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L’Italie ou la chronique d’une mort annoncée

Comment expliquer ce résultat catastrophique pour ce pays fondateur de l'Union européenne, la troisième économie de la zone Euro et membre du G7?
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Le légendaire comédien italien, Totò, avait l'habitude de régaler son public cinéphile avec cette plaisanterie insérée dans ses films cultes : « Si stava meglio quando si stava peggio » (traduction libre : ça allait mieux quand on pensait que ça allait très mal).

Cela caractérise très bien le résultat du scrutin de dimanche. L'Italie sombre dans le populisme d'une manière très claire et nette pour la première fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Si à l'époque le pays se débarrassait du fascisme de Mussolini pour reprendre le chemin de la démocratie, de nos jours, les Italiens placent leur confiance dans le parti Mouvement 5 Étoiles (M5E), un regroupement dont le slogan de lancement était : « aller vous faire... »!

M5E obtient plus de 30 % des voix dans un système électoral qui combine le type de vote proportionnel et celui uninominal, dont le minimum requis pour donner une majorité est de 40 %.

Mais cela n'est pas tout. Si M5E rafle le Sud du pays avec un support qui dépasse dans certaines régions plus de 60 %, dans le Nord, le gagnant, avec 18 % des voix, est un autre parti populiste La Lega (la Ligue) xénophobe, sécessionniste, anti Euro et anti l'Union européenne. On dirait que chaque région historique du pays a son propre populisme, plus à droite ou plus à gauche!

On dirait que chaque région historique du pays a son propre populisme, plus à droite ou plus à gauche!

Les modérés de Forza Italia, disons-le avec un grain de sel, (guidés par l'ancien premier ministre Silvio Berlusconi) frôlent les 15 % et le Parti Démocratique, de centre gauche (qui gouvernait paisiblement avec une figure très respectable comme Paolo Gentiloni) s'écroule dans le néant, sous la barre de 20 %.

Comment expliquer donc ce résultat catastrophique pour ce pays fondateur de l'Union européenne, la troisième économie de la zone Euro et membre du G7?

Les événements qui se déroulent après la fin de la Deuxième Guerre mondiale sont très édifiants en ce sens. Les premiers gouvernements démocratiques sont établis vers la fin des années 40 avec l'aide des États-Unis qui offrent leur support politique et financier en échange de l'abandon des communistes et socialistes de l'intention de faire partie de l'exécutif de la République. L'appui des Américains est donné pour contrebalancer la position extrêmement privilégiée dont l'URSS jouissait dans la péninsule italique grâce aux millions d'adhérents au Parti communiste. Comme les États-Unis ne pouvaient pas se permettre de subir une influence soviétique géopolitique dans la zone méditerranéenne, ils déploient des efforts pour la réinsertion du pays dans le giron international et financier. Ainsi, le pays adhère à l'Organisation européenne de coopérations économique (qui contrôle la distribution des fonds du Plan Marshall), au Conseil de l'Europe en 1948 et par la suite à l'OTAN en 1949, des gestes politiques qui scellent son sort pour les prochaines décennies.

Sous le parapluie états-unien, l'Italie connaît un développement économique sans précédent, avec des ratios de croissance de 10 % annuellement, qui rappellent l'ascension de la Chine d'aujourd'hui. De surcroit, son PIB dépasse, pour une brève période, celui de la Grande-Bretagne.

L'essor industriel va de pair avec l'évolution politique qui voit deux courants politiques s'imposer parmi les autres qui fragmentent l'échiquier public : la démocratie chrétienne (DC) et le socialisme (PS). Les crises s'enchainent, l'instabilité politique s'accentue en raison des innombrables gouvernements qui se succèdent au pouvoir et des dérapages majeurs ont lieu, culminant avec l'assassinat du premier ministre Aldo Moro, ou d'autres attentats de la phalange extrémiste de gauche des Brigate Rosse (les Brigades rouges). Des figures imposantes comme Giulio Andreotti (malgré les accusations de liaisons avec le crime organisé, jamais prouvées en justice) et Bettino Craxi (qui a fini sa vie dans un exil de luxe en Tunisie) assurent un leadership qui maintient l'Italie sur l'orbite occidentale. Le monde bancaire trouve dans la personnalité d'Enrico Cuccia, le président de Mediobanca, un véritable « roi Midas » pour accompagner la croissance des PME.

L'intérêt diminué des États-Unis envers l'Europe dès la fin de la Guerre froide, combiné avec la corruption rampante qui fait la une des médias, détermine l'implosion d'un système qui se désintègre sous le poids de ses propres limites.

L'intérêt diminué des États-Unis envers l'Europe dès la fin de la Guerre froide, combiné avec la corruption rampante qui fait la une des médias, détermine l'implosion d'un système qui se désintègre sous le poids de ses propres limites. Le purgatoire juridique commence avec des investigations, transformées en accusations portées contre l'establishment politico-industriel par une équipe de procureurs de Milan, opération connue sous le nom de « Mani Pulite » – Mains Propres. La disparation complète des partis qui ont façonné la vie politique pour un demi-siècle s'amorce et depuis 30 ans nous assistons à des expérimentations de toute sorte dans la tentative de finir avec l'ancien régime. Les résultats le plus notables ont été obtenus quand des technocrates comme Enrico Letta ou Mario Monti ont pris les rênes du pouvoir pour remplacer à la tête du gouvernement des politiciens qui ont échoué dans leur performance. Les déficits s'accumulent l'un après l'autre et la dette dépasse toutes les limites acceptables (plus de 130 % du PIB). Les industries qui auparavant étaient les fleurons de l'économie ferment à jamais ou délocalisent vers l'Est de l'Europe pour produire à moindre coût. La crise de 2008 met le pays à genoux avec un chômage fracassant, surtout chez les jeunes.

Sur ces assises nocives et malsaines, l'ascension des partis populistes ne doit plus étonner personne. Sans un véritable chef politique depuis les années 90 (en dépit de la présence du magnat Silvio Berlusconi dans le giron gouvernemental à plusieurs reprises), sans des politiques réformistes et sans argent dans ses coffres, les citoyens font de l'UE leur bouc émissaire préféré. Sortir de la zone Euro, de l'UE, expulser les immigrants (un demi-million) sont des scénarios véhiculés par ces partis douteux, menés par des personnages comme Luigi Di Maio, dont le parcours professionnel avant de se lancer en politique n'a rien d'enviable.

Dans ce contexte, le danger pour l'ordre libéral international est imminent. L'UE subit de nouveau, après le Brexit, une forte pression. Le couple franco-allemand, le seul qui résiste aux sirènes du populisme, doit faire preuve de beaucoup d'imagination dans la recherche de solutions, puisque c'est l'existence même de l'UE qui est en péril.

La paraphrase du film présentée au début de cette réflexion est évocatrice pour comprendre les aléas de l'histoire et saisir le mur que l'Occident risque de frapper bientôt s'il ne revient pas aux valeurs fondamentales comme l'éducation et la culture, le travail acharné et les investissements en innovation. Quelqu'un à Kremlin doit bien sourire de toutes ses dents. Il n'aura plus besoin de sous-marins et de missiles balistiques pour mettre les mains sur l'Europe, qui se livre elle-même, petit à petit, sur un plateau.

Prochain épisode à suivre : les élections en Hongrie, dans quelques semaines.

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