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La vague complotiste contemporaine

Comme d'autres époques marquées par des crises touchant les valeurs fondamentales, le mensonge, la désinformation et la manipulation règnent sans rencontrer de notables résistances.
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Comme d'autres époques marquées par des crises touchant les valeurs fondamentales, notamment celles déclenchées par les bouleversements révolutionnaires (Révolution française, révolution d'Octobre, etc.), notre époque, où la guerre se confond avec la paix, brouillage des frontières illustré par la multiplication de méga-attentats terroristes (sur le modèle du 11-Septembre), où l'ami ne se distingue plus de l'ennemi (qui peut dire si le Qatar est l'ami ou l'ennemi de la France?), et où, dans les relations internationales et le monde économico-financier, le mensonge, la désinformation et la manipulation règnent sans rencontrer de notables résistances, est particulièrement favorable à la multiplication des représentations ou des récits conspirationnistes, à leur diffusion rapide et à leur banalisation. La suspicion à l'égard des autorités traditionnelles (enseignants, intellectuels, journalistes, dirigeants politiques) a trouvé dans le Web un moyen d'expression privilégié et un puissant instrument de persuasion.

Extraits du dernier essai de Pierre-André Taguieff : Pensée conspirationniste et 'théories du complot'. Une introduction critique, Uppr Éditions, e-book, avril 2015.

Démocratie et esprit complotiste

Mais l'esprit complotiste n'est nullement une invention récente. L'avènement des sociétés démocratiques a, semble-t-il, aiguisé le goût du démasquage, face à un pouvoir devenu énigmatique, celui du peuple. Nombre de théoriciens sociaux, révolutionnaires ou contre-révolutionnaires, ont été saisis par le démon du soupçon, et se sont montrés obsédés par la question du type «Qu'y a-t-il derrière?» Ils ne pouvaient pas croire que la démocratie était telle qu'elle semblait être. Et ce doute était porteur d'anxiété. Ils s'interrogeaient sur ce que pouvaient dissimuler les apparences du pouvoir démocratique, postulant que l'essentiel se trouvait derrière la scène visible et le décor, dans les coulisses. Ils ont émis l'hypothèse que, derrière l'apparent pouvoir du peuple, se cachait le pouvoir réel de groupes agissant secrètement. Derrière la souveraineté du peuple, ils discernaient l'existence de puissances occultes exerçant réellement le pouvoir: sociétés secrètes imaginées sur le modèle de la franc-maçonnerie et fantasmées comme «judéo-maçonniques», financiers cosmopolites (souvent assimilés aux Juifs), etc. L'anxiété des démystificateurs s'est dès lors colorée d'indignation et de colère.

La peur et la dénonciation du pouvoir invisible constituent un trait majeur de l'attitude dite populiste. Être populiste, c'est d'abord postuler que nous ne sommes pas égaux dans l'accès au pouvoir et la richesse, et, ensuite, considérer qu'il y a là une injustice représentant une raison suffisante de se révolter contre l'ordre social et politique établi («le Système», disent les nouveaux populistes). Les populistes dénoncent les puissances cachées qui confisquent le pouvoir et l'exercent secrètement à leur seul profit. C'est pourquoi, dans toutes les formes de populisme politique observables depuis la fin du XIXe siècle en Occident, l'on rencontre des récits complotistes.

Origines et figures de l'imaginaire conspirationniste

La grande nouveauté du XXe siècle aura été en la matière la diffusion planétaire de quelques thèmes majeurs de la mythologie conspirationniste occidentale, autour de ses deux principaux noyaux, l'antimaçonnisme et l'antisémitisme. Son principal véhicule a été le célèbre faux connu sous le nom de Protocoles des Sages de Sion, fabriqués vers 1900-1901, et traduits dans un grand nombre de langues à partir de 1920. Le mythe du complot «judéo-maçonnique» mondial est devenu un thème majeur de la propagande politique, à travers ses deux formes principales: d'une part, la dénonciation du «complot judéo-capitaliste» (ou «ploutocratique»), et, d'autre part, celle du «complot judéo-bolchevique». Le «complot judéo-maçonnique» s'est transformé à la fin du XXe siècle en «complot américano-sioniste». Aujourd'hui, l'imaginaire politique du monde musulman, dans toutes ses composantes, en est saturé.

