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Selfie et Ice Bucket Challenge: du triomphe de l'image au désir d'immortalité

Pour moi, le Ice bucket challenge n'est qu'un selfie en mouvement qu'on a habillé du vêtement de la bonne conscience.
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Comme moi, je devine que vous n'en pouvez plus de voir tous ces selfies ou égoportraits qui voyagent sur le web. Même chose pour ces vidéos dans lesquels les gens se mettent en scène pour « relever » le Ice Bucket Challenge. « Oui, mais c'est pour la bonne cause », me répondront les bonnes âmes. Pour moi, le Ice Bucket Challenge n'est qu'un selfie en mouvement qu'on a habillé du vêtement de la bonne conscience. Ainsi, à l'heure où prendre et diffuser son selfie commence à devenir un peu gênant, diffuser une vidéo de sa propre personne dans laquelle on se fait couler de l'eau glacée sur la tête reste « socialement acceptable », coquet même, pourvu que cela se drape du voile de la vertu.

Tant mieux si ce défi rapporte de l'argent pour la recherche sur la maladie de Lou Gehrig. Mais ceci est accessoire à mon avis. Ce que je vois à l'œuvre dans ce désir effréné de se donner en spectacle et d'être regardé n'est que la consécration du triomphe de l'image à l'intérieur de nos sociétés de consommation et la suite logique de la mort de Dieu. Je m'explique.

La revanche de l'image sur l'écrit

Après l'invention de l'imprimerie par Gutenberg, on a vu l'écrit supplanter graduellement l'image au cours des siècles qui suivirent. Les vitraux des cathédrales, les icônes et autres représentations souvent religieuses qui servaient de véhicules à une tradition orale ont été remplacés graduellement par le livre, dorénavant tiré à grande échelle. Il est d'ailleurs très révélateur que la Bible soit le premier ouvrage d'importance imprimé par la presse de Gutenberg, comme s'il fallait assurer la transition d'une ère à l'autre... Dorénavant, et ce pour plusieurs siècles, la grande culture allait passer par l'écrit et le livre. Mais l'image n'avait pas dit son dernier mot!

Suite à la révolution industrielle du 20e siècle, des procédés et des moyens techniques de plus en plus sophistiqués permirent à l'image de se multiplier presqu'à l'infini et d'être diffusée à une grande échelle sur une foule de supports : la photo, les journaux et magazines, les panneaux publicitaires, le cinéma, la télévision, la vidéo, l'ordinateur portable et, enfin, le téléphone intelligent qu'on utilise dorénavant de moins en moins pour parler mais de plus en plus pour se regarder mutuellement. Ce retour en force de l'image mit une pression considérable sur l'écrit. Sous l'effet de cette invasion, lentement les textes se firent plus courts, plus simplistes. Au final, le dicton « une image vaut mille mots » n'aura jamais été aussi lourd de sens qu'à notre époque. Toutefois, c'est sur la valeur de cette image qu'il s'agit maintenant de s'interroger.

Avec le capitalisme triomphant de l'après-guerre et la naissance de la société de consommation et du spectacle où tout devient marchandises négociables et monnayables, la valeur fondamentale des êtres s'est graduellement exprimée à travers l'avoir et le paraître, proclamant ainsi le triomphe de l'image sur l'être et du virtuel sur le réel. Est « vrai » aujourd'hui ce qui apparaît sur les multiples écrans qui nous entourent pourvu que cela vienne nous distraire, nous divertir ou, mieux encore, nous renvoyer une image de nous-mêmes.

Que ton image repose en paix!

Mais cette réponse ne me satisfait pas totalement. Et s'il y avait plus qu'une simple tendance narcissique dans cette manie de se mettre en scène et de se renvoyer sa propre image à l'aide du selfie, du Ice Bucket Challenge ou des différentes formes de téléréalité?

À l'époque où les gens croyaient en Dieu, au fait qu'Il avait créé l'Homme à son image et à sa ressemblance, c'est-à-dire libre, doué de raison et d'une âme, les croyants pouvaient s'en remettre à cette certitude que leur esprit allait vivre éternellement. Après la mort de Dieu annoncée par Nietzsche, à partir du moment où les gens cessent de croire en Lui, ne reste plus de l'être humain qu'un corps condamné à disparaître, un paquet d'os qui rapidement se transformera en poussière. La frénésie qui consiste, à la manière d'un rituel, à projeter son image à répétition, peu importe la forme, ne serait-elle pas une tentative désespérée de rester dans la mémoire des gens, de proclamer qu'on existe et surtout qu'on ne veut pas mourir; en somme qu'on veut devenir immortel? Ainsi, l'image comme simulacre émanant de toutes nos plateformes électroniques viendrait, en tant qu'ultime planche de salut, jouer le rôle qui était jadis dévolu à l'âme qu'on croyait alors éternelle. Ironique retour de l'icône dans un monde ou Dieu se fait montrer la sortie.

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