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Aretha Franklin est-elle née noire ou féministe en premier?

«On ne sait pas si elle est née noire ou féministe en premier, mais une chose est sûre c'est qu'elle est née définitivement libre.»
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Rebecca Cook / Reuters

Comment rester féministe en vacances? Avec le chassé-croisé du 15 août, entre la marmaille à gérer, les exigences diverses et variées, nous sommes à cet endroit précis sous le soleil exactement, où l'on se demande si notre féminisme ne serait pas parti en vacances ? Mais quand on sait poser une question, souvent on a une réponse.

Le 16 août, c'est le coup de bambou! Où que nous soyons sur la planète terre, même les pieds dans l'eau, nous apprenons par la magie des réseaux qu'Aretha Franklin est désormais au ciel. Ribambelle de RIP.

Après le choc, un seul mot résonne à l'infini : RESPECT.

Un mot comme un impact, aussi magnétique qu'Aretha Franklin, un mot devenu le prolongement d'elle-même pour mettre un stop à l'intolérable, pour prendre les rennes, sans que personne ne lui explique la vie qu'elle connait déjà bien.

Aretha Franklin, perd sa mère à 10 ans, est enceinte à 13, puis une seconde fois avant ses 15 ans. C'est sa grand-mère Rachel qui s'occupe de ses fils pour l'aider à progresser dans sa carrière.

Alors en ce jour de perte internationale, j'opte pour le recueillement, honteuse de mes infidélités estivales à mon féminisme en écoutant à fond : "Respect".

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C'est ce titre qui, dès 1967, érige Aretha Franklin en Reine de la Soul donnant le "LA" à l'ensemble de sa carrière. Mais on ne devient pas Reine par hasard, seule sa puissance est le trône de son règne.

On ne sait pas si elle est née noire ou féministe en premier, mais une chose est sûre c'est qu'elle est née définitivement libre.

C'est cette liberté si précieuse pour elle, que par amour des autres elle veut partager sans relâche. Générosité rare qui à travers sa musique veut briser toutes les formes de cloisons, personnelles comme sociales. Elle sait que la liberté n'a de sens que pour résister et témoigner alors elle choisit de la planter comme un pilier au cœur de son art.

Comme Nina Simone, elle a compris sa mission, d'être née noire dans un pays dirigé par les blancs et d'être une femme dans un monde contrôlé par les hommes.

Ainsi, malgré les épreuves, elle garde cette force de vie en elle, pour porter haut et fort sa musique, autant que son féminisme.

Selon elle, quelque chose sonne faux dans la chanson "Respect" d'Otis Redding, alors elle se sent légitime pour la reprendre en changeant les paroles.

En effet, en 1965 la version d'Otis Redding prône le respect que "la" femme doit à son homme qui ramène de l'argent à la maison. Aretha Franklin du haut de ses 25 ans tord le cou à la chanson autant qu'à "l'ordre" social pour remettre le tout à l'endroit.

Le titre qui initialement chanté par un homme et pas n'importe lequel, disait "All I'm asking is for a little respect when I come home" ("tout ce que je demande c'est un peu de respect quand je rentre à la maison") devient alors "all I'm asking is for a little respect when you get home" ("tout ce que je demande c'est un peu de respect quand tu rentres à la maison").

Elle a pris à bras le corps sa responsabilité d'artiste femme pour chanter ce "Respect", qu'elle consacre en règle fondamentale de vie. Sans hurlement stérile, sans mépris, ni frustration, elle utilise ce don, cette voix pour chanter ce qui lui semble juste. Avec honnêteté du cœur, générosité du coffre et courage authentique, cette reprise a non seulement fait oublier l'originale mais plus encore, est devenue le plus bel hymne féministe de tous les temps.

Paradoxalement, c'est parce que Franklin a l'oreille absolue qu'elle s'est fait entendre.

Deux ingrédients majeurs ont permis cette réussite. D'abord, la chanson ainsi réécrite renverse des codes sociaux profondément ancrés où l'homme rentrait à la maison et dictait sa loi dans un contexte politique.

Ensuite, c'est par la puissance et la beauté inédite de la voix d'Aretha Franklin que l'ensemble des femmes noires comme blanches se sentent légitimement représentées.

C'est de la conjugaison entre cette voix incomparable et ce texte inédit qu'est née une chanson historique qui s'inscrit d'une part, dans la tradition negro spiritual, souhaitant l'affranchissement contre la domination, et d'autre part, dans la modernité pour une autre forme d'égalité, celle des sexes.