La vision complotiste du monde - un ennemi secret et puissant qui œuvre au malheur de tel ou tel groupe humain - est l'une des sources du jihadisme contemporain. Le conspirationnisme est une «exportation» politico-culturelle occidentale que les islamistes ont bien assimilée. Il ajoute une motivation politique (ou pseudo-politique) à la motivation religieuse de mourir en martyr: la volonté de lutter contre un complot islamophobe international. Le complotisme est un mode de construction de l'ennemi absolu, défini par ses objectifs: la domination, l'exploitation ou l'extermination de certains groupes humains (ici les musulmans). La désignation de l'ennemi «américano-sioniste» offre une vision d'ensemble cohérente non seulement aux salafistes-jihadistes mais aussi à tous ceux qui, face à la marche chaotique du monde, veulent à tout prix échapper à l'incertitude et à l'insécurité.

Il n'est pas de pensée conspirationniste sans événements déclencheurs, qui, perçus à la fois comme importants et ambigus, appellent des investigations de la part de journalistes, de «chercheurs de vérité» (truthers) ou de citoyens-enquêteurs faisant surgir de véritables communautés interprétatives, lesquelles se traduisent depuis les années 1990 par des sites et des blogues plus ou moins spécialisés.

De 1964 à la veille du 11 septembre 2001, dans l'imaginaire politique occidental, le point de fixation de la pensée complotiste est resté l'assassinat du président Kennedy (22 novembre 1963), événement déclencheur devenu paradigmatique, qui a fait l'objet d'interprétations multiples et contradictoires, où dominèrent dans un premier temps les hypothèses liées à la menace communiste ou à la mafia. Mais certains idéologues conspirationnistes ont aussi diffusé la thèse selon laquelle le président américain aurait été tué sur ordre du «gouvernement mondial» occulte qu'il s'apprêtait à démasquer.

Les attentats du 11 septembre 2001 ont changé la donne en installant un nouveau paradigme, lié à l'expansion de l'islamisme, qui oriente désormais la perception de la menace et alimente l'inquiétude. En outre, dans ses différentes versions, les islamistes radicaux n'ont point cessé de justifier leurs appels au jihad par des récits complotistes visant l'ennemi aux visages multiples, réductibles cependant à la figure composite du «judéo-croisé» ou de l'«américano-sioniste». L'Occident chrétien et mécréant est fantasmé comme une machine à comploter contre ses «autres». Mais la nouvelle idéologie conspirationniste comporte toujours une forte dimension antimondialiste, qui s'articule tant bien que mal avec l'anti-islamisme comme avec l'islamisme.

La vague complotiste contemporaine

Ces dernières années, la vague complotiste a pris de l'ampleur en jouant un rôle croissant dans le champ de l'opinion. Les «théories du complot» ont accompagné le traitement de la plupart des menaces reconnues comme telles, au point de s'imposer comme un thème idéologico-politique régulièrement affiché et débattu.

Les médias s'en sont fait l'écho, en même temps que, par une réaction circulaire, ils ont alimenté, voire renforcé la passion complotiste. Le thème du complot est devenu une marchandise culturelle autant qu'un topos de la rhétorique politique. L'accroissement des flux d'information, notamment par l'effet du Web qui charrie indistinctement le vrai, le faux et le douteux, produit mécaniquement une haute diffusion des rumeurs de complots, qui peuvent prendre la forme de «rumeurs solidifiées», et des explications «alternatives» de style complotiste.

En outre, la vie politique internationale s'est de plus en plus imprégnée des croyances et des représentations complotistes. Les accusations mutuelles de conspirer se sont banalisées dans les relations entre États comme dans les relations entre ces derniers et divers groupes sociaux, politiques ou ethniques.

