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Opération satanique en Nouvelle-Zélande

Ceux qui se souviennent de cet acte terroriste organisé par la France regrettent l'absence de justice.
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Quand l'État français flirta avec le terrorisme en Océanie

Après plus d'une vingtaine d'heures de vol, on voit enfin à l'horizon cette côte découpée par les énormes vagues de la mer de Tasman, si prisées par les surfeurs téméraires ; Aotearoa nous livre ses terres volcaniques luxuriantes protégées par l'énorme nuage blanc.

Aotearoa est le nom maori de la Nouvelle-Zélande, que l'on peut voir inscrit sur les nouveaux billets de cinq et de dix dollars et les nouveaux passeports ; appellation qui rappelle au citoyen le lien fort entre «l'homme» et la nature dans la culture maori-polynésienne, désormais intégrée dans l'identité nationale de la Nouvelle-Zélande. Aotearoa : «la Terre au long nuage blanc».

On ne peut qu'être ébloui par la beauté des paysages ruraux, par cette flore de climat tempéré à la fois exceptionnelle et unique. La Nouvelle-Zélande est cette terre précieuse du Pacifique sud où l'on se sent en pleine harmonie avec l'environnement. Seules quatre millions d'âmes vivent sur les deux grandes îles qui constituent ce magnifique pays.

Pourtant, une nation civilisatrice de l'autre bout du monde, porteuse d'idéaux démocratiques et tenant ferme à ses nombreux ilots du sud-pacifique organisa le seul acte terroriste que la Nouvelle-Zélande ait connu jusqu'à ce jour. Cette «Opération satanique» baptisée ainsi par la Direction générale de la sécurité extérieure (NDLR DGSE, service de renseignement extérieur de la France) avait pour objectif de permettre le bon déroulement des essais nucléaires dans l'un des environnements maritimes les plus riches et les plus fragiles en diversité faunique. Le feu président français François Mitterrand opta pour l'option la plus radicale visant à neutraliser l'organisation pacifiste Greenpeace : la destruction par explosion du Rainbow Warrior.

Non seulement, cette opération fut un fiasco total pour les services secrets français qui n'hésitèrent point à fabriquer de faux passeports belges et suisses pour ses James Bond de pacotille, mais elle fut malheureusement meurtrière. Le photographe néerlandais d'origine portugaise, Fernando Pereira, membre de l'équipage de Greenpeace, y perdit la vie. Il ne fut guère difficile pour les autorités néo-zélandaises de retrouver immédiatement la piste française. Les faux époux belges Turenge, Dominique Prieur et Alain Mafart, «taupes» servant à la logistique pour mener à bien cet attentat terroriste, furent arrêtés, inculpés et reconnus coupables d'homicide involontaire. Ils furent par la suite condamnés à dix ans de prison.

Pays amis, la France et la Nouvelle-Zélande négocièrent afin de parvenir à un accord d'indemnisation. Le pouvoir à Wellington, fort conscient du poids de Paris dans la Communauté européenne, craignant l'embargo sur ses exportations de viande, de produits laitiers et de fruits, consentit à ce que les terroristes français soient incarcérés dans un îlot français en Polynésie. Dix-huit mois plus tard, la France viola cet accord en rapatriant en métropole les deux prisonniers, qu'elle libéra.

Pour de nombreux Français, l'affaire du Rainbow Warrior n'est pas vraiment considérée comme un acte terroriste car la mort du photographe ne fut point préméditée ; elle reste plutôt une honte nationale due au manque de professionnalisme de la DGSE. En France, personne ne fut inculpé, aucune enquête parlementaire ne fut exigée. Seules les démissions du ministre de la Défense, Charles Hernu, et du chef des services secrets, l'amiral Pierre Lacoste, furent requises par l'exécutif afin de mettre fin à la polémique médiatique et politique, et peut-être pour éviter que le président de la République, responsable de l'attentat, ne fut ennuyé.

Trente ans plus tard, les Néo-Zélandais ont pardonné aux Français. D'ailleurs, ces derniers sont très bien reçus en tant que touristes. Le français reste populaire dans les écoles, beaucoup plus que le maori, langue officielle avec l'anglais. Lorsque vous arrivez à l'aéroport international d'Auckland, les panneaux sont en anglais, en chinois et en français. Néanmoins, ceux qui se souviennent de cet acte terroriste organisé par Paris regrettent l'absence de justice pour la famille du photographe, même si le poseur des deux bombes, Jean-Luc Kister, présenta ses excuses, exprimant ses sincères regrets à la télévision néo-zélandaise l'année dernière... Trente ans plus tard !

À l'heure où la France est victime d'une vague d'attentats meurtriers sans précédent et qu'elle poursuit jusqu'en Syrie tous les responsables des fusillades du 13 novembre 2015, il serait juste et honorable qu'une rue de Paris porte le nom de la victime de l'attaque contre le Rainbow Warrior, comme le demande l'organisation Greenpeace. Un tel geste non seulement apporterait un peu de paix à la famille du défunt, mais elle montrerait au monde que la France condamne tout acte violent contre des innocents. Une «rue Fernando-Pereira» dans la ville des Lumières rappellerait les valeurs universelles que la France prétend défendre.

Mais on n'ose pas imaginer la ministre française de l'Environnement, Ségolène Royal, dont le frère fut celui qui aurait piloté le canot pneumatique dans l'«Opération satanique», répondre aux souhaits de Greenpeace pour un acte que le monde politique de la cinquième République considère plutôt comme une «bavure» que comme un acte terroriste.

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