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Il est du devoir du milieu du cinéma (et surtout de la nouvelle génération) et des citoyens d'appuyer la Cinémathèque québécoise et de signaler au gouvernement qu'il est plus que temps que celle-ci cesse d'être menacée à tout bout de champ.
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Fils d'un peuple réputé avoir inventé le zéro, je sais que l'on peut l'utiliser pour deux choses : mettre l'emphase sur la nullité ou gonfler des exploits.

On peut, par exemple, l'utiliser pour affirmer, comme l'a fait la ministre Hélène David, que le gouvernement provincial subventionne à 80% la Cinémathèque québécoise (alors que l'on apprenait dans Le Devoir du 26 mars qu'il s'agit en fait de 80% des subventions que celle-ci reçoit - nuance non négligeable -, lesquelles couvrent en vérité 49% du financement de l'établissement).

On peut également l'utiliser pour dire que la Cinémathèque accuse un manque à gagner d'environ 800 000$ pour boucler son budget annuel d'exploitation, soit fonctionner normalement et permettre à ses employés des salaires décents. Sur le budget total d'environ 97 milliards de dollars du gouvernement provincial (neuf zéros après le 97), on parle ici du poids d'un cil dans un verre de lunettes.

On peut par ailleurs dire qu'en 70 heures, une page Facebook d'appui à cette dernière, mise en ligne par initiative citoyenne le 6 mars 2015 *, aura récolté près de 5000 nouveaux adeptes et que 0 $ n'aura été dépensé en investissements médias sociaux pour le faire.

On peut tergiverser longtemps au sujet de la performance. Les notions hautement englobantes de la performance et de la rentabilité semblent en fait s'incarner en tout ces jours-ci.

Il serait bon de comprendre pourquoi, et ce de manière immuable, la duperie révoltante qui se cache derrière des choix politiques censés donner un sens et une légitimité à une idéologie, s'accompagne d'un saccage du modèle de l'état québécois, qui passe inévitablement par la destruction d'assises jugées lourdes pour celui-ci.

Une espèce d'inconscient collectif apparaît guider les Québécois vers l'acceptation d'une privatisation de tout ce qui bouge. Une fétichisation de la croissance, doublée d'une certitude bétonnée que tout ira mieux par la suite. Les dommages collatéraux d'une guerre idéologique « éclair » menée sur une multitude de fronts, comme le rappelait l'économiste indépendant Ianik Marcil, lors de la série de conférences « La dépossession tranquille », le week-end dernier.

La réalité est peut-être la suivante : la suite est qu'il n'y en a pas. La suite est que la minorité a gagné et que l'on ne fera qu'utiliser le même trait pour souligner la défaite et barrer un zéro de plus au bas de la feuille Excel qui compose le cortex cérébral des opérateurs de la machine. La suite est que les plus brillants stratèges ont pu convaincre une bonne partie de la population qu'elle est elle-même le problème. La suite est qu'une bonne partie de l'électorat croit qu'un budget provincial est analogue à un budget familial. La suite est que l'on ne vote même pas lorsqu'il pleut dehors. La suite est qu'à coup de zéros, l'idée nous est venue de finir par paraphraser Marjo collectivement: «J'lâche ÇA, j'attends pas d'crever ». Et quand il ne reste que des zéros, il nous reste tout ce qu'un parcours en forme de cercle étiré peut offrir : la possibilité de tourner en rond, en se disant que les courbes ne sont pas trop prononcées.

Les marionnettes d'une forme abâtardie de libertarianisme - on pensera ici à la rencontre improbable entre un tailgate party, la Ligue du vieux poêle et un directeur de PME sans surmoi - ont cantonné les mots « arts » et « culture » à de tels stéréotypes que l'on s'y habitue soudainement et qu'il devient possible d'y croire. L'artiste « B.S. de luxe » vit en bohémien subventionné, d'un plateau de télé à un autre et peut-être qu'une piste de karting devrait remplacer le Musée des beaux-arts... Les paroles des mêmes qui voient des individus quand on devrait voir des lignes de parti et qui voient des groupes monolithiques quand on devrait voir des cas isolés. Des bougres qui parlent trop souvent à un public incapable de comprendre un texte lorsqu'il n'est pas emmitouflé entre deux publicités pour une chaîne de rôtisseries. Collatéralement parlant, la pauvreté esthétique qui se dégage des réseaux sociaux et de l'affichage de ces groupes nous invite, à elle seule, à leur payer un abonnement à toutes les institutions qu'ils désirent voir fermer.

La Cinémathèque québécoise n'est pas tout simplement un cinéma, pas tout simplement un entrepôt et pas tout simplement un musée de l'image. Si le gouvernement de Monsieur Couillard a à cœur l'idée de faire des Québécois un peuple fier - ce dont on doute -, voilà pour lui une occasion en or de conserver une institution unique au Canada et jalousée à travers le monde entier. Par ailleurs, lorsque l'on connait le sort des fonds d'archives qui se retrouvent à dormir pêle-mêle à BAnQ (où l'équipe travaille avec les limites qu'on lui impose), la bonne continuité de la mission de la Cinémathèque peut apparaître à tout le moins contentieuse.

Il est du devoir du milieu du cinéma (et surtout de la nouvelle génération) et des citoyens d'appuyer cet établissement et de signaler au gouvernement qu'il est plus que temps que celle-ci cesse d'être menacée à tout bout de champ.

* Ralph Elawani est l'instigateur de la campagne «Appuyons la Cinémathèque québécoise»

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