Le conflit sanglant en Ukraine, où la sécession des séparatistes pro-russes a provoqué une guerre civile, s'est accompagné d'accusations complotistes dans les deux camps: les séparatistes ukrainiens et le gouvernement russe ont centré leur commun discours de propagande sur la dénonciation d'un grand complot occidental (européo-américain) contre la Russie, voire d'un complot «fasciste»; tandis que les Ukrainiens anti-séparatistes ont accusé les dirigeants russes et leurs alliés séparatistes de comploter pour diviser la nation ukrainienne et annexer une partie de son territoire. Chaque camp s'est forgé sa vision d'un complot «impérialiste» attribué au camp adverse. Les «révolutions de couleurs» (ou «révolutions colorées»), en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizstan comme dans plusieurs pays arabes ont été dénoncées comme le produit de coups d'État fabriqués par des puissances étrangères, organisatrices de conspirations où l'Amérique et Israël, les deux figures motrices de «l'Empire» mondial, se disputent le premier rôle.

Au Moyen-Orient, la plupart des conflits politiques ou religieux, ainsi que les guerres asymétriques entre États et groupes islamistes armés, s'accompagnent de «théories du complot» diffusées par les propagandes respectives des rivaux ou des belligérants. Les situations de concurrence et de conflit, surtout lorsque les acteurs collectifs qui s'affrontent se radicalisent dans leurs positions et n'imaginent plus trouver un compromis, favorisent les fièvres complotistes. Toute montée aux extrêmes risque de prendre l'allure d'une marche vers une situation apocalyptique, à travers la généralisation d'une paranoïa complotiste. On assiste au spectacle permanent de la concurrence des victimes autoproclamées de complots imaginaires.

Peut-être sommes-nous entrés dans un âge conspirationniste, où les frontières se brouillent entre les complots réels, dont l'organisation est facilitée par le perfectionnement des moyens techniques de la manipulation des esprits, et les complots fictifs ou chimériques dont se nourrit l'imaginaire conspirationniste, mobilisé notamment par les propagandes des États ou des minorités actives. Tout se passe comme si le spectacle de la violence imprévisible et incompréhensible, image du chaos, poussait les humains à chercher dans l'imaginaire complotiste des repères définis et des explications simples, bref des substituts paraissant acceptables de modèles d'intelligibilité ayant perdu leur validité. C'est ce qui rend de plus en plus difficile la tâche de ceux qui, sociologues, historiens du présent, anthropologues, psychologues sociaux ou politistes, s'efforcent d'analyser et d'expliquer le moment complotiste que nous traversons, sans savoir où nous allons.

Dévoiler et démystifier : la question «À qui profite...?»

Penser les événements historiques selon le schème du complot, c'est les concevoir comme les réalisations observables d'intentions conscientes. Dans cette perspective, celle de la «thèse du complot» ou de la «théorie du complot», expliquer un phénomène par ses causes, c'est identifier le sujet individuel ou collectif porteur de l'intention qui se serait réalisée dans l'Histoire. Ces sujets, individuels ou groupaux, sont conçus comme des agents dont les intentions ou les visées ont une valeur ou une fonction causale. Ils sont censés agir selon leurs intérêts, le plus souvent dissimulés. Le secret est une condition nécessaire de leur puissance d'agir, c'est-à-dire de faire croire et de faire faire (ce qu'on appelle «manipulation»).

Dès lors, l'explication d'un phénomène social implique d'identifier les desseins ou les plans cachés d'un individu ou d'un groupe, qui constitueraient sa cause nécessaire et suffisante. Il s'agit d'identifier les individus ou les groupes censés avoir intérêt à ce que tel événement ou tel phénomène social se produise. D'où la question du type « À qui profite...? » (tel crime, tel attentat, une guerre, une révolution, une crise économique, mais aussi l'école, la justice, la culture, etc.), toujours posée par les «théoriciens» du complot. Ces derniers aiment à se présenter comme des démystificateurs.

