Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Lorsque tout prend fin, seul l'amour prévaut

Avec le suicide, ce qui semble être un choix pour autrui n'était pas un choix pour toi. Notre amour n'a pas pu te garder ancré à ce monde lorsque tu as senti qu'il n'y avait pas d'autre possibilité, pas d'espoir.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

Mon cher époux,

Cela fait presque 30 jours que tu as refermé tes mains sur ton étincelle de vie.

Depuis lors, j'ai tenté de trouver un sens à notre passage en ce monde.

Dans l'hindouisme - une religion que tu as voulu découvrir corps et âme, même si j'avais perdu la foi depuis bien longtemps - nous avons une cérémonie de 11 jours et une cérémonie de 30 jours.

Je n'ai jamais compris leur usage. Mais sans doute sont-elles là pour faire le point sur l'ensemble d'un vécu.

Au bout de 11 jours, ta mort m'a fait prendre conscience que j'étais devenue une autre personne.

Tout ce que je regardais, sentais, goûtais était différent. Dans mon for intérieur, et du fait qu'ils ne pouvaient certainement pas comprendre, les gens que je connaissais de longue date semblaient être des étrangers soudainement.

Je te voyais dans tout. Je te voyais dans la mer, t'imaginant dans les oscillations, tourbillons et remous de l'eau. Je te voyais à côté de ta tombe, dans les freesias que tu aimais tant. Je te voyais dans les oiseaux dont tu avais une connaissance encyclopédique, dans les doubles arcs-en-ciel qui illuminaient le ciel le jour où nous t'avons dit adieu.

Dans ton quotidien tu étais un homme robuste, tel le peuple Kiwi, pourtant j'observais tant de délicatesse chez toi.

J'ai hésité à t'écrire tout cela publiquement. Mais nous avons tellement parlé de maladie mentale cette dernière année, et fortement ressenti que ne pas en parler en société contribuait au sentiment de honte et de stigmatisation qui l'entoure, je sais donc que tu voudrais que je le fasse. (D'ailleurs c'est devenu une habitude : « Je suis sûr que Rob voudrait que je mange cette deuxième barre chocolatée » et pour d'autres décisions aussi importantes de la vie).

Je le sais parce que tu appréciais beaucoup que je remue ciel et terre pour sensibiliser les gens sur la dépression - une maladie contre laquelle tu t'es battu toute ta vie.

Je sais que tu voulais que j'en parle ouvertement, pour que d'autres personnes dans le besoin puissent venir se confier, trouver un ami à qui en parler, pour que je puisse venir en aide en privé ou en public, à ceux qui avaient la même lutte que toi.

Je sais que toi et moi nous ressentions profondément que ce silence de plomb qui entourait cette maladie mentale créait un environnement tellement néfaste pour les hommes, dont on attendait - selon tes mots - « qu'ils soient de vrais hommes et souffrent en silence, qu'ils aillent de l'avant ».

Depuis que tu as décidé de partir, j'ai beaucoup appris.

Tout d'abord, alors qu'il n'y a pas de hiérarchie dans la mort, où une personne serait meilleure qu'une autre, on peut dire sans se tromper que vivre longtemps se trouve en haut de l'échelle alors qu'une vie courte est tout en bas. Je ne sais pas où se situe le suicide, mais là encore on peut dire sans se tromper que ça rend les gens VRAIMENT mal à l'aise.

On m'a conseillée de ne pas dire aux gens comment tu es mort. Et au moment bizarroïde du choix de la sépulture et du cercueil (on m'a demandée notamment si Robert était écolo), j'ai pris mille précautions.

Mais au bout du trentième jour, j'ai réalisé que lorsque la pire et dévastatrice des choses arrive, on perd toutes nos ressources vitales.

L'indignation a pris corps en moi. Si tu étais mort d'un cancer, aurais-je muré ta mort ou ses circonstances dans le secret ? Bien sûr que non. Il y aurait eu des festivités entre amis et des petits fours pour botter le cul du cancer.

C'est comme si dans la méthode de ta mort il y avait de la faiblesse, alors que je sais plus que personne que tu t'es battu pour rester en ce monde.

