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«Je veux être un esclave!»

J'ai toujours trouvé inquiétant de voir de jeunes adultes encore en formation exiger du système d'éducation supérieure qu'il se colle aux exigences du marché du travail et de la grande entreprise.
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J'ai toujours trouvé inquiétant de voir de jeunes adultes encore en formation exiger du système d'éducation supérieure qu'il se colle aux exigences du marché du travail et de la grande entreprise. Non contents de voir le système d'éducation comme un lieu où ils peuvent aller chercher les «outils» nécessaires pour leur formation, ils veulent en fait devenir eux-mêmes ces outils de travail! Pour Aristote, un esclave était un outil vivant qu'avait créé la nature pour accomplir une fonction précise, évidemment au profit du maître... Lorsque j'entends tous ces gens qui aimeraient que les institutions de formation supérieure répondent à la lettre aux exigences du marché et de la grande entreprise, c'est comme s'ils se mettaient à crier en chœur «nous voulons être des esclaves!»

À quoi ça sert?

«La nature de l'homme est d'être libre et de vouloir l'être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l'éducation le lui donne», nous dit La Boétie en 1574 dans son Discours de la servitude volontaire. Un de ces mauvais plis que je constate trop souvent chez plusieurs de mes étudiants lorsqu'ils se présentent à leur premier cours de philosophie, est de vouloir jauger la réalité qu'à partir du fameux «à quoi ça sert?» Parfois en boutade, il m'arrive de leur demander, pour les faire réfléchir aux enjeux qui se cachent derrière cette question: «Toi, à quoi tu sers?»

Instruction et éducation

C'est que trop souvent les étudiants et les décideurs confondent ce qui relève de l'instruction et de l'éducation. Instruire quelqu'un, c'est lui donner des compétences pour accomplir une tâche ou pour acquérir un métier qui lui permettra de «gagner sa vie», de subvenir à ses besoins primaires. Évidemment, ceci est essentiel pour l'individu et pour la société. L'éducation, elle, s'adresse à l'être humain dans son intégralité. Elle vise non pas seulement à façonner un outil qui répondra aux exigences du marché, mais surtout à permettre à l'être humain de s'épanouir sous toutes ses facettes, à mieux saisir et comprendre son époque, la réalité complexe dans laquelle il a été jeté, à développer son esprit critique par rapport à celle-ci, à en comprendre les enjeux et les défis, à prendre position dans les débats de société, à se soucier du sort des autres et de la collectivité : en somme, à être un être humain et un citoyen qui sera en mesure d'user adéquatement de sa raison et de sa liberté.

Perpétuer le système

Comme le fait remarquer Chris Hedges dans son livre L'empire de l'illusion, nos institutions d'éducation supérieure, sous la pression des techniques de management, ressemblent de plus en plus à des centres de formation professionnelle haut de gamme où les étudiants viennent acquérir des compétences pointues qui pourront combler, demain, les demandes du marché du travail, mais qui deviendront malheureusement souvent désuètes après-demain. Privés ainsi des ressources intellectuelles qu'aurait pu leur transmettre une formation générale et humaniste solide pour questionner le système dans lequel ils sont englués, ils n'auront alors d'autre choix que de le perpétuer machinalement, et ce, au grand plaisir de ceux qui contrôlent l'économie et dictent de plus en plus les grandes orientations de l'État.

Peut-on freiner cette tendance? Est-il utopiste de vouloir donner à nos jeunes adultes une éducation dans le sens fort du terme? Avec Yves Bolduc comme nouveau ministre de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, qui à l'époque où il était devenu ministre de la Santé ne jurait que par la méthode Toyota, il y a de quoi être inquiet...

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