Toute interprétation de style conspirationniste se compose, tout d'abord, d'un dévoilement, qui implique l'attribution du phénomène considéré - naturel ou social - à des intentions cachées ou à des influences occultes qui lui donnent son sens, ensuite d'une accusation visant les membres du groupe dévoilés («c'est leur faute»), enfin, d'une condamnation morale des «responsables» et/ou «coupables» ainsi désignés et démasqués, en tant que porteurs de mauvaises intentions, censés opérer dans les coulisses de la scène historique. Les récits de «révélation» ou de «dévoilement», loin d'être des produits de la modernité, apparaissent à certains égards comme des expressions d'un invariant anthropologique. La dénonciation du complot (imaginaire) est déjà une action contre ledit complot. Mais la dénonciation peut aussi s'assortir d'un appel à l'action ou à la réaction contre les coupables désignés, et prendre l'allure d'une chasse aux sorcières.

Les cinq principes de la pensée conspirationniste

Les récits conspirationnistes accusatoires sont structurés selon cinq principes ou règles d'interprétation des événements, qui permettent de répondre au besoin d'ordre ou de structure stable dans la perception des séries événementielles, l'impératif étant d'échapper à tout prix à l'anxiété liée au sentiment de la marche chaotique du monde. De ces principes dérivent les représentations et les croyances constituant l'imaginaire conspirationniste:

1. Rien n'arrive par accident. Rien n'est accidentel ou insensé, ce qui implique une négation du hasard, de la contingence, des coïncidences fortuites: «ce n'est pas un hasard si...».

2. Tout ce qui arrive est le résultat d'intentions ou de volontés cachées. Plus précisément, d'intentions mauvaises ou de volontés malveillantes, les seules qui intéressent les esprits conspirationnistes, voués à privilégier les événements malheureux: crises, bouleversements, catastrophes, attentats terroristes, assassinats politiques. Car les bonnes nouvelles et les heureux événements n'intéressent pas les amateurs ou les collectionneurs de «théories du complot». La question est ici: «qui est derrière...?». On retrouve l'axiome de la psychologie des intérêts, censé tout expliquer, comme l'a pointé Karl Popper: «Selon la théorie de la conspiration, tout ce qui arrive a été voulu par ceux à qui cela profite».

3. Rien n'est tel qu'il paraît être. Tout se passe dans les «coulisses» ou les «souterrains» de l'Histoire. Les apparences sont donc toujours trompeuses, elles se réduisent à des mises en scène. La vérité historique est dans la «face cachée» des phénomènes historiques. L'axiome est ici: «on nous manipule». Dans la perspective conspirationniste, l'historien devient un contre-historien, l'expert un contre-expert ou un alter-expert, un spécialiste des causes invisibles des événements visibles. Il fait du démasquage son opération cognitive principale. Dès lors, l'histoire «officielle» ne peut être qu'une histoire superficielle. La véritable histoire est l'histoire secrète.

4. Tout est lié ou connecté, mais de façon occulte. «Tout se tient», disent les complotistes, prenant la posture de l'initié. Derrière tout événement indésirable, on soupçonne un «secret inavouable», ou l'on infère l'existence d'une «ténébreuse alliance», d'un mystérieux et inquiétant «Système». Les forces qui apparaissent comme contraires ou contradictoires peuvent se révéler fondamentalement unies, sur le mode de la connivence ou de la complicité. La pensée conspirationniste postule l'existence d'un ennemi unique : elle partage avec le discours polémique la reductio ad unum des figures de l'ennemi. Celui-ci reste caché, et ne se révèle que par des indices. C'est pourquoi il faut décrypter, déchiffrer à l'infini.

5. Tout ce qui est officiellement tenu pour vrai doit faire l'objet d'un impitoyable examen critique, visant à le réduire à des croyances fausses ou à des mensonges. C'est la règle de la critique dérivant du soupçon systématique, ou plus exactement de l'hypercritique s'appliquant à tout discours officiel. Encore faut-il souligner le fait, selon une suggestion du psychologue social Pascal Wagner-Egger, que tout ne doit pas être passé au crible de la critique, mais seulement la version «officielle», perçue comme telle, qu'on nous donne de l'événement. Il y a donc une frappante «asymétrie cognitive» chez les complotistes qui, surtout depuis le 11-Septembre, font preuve d'un extrême esprit critique envers la version officielle d'un quelconque événement en même temps que d'une extrême crédulité vis-à-vis des «théories du complot» se présentant comme des explications «alternatives».

