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Déroute syndicale au Wisconsin

Alors que plusieurs n'ont à peu près d'yeux, lorsqu'il est question de politique américaine, que pour le duel opposant Barack Obama à Mitt Romney, une onde de choc vient de se faire sentir à environ 1 500 km de la capitale de Washington, DC cinq mois avant le scrutin présidentiel. Le Wisconsin, État du Midwest réputé davantage pour ses produits laitiers que pour ses conflits politiques, vient en effet d'asséner un coup au mouvement syndical sans parallèle au cours des dernières années.
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AP/Getty

Alors que plusieurs n'ont à peu près d'yeux, lorsqu'il est question de politique américaine, que pour le duel opposant Barack Obama à Mitt Romney, une onde de choc vient de se faire sentir à environ 1 500 km de la capitale de Washington, DC cinq mois avant le scrutin présidentiel. Le Wisconsin, État du Midwest réputé davantage pour ses produits laitiers que pour ses conflits politiques, vient en effet d'asséner un coup au mouvement syndical sans parallèle au cours des dernières années.

C'est que le gouverneur républicain Scott Walker a survécu hier à une élection de « rappel » (recall), l'emportant avec 53% des voix face au maire démocrate de Milwaukee Tom Barrett, qu'il avait également battu en novembre 2010. Si les deux hommes se sont affrontés à nouveau dans un laps de temps aussi court, c'est que les syndicats de l'État et leurs alliés ont tenté, comme le permet la loi au Wisconsin, de faire congédier le gouverneur avant que son mandat de quatre ans ne soit venu à échéance.

Comment en est-on arrivé là en premier lieu ? La raison est fort simple : Walker, élu dans le tsunami républicain de 2010, a piloté dès ses premiers mois une refonte majeure des droits des employés de l'État et des syndicats auxquels ils appartiennent. Cette réforme exige notamment des fonctionnaires qu'ils contribuent davantage à leur assurance-maladie et à leur pension et leur retire le droit de négocier collectivement pour autre chose que leur salaire. Cela dans l'État qui, plus d'un demi-siècle auparavant, était devenu le tout premier de l'Union à permettre la négociation collective des employés du secteur public, pratique toujours interdite au niveau fédéral.

La réaction des employés gouvernementaux, de leurs fédérations et de leurs partisans, voyant le plan de Walker comme une déclaration de guerre ouverte, a été rapide, bruyante et saisissante. Bon nombre d'entre eux voyaient cette réforme comme une menace fondamentale à leurs acquis - et à leur pouvoir politique - qui n'avaient jamais jusque-là été remis en question de façon aussi frontale. Ils ont donc décidé d'agir.

Leur première stratégie a été de tout faire pour bloquer le projet de loi. Minoritaires dans les deux chambres de l'Assemblée législative, les sénateurs démocrates, proches des syndicats, ont fuit l'État pendant près d'un mois afin de priver le Sénat du décorum nécessaire pour passer la législation. Ils ont cependant éventuellement dû rentrer au bercail et, à leur retour, la loi a été votée - et adoptée.

Une fois la réforme entérinée par Walker, ses opposants se sont tournés vers les tribunaux. Plus spécifiquement, ils ont ciblé un juge républicain de la Cour suprême, David Prosser, se présentant pour sa réélection en 2011 (au Wisconsin, comme dans plusieurs autres États américains, les juges peuvent être redevables directement à l'électorat). L'idée était de remplacer Prosser par JoAnne Kloppenburg, une juriste identifiée à la gauche du spectre politique, et ainsi plus susceptible d'éventuellement trancher dans une Cour divisée pour invalider la nouvelle loi. Prosser l'a toutefois emporté... et a servi de vote décisif dans la décision du plus haut tribunal de l'État, quelques mois plus tard, confirmant la réforme de Walker.

Défaits dans leurs tentatives de freiner, puis de renverser la loi, les syndicats ont décidé de faire grimper les enchères d'un cran additionnel en lançant des campagnes de rappel visant les politiciens ayant soutenu la réforme. La première vague de ces tentatives de rappel a eu lieu à l'été 2011, où l'objectif était de ravir aux républicains leur majorité au Sénat du Wisconsin. Six sénateurs républicains ont ainsi dû se représenter devant les électeurs avant que leur mandat n'ait été complété. Des six, quatre l'ont emporté - privant les démocrates du minimum nécessaire pour reprendre la majorité de la Chambre haute.

Il restait une carte dans la manche syndicale, une de taille : l'élection de rappel contre Walker lui-même. Pour faire face au gouverneur sortant, les syndicats ont activement fait la promotion de leur candidate préférée, Kathleen Falk, dans la primaire démocrate. Le 8 mai dernier, Falk s'est inclinée devant Tom Barrett par plus de 15 points. Le même jour, Walker a récolté plus de voix dans la primaire républicaine - alors qu'il ne faisait pourtant face à aucun réel adversaire - que Falk et Barrett combinés.

Puis est finalement venu le vote d'hier, qui reconduit Walker à la tête de l'État jusqu'à la fin de son mandat, prévue en janvier 2015 (il aura l'option de se présenter pour sa réélection « normale » en novembre 2014). Ceux ayant fait le décompte en viendront à un chiffre : cinq. C'est le nombre d'échecs majeurs qu'a essuyés le mouvement syndical au Wisconsin, la première (l'adoption de loi) leur étant sans doute la plus dommageable et la dernière (la victoire électorale de Walker) la plus embarrassante. Avec cinq revers de la sorte, on ne parle pas simplement de défaite - on parle de déroute.

Quelles sont les implications de cette déroute ? Plusieurs républicains l'associeront inévitablement à un signe des chances de Mitt Romney de remporter l'État en novembre. Cette lecture s'avère toutefois simpliste. Le gain de Scott Walker hier s'explique sans doute au moins en partie par certains facteurs, notamment une récalcitrance chez plusieurs électeurs de mettre prématurément fin au mandat dûment remporté par le gouverneur, qui ont très peu à voir avec Barack Obama ou avec l'élection présidentielle.

De plus, si la lutte entourant la réforme de Walker touchait des enjeux spécifiques strictement locaux, il en sera autrement pour la course présidentielle, lors de laquelle seront débattues des questions nationales. Même si Obama demeure vulnérable au Wisconsin (malgré sa victoire confortable là en 2008, il ne faut pas oublier que ses prédécesseurs démocrates Al Gore et John Kerry y avaient tous deux devancé George W. Bush par moins d'un demi pourcent en 2000 et en 2004, respectivement), le résultat d'hier ne lui empêche en aucun cas de pouvoir espérer gagner en novembre.

Où le phénomène observé au Wisconsin pourrait avoir des répercussions, c'est possiblement davantage au niveau de l'appétit que pourraient développer certains politiciens dans d'autres États et à Washington, qu'ils soient déjà en place ou qu'ils se fassent élire en novembre, pour confronter les intérêts syndicaux. Ces derniers revêtaient jusqu'ici pour bon nombre d'élus l'apparence d'une bête vorace qu'on ne pouvait daigner attaquer. Aujourd'hui, cette apparence est sans doute pour plusieurs davantage celle d'un chien qui, après avoir aboyé intensément et systématiquement, peine à mordre.

À un moment de lutte aux déficits et de resserrements budgétaires observés à la grandeur du pays, là n'est peut-être pas le changement d'image publique le plus prudent à adopter.

Les opinions exprimées dans ce blogue sont strictement personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'Université du Québec à Montréal.

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