C'est parce que Franklin nous offre dans une cohérence parfaite entre ses fondamentaux, son récit, son histoire, son travail, sa voix, ses valeurs qu'elle se dépasse artistiquement et qu'elle peut aller encore plus loin dans la revendication de l'égalité. Elle opère une révolution artistique qui permet au féminisme d'avoir un écho au niveau planétaire dans un contexte de lutte pour les droits civiques.

Les albums «Aretha's Gold» et «Soul'69» avaient tous deux été lancés en 1969.
TIMOTHY A. CLARY via Getty Images
Les albums «Aretha's Gold» et «Soul'69» avaient tous deux été lancés en 1969.

À l'heure où on se pose toutes ces questions, qui nous font perdre un temps démentiel, entre féministes et afroféministes et je ne sais quoi encore..., qui seraient différents en fonction des motifs de discrimination dans la lutte pourtant commune pour l'égalité; c'est une belle leçon de musique.

En pleine lutte pour l'égalité des noirs aux États-Unis, elle n'hésite pas à s'attaquer au titre, d'un homme noir : Otis Redding, qui a déjà une reconnaissance solide.

Sans avoir besoin de se définir afro ou féministe ou les deux en même temps, c'est parce que libre, grâce à son courage, son travail et son talent qu'elle s'affranchit de toute définition pour seulement faire ce qu'elle a à faire : partager son goût de liberté, d'égalité, de justice qu'elle martèle au-delà des mots, parce que la musique est "le plus court chemin d'un cœur à l'autre".

C'est par cette route que la Reine de la soul, Reine de l'âme, prend la défense du corps de toutes les femmes dans un monde ou le spirituel ou le spiritual est en perte de repère.

Ce titre Respect, c'est l'intelligence de prendre son art, son don à force de travail comme une arme pour combattre et exiger quelque chose de fondamental pour toutes et tous. Ici, les notes de musiques sur la portée offrent justesse et justice à la fois. Une clef de "fa" ou de "sol" qui ouvre les portes de la conscience en prenant d'autres itinéraires.

Aretha Franklin sait dans ses croches et doubles croches donner les uppercuts d'une manière inattendue qui mettent KO, tout en faisant tenir debout, tête haute.

C'est parce qu'Aretha Franklin chante la dignité d'une manière si profonde, qu'en réalité elle dit la loi pour le bien de tous, avant les législateurs... à en fait pleurer le Président Obama plus tard. Respect.

Mais, il faut souligner que le titre "Respect" est issu de l'album "Never loved a man the way I loved you" ("je n'ai jamais aimé un homme comme je t'aime"). Dès lors, Respect fait partie d'un tout. Si Aretha Franklin exprime ces sentiments d'une manière aussi vitale et vibrante c'est parce qu'au fond elle ne veut transmettre qu'une seule chose : l'amour.

Aimer c'est d'abord se respecter soi, ce n'est pas tout accepter, c'est savoir mettre les limites, c'est refuser l'humiliation, c'est avoir la force de dire "non" à celui que l'on aime.

"Sock it to me" "Montre-moi de quoi tu es capable", qu'elle répète 8 fois dans la chanson, montre qu'en mettant les limites vers le pire, elle pousse aussi son homme à se dépasser vers le meilleur. Le Respect signifie que les hommes doivent savoir se faire violence pour aller vers le positif.

Mais, ce dépassement qu'elle exige dans la chanson n'est pas à sens unique, c'est celui qu'elle s'impose aussi à elle-même en tenant les notes les plus insensées, en allant au-delà du possible physiquement pour qu'au final femmes et hommes puissions atteindre nos essences profondes. C'est le message le plus indicible mais aussi le plus révolutionnaire de "Respect" : construire ensemble une forme d'absolu dans l'égalité.

Malgré les déchirements de son enfance, elle a su garder jusqu'au bout cette foi en l'humanité. Cette croyance vitale que seul l'amour et la conjugaison des êtres peuvent faire de ce monde un amalgame sublime sur ses gammes célestes qui la font se sentir "A natural woman" ("une femme authentique").

Elle a fait naitre un féminisme qui est harmonie universelle. C'est un héritage précieux qu'elle nous laisse, nous permettant de croire qu'avec notre puissance créatrice Change is gonna come. Alors en résonnance, malgré nos dissonances, le seul vrai hommage que nous pourrions lui rendre c'est de poursuivre de concert, like a bridge over troubled water les échos de sa voix royale... Respect in peace.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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