Simulacre d'initiation

Connaître l'existence du complot mondial, c'est voir au-delà des apparences, passer dans les «coulisses de l'Histoire», devenir en quelque sorte un initié. La référence à l'image des «coulisses» évoque la célèbre phrase de Disraeli citée comme preuve du complot juif mondial par la plupart des diffuseurs et glossateurs des Protocoles des Sages de Sion: «[Vous voyez donc, cher Coningsby, que] le monde est gouverné par tout à fait d'autres personnages que ne se l'imaginent ceux qui ne se trouvent pas derrière les coulisses».

Dans son «dialogue» avec Adolf Hitler publié en mars 1924 sous le titre Le Bolchevisme de Moïse à Lénine, Dietrich Eckart, ce dernier qui fut entre 1919 et 1923 le mentor du futur Führer, lui prête ces propos sur le véritable moteur de l'Histoire, méconnu par les historiens ordinaires: «Que fait l'historien? Il explique ce qui sort de la norme en se référant au groupe, invoque la nature exceptionnelle de certains hommes d'État. Mais qu'il puisse y avoir quelque part une force cachée qui mène habilement le cours des choses dans une certaine direction, il n'y pense même pas. Cette force est pourtant bien là. Son nom, tu le connais: le Juif». Le jeune Hitler s'accorde ainsi la faculté d'apercevoir, derrière la scène historique visible, la cause motrice de la marche des événements depuis l'Antiquité. Il prétend accéder à un savoir inaccessible aux historiens profanes, aveugles à ce que cachent les apparences. La «force cachée» dénoncée par Hitler est derrière tous les complots qui font l'Histoire. Il la nomme «le Juif». Bref, la révélation de la grande conspiration et de son principe moteur possède une signification mystico-ésotérique.

Les deux sources de la persistance des croyances conspirationnistes

Parmi les fonctions psycho-sociales remplies par les récits conspirationnistes, constituant autant de réponses à des demandes ou à des besoins, il faut pointer surtout celle qui relève du besoin d'expliquer et de comprendre et celle qui relève du besoin de se défendre contre la menace. Le recours à la pensée conspirationniste permet d'abord d'expliquer (de croire pouvoir expliquer) la marche obscure du monde en la simplifiant par l'identification des puissances occultes incarnant des ennemis impitoyables, réduits à un ennemi unique, tel le Juif, à la fois franc-maçon, bolchevik, démocrate, capitaliste, mondialiste et sioniste. C'est là désigner l'ennemi absolu, dans une perspective manichéenne, en croyant posséder la clé de l'Histoire, laquelle permet de supprimer l'une des grandes sources d'anxiété: le sentiment que les événements sont inexplicables.

Le recours à la pensée conspirationniste permet ensuite de se défendre contre la menace (de croire pouvoir le faire) en dévoilant les secrets des ennemis cachés. Publier ou diffuser les Protocoles des Sages de Sion (ou des textes sur le «Gouvernement mondial occulte», les Illuminati, etc.), c'est révéler ce qu'on pense être la vraie nature de l'ennemi, lui arracher ses masques, percer à jour ses projets et ses stratégies. Ce démasquage équivaut à un acte de guerre symbolique, susceptible d'affaiblir l'ennemi. Il s'agit en réalité d'un acte de magie conjuratoire, qui permet d'échapper à l'anxiété ou à l'angoisse, mais au prix d'une fuite dans un monde de chimères. Dans l'imaginaire complotiste, le cours du monde devient maîtrisable. Identifier les puissances obscures et mauvaises qui mènent le monde, c'est commencer d'agir contre elles. La force des croyances conspirationnistes vient donc de ce qu'elles produisent deux illusions rassurantes: expliquer l'inexplicable et maîtriser l'immaîtrisable.

Les croyances conspirationnistes jouent le rôle de nourritures psychiques. C'est ce qui explique leur capacité de résister à l'examen critique. Comme toutes les illusions, elles persistent parce qu'elles répondent à des besoins psychiques et satisfont des demandes sociales.

Extraits du dernier essai de Pierre-André Taguieff : Pensée conspirationniste et 'théories du complot'. Une introduction critique, Uppr Éditions, e-book, avril 2015.

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