Malgré le sort qui était le tien, tu as tellement œuvré, tu as aimé avec ferveur, tu étais gentil et bon et tu aidais tous ceux qui luttaient (même le SDF de ton arrêt de bus que tu voulais laisser dormir sur notre canapé), et tu étais aussi l'homme le plus intelligent que j'ai rencontré - pourquoi ne voudrais-je pas rendre honneur à tout cela ?

Et cela en dit long sur les montagnes que nous devons soulever afin de pousser les gens à prendre conscience que la maladie mentale est identique à un cancer. C'est exactement pareil à un arrêt cardiaque. Tout l'amour ou l'argent du monde, tous les soins médicaux ne peuvent l'empêcher si la phase terminale est là.

Lorsque quelqu'un se suicide, il y a de la rancœur envers cette personne, car ce n'est pas une maladie physique. Personne ne dit : « Oh, je peux pas CROIRE que Larry soit mort des suites d'un cancer, comment a-t-il pu ? »

Après, beaucoup de gens m'ont dit : « Je lui en veux ». Il y avait beaucoup de ça dans l'air : comment avais-tu fait ce choix et nous avais-tu laissés dans les sables mouvants d'un tel chagrin. Il y avait de la colère parce que tu avais abandonné la vie et laissé des gens derrière toi.

Et malgré le fait que ce fut sans doute une réaction totalement naturelle - et j'ai certainement pensé : « Comment as-tu pu me faire ça ? » - lors des premiers jours qui ont suivi ta mort, je pense qu'après quelque temps nous devons nous rappeler ce qu'il y avait de bon et de lumineux chez toi.

Je ne dis pas que j'ai tout résolu. Je ne sais pas si un jour je comprendrais complètement ta décision de mettre fin à ta vie.

Lorsqu'enfin j'ai eu assez de courage pour poser ma main sur ton buste une dernière fois, j'ai senti combien tu étais froid, ton âme s'était évaporée, tes yeux ne s'ouvriraient plus jamais, et j'ai compris l'irrévocabilité de la mort. J'ai compris que n'importe quel idiot peut donner la vie - un épisode de 16 ans et enceinte vous le dira - mais une fois donnée, c'est un cadeau, le plus précieux des dons.

Je pense que la colère vient du fait que nous avons été pris au dépourvu. Elle est imprégnée de la culpabilité que nous avons tous ressentie.

Nous aurions dû te prendre dans nos bras encore plus, passer du temps avec toi, mémoriser chaque élément de toi, te dire que nous t'aimions - avoir encore une journée avec toi - car au plus profond de nous, nous sentons que si nous avions fait ça, tu ne te serais pas tué.

Ce que je veux dire c'est que j'ai compris. Avec le suicide, ce qui semble être un choix pour autrui n'était pas un choix pour toi. Notre amour - et tu avais un océan de personnes qui ressentaient cela pour toi - n'a pas pu te garder ancré à ce monde lorsque tu as senti qu'il n'y avait pas d'autre possibilité, pas d'espoir.

Alors que j'écris ça, il y a plein de gens qui ressentent cela. Certains d'entre eux ne feront pas ce choix terrible, définitif, certains le feront. Et bien que je n'aie pas encore les réponses (peut-être dans 30 jours de plus), je sais que nous devons en parler.

Nous devons faciliter la prise de contact entre les gens lorsque l'obscurité menace de les ensevelir. Nous devons aider les hommes à exprimer et comprendre la peur et la vulnérabilité au lieu de voir cela comme de la faiblesse. Nous devons dire que la maladie mentale a besoin de financements, que ça devrait être autant une priorité que lorsqu'on s'attaque à l'obésité ou au cancer.

Je ne dis pas que tout cela t'aurait sauvé. Mais je dis que je refuse de me souvenir de toi dans la colère et dans la honte, alors que ce que nous vivions c'était un amour pur et majestueux.

Pour Robert Owen Bell, 23 décembre 1975 - 28 mai 2015

Si vous êtes touché par ce que vous venez de lire dans mon blogue et souhaitez en parler, sachez s'il vous plaît que vous pouvez m'envoyer un courriel. Si vous avez besoin d'aide, il y a l'assistance téléphonique de l'AQPS que vous pouvez joindre au 1 866 APPELLE (277-3553).

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Mai 2017

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.