vie. Prendre un recul pour mieux cerner les impacts de cette loi sur les pivots anthropologiques structurants. La Commission sur les soins de fin de vie devrait alerter les élus et la population à ce sujet. Les ordres professionnels devraient appeler à la vigilance.

Je m'inquiète que l'AMM soit souvent présentée comme une «fête». Un médecin a même parlé de l'AMM comme d'un grand soin, le plus grand, le plus beau. L'ambiance festive qui préside à des scènes d'AMM est troublante. Dans son livre, Mme des Aulniers évoque «l'éventuel party d'adieu» (p.236). Aucune transgression appréhendée. Dès lors, l'AMM n'est plus le triste issu d'un échec thérapeutique.

Comment ne pas s'inquiéter du fait que le Québec ait été la première nation au monde à avoir pensé le suicide assisté comme un soin médical? Le Québec (et aussi le Canada) est probablement l'endroit au monde où les soins palliatifs sont les plus en danger: inscrire l'euthanasie dans un continuum de soins va outrageusement à l'encontre de la posture adoptée par l'OMS.

J'ai toujours douté de la prétention à faire de l'euthanasie un problème médical. L'euthanasie n'est pas un problème médical. Il ne revient pas au CMQ de résoudre un problème qui n'a rien à voir avec la médecine.

C'est ici que la lecture du choix de l'heure nous éclaire. J'ai toujours douté de la prétention à faire de l'euthanasie un problème médical. L'euthanasie n'est pas un problème médical. Il ne revient pas au CMQ de résoudre un problème qui n'a rien à voir avec la médecine. Des médecins peuvent participer au débat, mais certainement pas en leur qualité de médecin. «J'ai bien peur, dit le Dr Lapointe, que la médecine soit une des pires professions quand il s'agit de maintenir des barrières contre la mort sanctionnée... Je ne crois pas que tous les médecins soient toujours bienveillants. Je ne crois pas que les médecins soient capables d'exercer, seuls, un jugement sur ces questions-là. Alors, nous faire confiance? Moi, j'hésiterais. Je suis médecin et j'hésite» (p.207-208). Je partage ses inquiétudes.

Effectivement, le médecin qui reçoit une demande d'aide pour mourir est pour le moins saisi momentanément, car il reçoit une demande qui ne le concerne pas au premier abord. Cette demande le concerne dans la mesure où le patient qui l'interpelle ne va pas bien. «L'adresse est erronée, ajoute Luce des Aulniers, du fait que ce qui est demandé, ce n'est pas du ressort du médecin» (p.165). Le moindre mal, qui en serait encore un, serait «l'assistance au suicide à l'extérieur du corps médical», ajoute Dr Lapointe (p.62). Car, continue le médecin: «de toutes les professions, la médecine est la dernière qui devrait être concernée, qui devrait être impliquée dans l'assistance au suicide légalisé» (p.77).

Si les ordres professionnels doivent protéger les patients vulnérables, le patient le plus vulnérable, c'est celui qui veut mourir. C'est lui que nos institutions doivent protéger.

Une demande d'aide à mourir ne saurait être purement «rationnelle» (B. Mishara). «Toutes rationnelles que tentent d'être les décisions de fin de vie, elles portent toujours une coloration affective et intersubjective particulière» (p.14). Il faudrait le secours d'une anthropologie naïve et mièvrement dualiste pour prétendre le contraire. Si les ordres professionnels doivent protéger les patients vulnérables, le patient le plus vulnérable, c'est celui qui veut mourir. C'est lui que nos institutions doivent protéger.

Il est légitime de se demander si le droit à l'AMM ne conduit pas à une maltraitance institutionnelle. L'AMM ne saurait jamais constituer une victoire, faire son apologie serait honteux. Il faut se rappeler «qu'aucune culture n'accepte la mort» (p. 257). La mort n'est jamais simplement naturelle. Elle est ambiguë. Les soins palliatifs ne sont donc pas simplement les conditions qui autorisent la possibilité d'espérer qu'un patient puisse continuer à vivre et en apprécier des satisfactions, ils représentent l'ensemble des efforts réunis pour faire en sorte qu'une demande d'aide à mourir ne puisse plus jamais être prononcée par un patient.

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