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L'autre jour, un étudiant s'avance vers moi l'air un peu embarrassé. Il voulait me raconter la curieuse expérience qu'il avait vécue le matin même. L'une des tranches de pain qu'il avait mises dans le toaster en était ressortie avec le visage du Christ bien grillé sur la surface.
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L'autre jour, à la fin de mon cours, un étudiant s'avance vers moi sur le bout des pieds, l'air un peu embarrassé. Il voulait me raconter la curieuse expérience qu'il avait vécue le matin même en prenant son petit déjeuner. L'une des tranches de pain qu'il avait mises dans le grille-pain en était ressortie, une minute plus tard, avec le visage du Christ bien grillé sur la surface. Tout y était : la barbe, les yeux, le nez et même les cheveux longs me précise-t-il. Dubitatif, je lui ai demandé ce qu'il avait fait de sa relique. Je l'ai mangée, qu'il me répond en clignant des yeux. Dommage pour lui, car il est peut-être passé à côté d'une occasion en or pour faire un sacré coup d'argent...

En fait, cette expérience mystico-comestible vécue par mon étudiant est loin d'être unique. Au cours des dernières années, si on en croit ce que nous rapportent les médias, Dieu le Père aurait décidé de laisser transparaître d'une manière récurrente les visages de la Sainte Famille sur des objets des plus quotidiens. Terminée l'époque des vieilles icônes suintantes. Ainsi, le visage de la Sainte Vierge serait apparu sur la surface d'un grilled cheese à Miami qui, par l'entremise d'un encan sur eBay, aurait rapporté 28 000 $ à sa propriétaire. Ailleurs dans le monde, le visage du Christ aurait fait son apparition sur la surface d'un bretzel au Nebraska, d'une patate chips en Floride, d'un pain chapati en Inde ou encore sur une poitrine de poulet en Illinois.

Par chance, Dieu, dans son infinie bonté, n'a pas oublié le Canada. Voilà quelques années, le visage du Christ serait apparu sur un morceau de tissu dans une église de l'Île-du-Prince-Édouard. Je m'en souviens comme si c'était hier. Il fallait voir tous ces fidèles à la télévision toucher avec vénération ce morceau de tissu, convaincus qu'ils étaient en train de vivre un moment exceptionnel, pour ne pas dire sacré.

Chose surprenante, à tout coup les médias nous ont présenté ces images ou rapporté ces «faits » sans aucune espèce de distance critique. C'est qu'on ne veut surtout pas brusquer les gens, remettre en question les convictions et croyances de chacun. Mais pourtant, loin de relever d'une croyance religieuse, ce genre de manifestation a plutôt tout à voir avec un comportement mythique pour ne pas dire animiste vieux comme le monde, avec une attitude primitive qui consiste à projeter ses états d'âme sur la réalité qui nous entoure, une réalité malléable qui, sous les pressions de l'inconscient et d'une volonté débilitante, finit par renvoyer à l'observateur en quête de sens ce qu'il a bien voulu y projeter.

Tête de diable et nuit étoilée

Lorsque j'étais jeune, je dormais au sous-sol de la maison familiale. La porte en bois qui séparait ma chambre du reste du sous-sol, où se trouvait une fournaise qui faisait un bruit d'enfer, était parcourue de grandes nervures qui allaient dans tous les sens. Lors de mes longues nuits d'insomnie, je pouvais passer des heures à fixer cette porte. Et savez-vous quoi? À force de la regarder, je m'étais convaincu qu'une tête de diable y était dessinée, un vilain personnage au long nez qui, fruit de mon imagination - j'en suis conscient aujourd'hui - ne cessait de me regarder d'un air menaçant...

Il en est allé de même depuis toujours avec ce ciel étoilé que l'être humain n'a cessé de contempler. Avec le temps, il a fini par y « découvrir » ou plutôt y projeter les formes de différents animaux qui sont devenus par la suite les signes du zodiaque. Il regarde les nuages et y voit différentes formes qui lui rappellent des objets familiers. Il ne peut s'empêcher de voir dans une toile abstraite la représentation d'un sujet particulier. Des taches d'encre projetées au hasard sur du papier - le fameux test de Rorschach - évoqueront différentes images ou impressions à celui à qui on demande de les commenter.

L'esprit humain a horreur du vide, du chaos et de l'absence de sens. C'est pourquoi la raison humaine s'entête de tout temps à trouver le pourquoi du pourquoi, à mettre de l'ordre dans l'univers, à tirer un cosmos de ce chaos et à trouver un sens à la présence de l'être humain sur terre, en dépit du fait que ce sens n'existe pas. Anthropomorphisme, anthropocentrisme, animisme, pensée mythique, pensée magique, superstitions, processus d'identification : voilà autant de noms que les philosophes, psychologues et psychanalystes ont donnés à différents processus mentaux qui consistent, grosso modo, à projeter dans le monde extérieur ses propres désirs, craintes et angoisses, pour ensuite les reconnaître comme ayant une existence autonome.

Ce qui est fantastique avec ce processus mental, c'est qu'il peut très bien contaminer les personnes qui côtoient celui qui affirme voir ou avoir vu une soucoupe volante, le visage de la Sainte Vierge, du Christ ou du diable en personne pour devenir, au final, un phénomène collectif qui peut parfois se transformer en névrose collective.

Voilà, c'est en gros ce que j'ai raconté à mon étudiant ce matin-là, en espérant qu'il ne se sente pas coupable d'avoir consommé le corps du Christ en guise de petit déjeuner.

Et j'allais oublier: joyeux Noël à tous!

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