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Le Veau d'or, ou quand la pédagogie se prosterne devant la technologie

On appelait cela l'ère de l'audiovisuel... Ensuite, ce fut le tour du PowerPoint, de l'ordinateur portable, du tableau blanc interactif et de la tablette numérique, le iPad, la toute nouvelle idole face à laquelle on demande aujourd'hui aux professeurs de s'agenouiller, comme si tout ce qu'ils avaient fait jusque-là n'avait plus aucune valeur.
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Dans nos établissements d'enseignement aujourd'hui, ce devant quoi de plus en plus d'enseignants doivent se prosterner a comme nom la technologie, ce Veau d'or des temps modernes que les Aaron de ce monde nous présentent comme le nouveau Dieu qui pourra mener les étudiants vers la Terre promise.

Cette forme d'intimidation pernicieuse fait sentir à l'enseignant que s'il veut être reconnu par ses pairs, par l'administration de son école, par ses étudiants et bien sûr par leurs parents, il se doit d'être à la fine pointe de la technologie. Le mot d'ordre est simple: la pédagogie doit s'adapter à la technologie. Celui qui pense le contraire est vu comme un réactionnaire, un frein au progrès, presque un homme - ou une femme - des cavernes! Chose certaine, il ne cadre plus avec l'image qu'on se fait aujourd'hui de l'enseignement. Pour éviter d'avoir honte, d'avoir l'air vieux jeu, bien des professeurs finissent par crouler sous le poids de cette pression en adaptant leur manière d'enseigner, en remettant en question leurs méthodes pédagogiques, puis les objectifs poursuivis et finalement le contenu même de leurs cours.

Cette forme d'intimidation ne date pas d'hier. Le tout a commencé lorsqu'on a voulu « être dans le vent » en faisant entrer le téléviseur puis le projecteur d'acétates et de diapositives dans la salle de cours. On appelait cela l'ère de l'audiovisuel... Ensuite, ce fut le tour du PowerPoint, de l'ordinateur portable, du tableau blanc interactif et de la tablette numérique, le iPad, la toute nouvelle idole face à laquelle on demande aujourd'hui aux professeurs de s'agenouiller, comme si tout ce qu'ils avaient fait jusque-là n'avait plus aucune valeur.

La pensée patchwork

Les deux dernières étapes de ce long processus d'intimidation concordent évidemment avec l'arrivée d'Internet dans les salles de cours. Le tableau blanc interactif et la tablette numérique tirent leur plein potentiel du web. Le problème, c'est qu'Internet n'a absolument pas été pensé pour faciliter les apprentissages de l'étudiant; au contraire! C'est d'ailleurs l'un des messages que nous livre Nicholas Carr dans son ouvrage Internet rend-il bête? Apprendre demande de l'attention, de la réflexion et de la discipline, alors qu'Internet, à l'image de la strip à Las Vegas, est conçu pour nous distraire, attirer notre attention à l'aide d'un réseau de fenêtres, d'images et d'hyperliens qui nous amènent ailleurs, toujours ailleurs.

On ne lit pas sur Internet : on papillonne, on fait des sauts de puce sur l'écran, ce qui n'obéit absolument pas aux règles normales de la lecture qui fonctionne de haut en bas et de gauche à droite. D'ailleurs, plusieurs se sont fait prendre : un livre électronique n'est pas un livre. C'est complètement autre chose. On entre dans le second et on survole le premier.

L'information sur le Net, en plus d'être superficielle, est éclatée, désorganisée; et c'est voulu! Internet n'a rien à faire des sédentaires qui resteraient des heures sur la même page web. Internet fait de nous, par un système de renforcements positifs, des nomades ou des coureurs des bois qui n'arrivent plus à rester en place, qui sont sans cesse attirés par le lièvre qui passe sous notre nez, par tel lien disponible à partir d'un simple clic. La distraction représente l'état naturel dans lequel notre esprit aime se retrouver. La pensée rigoureuse, qui n'a rien de naturel et qui devrait normalement s'apprendre sur les bancs de l'école, exige de l'individu un effort de concentration, de réflexion. Raisonner, c'est aligner une suite d'arguments alors que ce que nous propose Internet, c'est un monde éclaté, fait de fragments de pensée.

En fait, Internet nous donne ce que naturellement, alors enfant, on était porté à vouloir: être distrait, amusé, diverti. Dans un excellent documentaire ayant pour titre La génération numérique, une enseignante affirme : « Nous devons jouer avec les jeunes à l'école, sinon nous les perdons. » C'est ainsi qu'on lance la serviette en donnant à l'élève ce qu'il désire, oubliant que l'éducation a comme tâche de lui apprendre à raisonner d'une manière rigoureuse tout en le faisant accéder à des savoirs qu'il n'est pas encore en mesure de soupçonner, encore moins de désirer.

Le multitâche auquel s'adonnent nos étudiants et que certains enseignants vont même jusqu'à encourager et célébrer comme une victoire, n'est que la résultante de cet univers éclaté et hors de contrôle que nous impose Internet et ses différentes applications. Qui trop embrasse mal étreint. À vouloir tout faire en même temps, nos étudiants apprennent à faire de tout d'une manière médiocre. D'ailleurs, les textes qu'ils nous remettent sont de plus en plus à l'image de ce qu'ils font et retrouvent sur le net : des concepts éparpillés, des phrases qui ne s'enchaînent pas et des paragraphes qui se présentent comme des îlots sans lien entre eux. Résultat : une pensée patchwork.

Nos étudiants sont-ils à blâmer? Absolument pas. Ils sont plutôt les victimes d'un système d'éducation qui, sous l'emprise du mythe technologique, tombe dans la complaisance et la facilité. Ensuite, on viendra nous répéter ad nauseam que nos établissements d'enseignement visent l'excellence!

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