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La solitude des chefs de la diplomatie américaine

Pourquoi Tillerson a-t-il échoué à imposer son leadership au sein de l’administration Trump?
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Rex Tillerson
Leah Millis / Reuters
Rex Tillerson

Le renvoi d'un secrétaire d'État américain qui n'est même pas arrivé à mi-mandat constitue un geste plutôt inusité. C'est après le départ de Rex Tillerson que Mike Pompeo prend les rênes de la diplomatie américaine, opération qui vise à redonner le lustre d'antan à un système qui peine à se retrouver depuis un bon bout de temps. Comment s'expliquent ces échecs successifs de la diplomatie états-unienne? Pourquoi Tillerson a-t-il échoué à imposer son leadership au sein de l'administration Trump?

Dans le système politique américain, tout membre du cabinet, y compris celui qui occupe le très convoité poste de secrétaire d'État (surtout lui!), réussit dans sa mission à la seule condition d'incarner, dans ses fonctions, la volonté du président! Ce principe est encore valable, peu importe les noms ou les époques.

Vraisemblablement, le 69 secrétaire d'État Rex Tillerson a oublié cet élément essentiel du rouage politique washingtonien. Issu du grand monde des affaires qui gravite autour du pétrole, cet ingénieur imposant et austère n'avait aucune des qualités utiles pour être à la tête de la diplomatie américaine. Il ne disposait ni d'une expérience au niveau gouvernemental (il a travaillé toute sa vie pour Exxon) ni d'un bagage intellectuel nécessaire pour conceptualiser et opérationnaliser les relations internationales. Il avait par contre une connaissance approfondie des négociations internationales, doublée d'un certain sens éthique (il s'est positionné contre la corruption utilisée comme levier pour atteindre des objectifs économiques à l'étranger).

Pourtant, il ne disposait pas d'une ligne de pensée diplomatique qui devait illustrer sa propre philosophie des affaires du monde. Sa nomination à la tête du Département d'État est venue à la suite d'une suggestion faite par Condoleezza Rice, la voix à travers laquelle l'administration de Bush fils s'exprimait à l'international dans les années 2000. Tillerson a subi le fait que le président Trump avait déjà des idées arrêtées sur la forme que devrait prendre la nouvelle politique étrangère des États-Unis.

L'accord de Paris sur le climat, le dossier du nucléaire iranien, l'évolution de la Chine ou les tactiques utilisées par les Russes constituaient plutôt des divergences entre le secrétaire d'État et le président. Le terrain d'entente absolument indispensable pour chercher un compromis sur ces sujets ne fut jamais trouvé.

Le terrain d'entente absolument indispensable pour chercher un compromis sur ces sujets ne fut jamais trouvé.

Dans les débats autour de ces enjeux, Tillerson faisait figure de modéré, voire d'opposant, et évitait de se placer dans le sillage de son président. L'Iran et la Chine étaient ses points les plus faibles et l'écart entre lui et le président se creusait davantage. Lors d'un déplacement officiel en Chine, à la fin d'un entretien avec le leader chinois Xi Jinping, il lui arrivait d'avancer des propositions très légères de type « gagnant-gagnant » au lieu d'avoir une posture plus corsée. Avec le chef de la diplomatie iranienne, Javad Zarif, il était en fait en difficulté dans des rencontres multilatérales et pour s'en sortir, il lance à l'improviste une assertion grave: « Je ne sais pas. Je ne suis pas un diplomate ».

Sous sa gouverne, le département d'État s'est vu couper les vivres passant à une véritable cure d'austérité. Le montant soustrait s'est retrouvé ailleurs, dans les coffres de la Défense. Des postes de gestion, d'analystes et d'experts sont encore sans titulaires, contexte sans précédent à l'aube des grands chantiers de négociations qui s'ouvrent dans le futur proche. Il est vrai aussi que des noms avancés par Tillerson pour remplir ces postes étaient systématiquement rejetés par la Maison-Blanche, à cause du fait que plusieurs de ces diplomates, proches des républicains, ont critiqué sans détour Trump lors de la campagne électorale.

Il faut retourner en arrière de quelques quatre décennies pour trouver un échec si retentissant comme celui de Tillerson dans la politique étrangère états-unienne: Wiliam P.Rogers, le très effacé secrétaire d'État durant le premier mandat de Richard Nixon. Le rôle de Rogers était minimal puisque tout le pouvoir fut concentré dans les mains du puissant Henry Kissinger, de facto « le vrai » diplomate en chef de l'administration américaine, malgré sa fonction officielle de National Security Adviser (NSA). La prestation de Rogers fut confiée à la gestion des évènements marginaux, sans impact pour la politique internationale. Le paradoxe de la situation réside dans le fait que dans la configuration mentionnée, les États-Unis ont enregistré des succès notables (l'ouverture internationale de la Chine, la fin des négociations avec le Vietnam du Nord, la détente avec l'Union soviétique). Ceci est la preuve que la meilleure solution pour que le "couple" président-secrétaire d'État (ou le NSA) fonctionne, est d'harmoniser l'expérience avec l'expertise (Nixon, à côté de Theodor Roosvelt, était parmi les présidents ayant une fine connaissance des dossiers internationaux tandis que Kissinger était professeur à Harvard).

Pourtant, les bons offices entre la Maison-Blanche et le State Departement commencent à se détériorer à partir des années 50. Une des raisons récurrentes pour ce fait, c'était le peu de suivi des requêtes présidentielles auprès du ministère. Le président Kennedy déconsidérait le Secrétariat d'État puisque «lui donner des instructions revient à jeter celles-ci dans une boîte postale hors d'usage». L'estime de Kennedy pour son secrétaire d'État, Dean Rusk, était très faible parce que ce dernier ne lui donnait pas " rien à mâcher, rien de provoquant".

Que dire, quelques années plus tard, sous la présidence de Jimmy Carter, de la relation extrêmement tendue et complexe entre son NSA, Zbigniew Brzezinsky et le secrétaire d'État Cyrus Vance. Soucieux de ne pas rompre un équilibre déjà fragile entre ces deux piliers de son administration, Carter finit lui-même par avoir un discours ambivalent, selon l'approche plus modérée (Vance) ou plus dure (Brzezinsky) envers l'ennemi suprême l'Union soviétique. D'ici, jusqu'à la perte des élections, ne fut qu'un pas pour Carter.

Les vicissitudes de l'approche se ressentent même dans une époque plus proche de nous, quand les secrétaires d'État pendant l'administration Obama, Hillary Clinton et John Kerry, avaient une différence de vue accentuée sur des enjeux spécifiques. Ainsi, Clinton voulait armer l'opposition syrienne, mais Obama n'agréait pas l'idée, tandis que plus tard, Kerry préconisait d'éventuels bombardements sur la Syrie si la « ligne rouge » était dépassée par le régime d'Assad.

Apparemment avec Mike Pompeo cette boucle pourrait se fermer puisque ses positions dures se rapprochent vertigineusement de celles du président Trump. Question non négligeable, Pompeo montre une qualité indissociable des exigences requises pour occuper ce poste : le courage d'affronter ouvertement les grands défis qu'attendent les États-Unis dans le futur proche. C'est de cette manière que la dissolution de la politique étrangère américaine amorcée il y a trente ans pourrait s'estomper. La marche si ingénieusement suivie par le Département d'État pendant la Guerre froide peut reprendre vigoureusement et cette option sans détour reste la seule pour assurer la prééminence du pays dans des affaires internationales alambiquées comme aujourd'hui.

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