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Vers un « féminisme insurgé »: la mobilisation politique des farianas

Le « féminisme insurgé » saura-t-il répondre aux besoins de toutes les femmes ex-combattantes et, plus largement, de toutes les Colombiennes?
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L’entrée de deux femmes ex-combattantes des Forces armées révolutionnaires de Colombie (maintenant le parti Force alternative révolutionnaire du commun - FARC) au Sénat le 11 mars 2018 est un enjeu qui se doit d’être débattu publiquement.
RAUL ARBOLEDA via Getty Images
L’entrée de deux femmes ex-combattantes des Forces armées révolutionnaires de Colombie (maintenant le parti Force alternative révolutionnaire du commun - FARC) au Sénat le 11 mars 2018 est un enjeu qui se doit d’être débattu publiquement.

La presse n'a pas manqué de scruter les avancées de la droite en Colombie lors des récentes élections législatives. Cependant, il y a d'autres résultats, peut-être moins « spectaculaires », qui méritent notre attention. L'entrée de deux femmes ex-combattantes des Forces armées révolutionnaires de Colombie (maintenant le parti Force alternative révolutionnaire du commun - FARC) au Sénat le 11 mars 2018 est un enjeu qui se doit d'être débattu publiquement. En effet, leur participation à la vie politique plus traditionnelle – non-armée – est une donne fondamentale pour la construction de la paix en Colombie.

Dans la foulée de la montée de la droite à l'échelle planétaire et spécifiquement dans les Amériques, on peut s'interroger sur la place médiatique trop importante accordée aux partis conservateurs, au détriment des contre-pouvoirs qui s'organisent en Amérique latine. Prise dans la spirale médiatique du fameux triangle des peurs, soit la peur du « castro-chavisme », du « terrorisme » des guérillas et de « l'idéologie du genre », trop peu d'attention est portée à la remobilisation politique des femmes ex-combattantes.

En Colombie, l'activisme politique des femmes dans les débats sur le processus de paix a été dépolitisé par la droite conservatrice.

En Colombie, l'activisme politique des femmes dans les débats sur le processus de paix a été dépolitisé par la droite conservatrice. Celle-ci a mobilisé les rôles traditionnels associés à la féminité et à la masculinité pour s'opposer à l'inclusion de la perspective de genre dans les accords de paix négociés avec les FARC. À cet égard, et en continuité avec leur activisme dans le groupe armé, les femmes farianas, comme elles se nomment, n'ont toutefois pas l'intention de se « démobiliser ». Elles ont certes accepté de se désarmer, mais la mobilisation ne fait que commencer. Assistons-nous à la consolidation d'un féminisme à la fariana ?

Avec l'entrée au Sénat de Victoria Sandino, seule femme plénipotentiaire déléguée des FARC à La Havane, et de Sandra Ramírez, également militante active dans les négociations, il est impératif de comprendre les multiples rôles que les femmes ont joués dans le conflit armé colombien et de cesser de les percevoir uniquement au prisme de la victimisation. Au moment du désarmement des FARC, les femmes représentaient entre 35 et 40% des combattants du groupe, et elles ont été activement impliquées dans la lutte politique et armée du groupe révolutionnaire.

Aujourd'hui, les farianas prônent un féminisme collectif et révolutionnaire, le « féminisme insurgé » (feminismo insurgente) : elles refusent d'avoir laissé la guerre pour reprendre un rôle domestique. Héritage de leur lutte marxiste-léniniste et anticapitaliste, elles militent au sein du parti politique des FARC pour les droits des femmes en Colombie, pour une émancipation collective, pour une réelle redistribution des richesses, pour la justice sociale et pour construire une paix durable et équitable.

De nombreuses accusations pèsent contre le groupe, où une structure militaire a favorisé la violence basée sur le genre, notamment des avortements forcés et des violences sexuelles.

Cependant, les voix des femmes ex-combattantes ne sont pas toutes également entendues. Certaines ont pu revendiquer et obtenir une plateforme politique, alors que d'autres sont reléguées à l'isolement social post-démobilisation. Il faut donc tenir compte des multiples rapports de pouvoir pour comprendre l'ampleur de la violence qu'elles ont pu perpétrer, et dont elles ont aussi été victimes. Les FARC doivent faire face à leur passé violent. De nombreuses accusations pèsent contre le groupe, où une structure militaire a favorisé la violence basée sur le genre, notamment des avortements forcés et des violences sexuelles. De la même manière, les femmes qui ont pu faire leur chemin vers les négociations de La Havane ne représentent pas nécessairement toutes les femmes ex-combattantes des FARC, qui ont souvent opéré au sein des rangs militaires inférieurs et qui expérimentent actuellement diverses situations de marginalisation sociale en raison de leur condition de femme ex-combattante.

Une recherche effectuée en 2015-2016 en Colombie (Corporación Descontamina) sur la réintégration des femmes ex-combattantes des divers groupes armés illégaux réaffirme qu'il est impératif de mettre en place des canaux de participation politique pour les femmes afin d'éviter leur marginalisation sociale. Or, le programme de réintégration à la vie civile est largement critiqué pour son approche individualisante. Cela a pour conséquence de marginaliser les personnes en processus de réintégration, en plus de bloquer tout dialogue constructif avec la société civile, laquelle doit aussi assumer un rôle actif dans l'accueil de cette population.

Deux défis guettent les farianas dans leur activisme politique. D'une part, elles font face à l'enjeu de réconcilier leur passé, associé à la violence et au machismo, avec les idéaux féministes. Il est important d'assumer et de reconnaître les atrocités commises afin de les transformer en potentialités pour l'avancement de la justice sociale. D'autre part, il s'avère indispensable d'interroger, à partir de leur posture « insurgée » et révolutionnaire, les rapports de pouvoir dans leurs rangs. Ceux-ci se sont manifestés entre les hommes et les femmes, mais également entre les femmes (qu'elles aient déserté, fui, ou négocié la reddition). Il s'agit d'une étape cruciale pour construire un féminisme fariano réellement inclusif dans la période post-accords de paix.

Le « féminisme insurgé » saura-t-il répondre aux besoins de toutes les femmes ex-combattantes et, plus largement, de toutes les Colombiennes ? Le projet mérite qu'on s'y attarde.

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