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Pourquoi travaille-t-on autant?

Ne devrait-on pas travailler pour vivre, au lieu de vivre pour travailler?
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Je dis souvent que le travail n'a d'utilité que pour que les pauvres. Vous aurez compris que cela est légèrement teinté d'ironie! En fait, c'est ma phrase clichée chaque fois qu'une personne me dit qu'elle est occupée à travailler. Sans doute le fruit de mon petit côté baveux, mais je trouve qu'il y a tout de même matière à réflexion au travers de ce message. Dans le fond... pourquoi travaille-t-on autant? Un petit retour dans le temps semble judicieux pour répondre à la question.

Anciennement, le travail était associé aux nécessités de la vie. On labourait la terre, on faisait la moisson, une partie des récoltes servait à s'alimenter, le reste était vendu au marché. C'était l'époque où le travail était fait de façon artisanale. Et si on s'éloigne encore plus loin, disons à l'époque des hommes de Cro-Magnon, le travail était alors associé à la survie, c'est-à-dire la chasse, la cueillette des fruits, faire du feu, le maintenir, chercher des abris, etc. Heureusement, les choses ont quelque peu changé.

Au fil des époques, les connaissances se sont accumulées, les techniques se sont perfectionnées. Le travail a pris une tournure bien différente, notamment suite à l'avènement de la Révolution industrielle aux alentours du 19e siècle. Le travail qu'on faisait pour soi s'est transformé en travail fait pour autrui. Ainsi s'est popularisé le salariat, c'est-à-dire le fait d'être payé par un employeur à qui on offre notre force de travail, qui est la norme aujourd'hui.

Si on se ramène à aujourd'hui, bien rares sont ceux qui cultivent encore les champs pour s'alimenter ou qui font l'élevage des vaches afin d'avoir du lait à mettre dans leur latté. De nos jours, pratiquement tout le monde a un emploi puisqu'il s'agit d'un de nos seuls accès à la richesse, à moins bien sûr d'être rentier ou l'héritier d'une famille d'aristocrates... Circonstances un peu moins habituelles par contre. Mais surtout, l'emploi est la voie la plus simple pour obtenir un minimum de sécurité. En effet, bien difficile de se sentir en sécurité lorsqu'on n'a pas de salaire pour payer le loyer, ou même l'épicerie.

Mais là n'est pas le problème. Le problème survient lorsqu'on perd de vue le fait que le travail n'est qu'un moyen pour vivre confortablement, lorsqu'on voit plutôt le travail comme un phénomène s'inscrivant par défaut dans la vie de chaque personne. Je ne suis pas généticien, mais je suis prêt à mettre ma main au feu que le fait de travailler 40 heures par semaine et plus ne figure pas dans notre ADN.

C'est vrai, aujourd'hui si on a tout pour être confortable, être en sécurité, si on peut manger, aller à l'école, avoir des loisirs, etc. pourquoi alors continuons-nous de travailler autant? Pour avoir plus d'argent ? De pouvoir? De liberté? Vraiment? Où est la liberté d'une personne qui travaille plus de 40 heures par semaine, reste disponible en tout temps pour répondre à ses courriels, dine avec un appareil Bluetooth collé à son l'oreille, pense au travail même en vacances? Vous me direz où elle est la liberté dans tout ça, je la cherche encore.

De plus, comme je l'ai déjà mentionné dans un texte précédent, la technologie tend à prendre de plus en plus de place, à remplacer l'humain, surtout dans le secteur des services. On pourrait penser que cette technologie tendrait à s'acquitter d'une plus grande part des tâches réalisées par nous, les humains. Pourtant le travail ne cesse de s'intensifier, on en demande toujours plus aux individus, que ce soit en temps de travail ou en productivité. Rien de plus frappant pour illustrer ce phénomène que la réforme actuelle du Code du travail français qui porte notamment sur l'augmentation de la semaine normale de travail. En parallèle, le chômage ne diminue pas, même qu'à certains endroits, le chômage de longue durée est sur une pente ascendante.

On se retrouve alors avec des gens qui travaillent de plus en plus, et d'autres qui ont de plus en plus de mal à se trouver du travail... Un peu paradoxal.

Mais cela ne répond toujours pas à ma question: pourquoi travaille-t-on autant? Max Weber, un des sociologues les plus influents du 19e siècle, nous en apprend un peu plus à ce sujet. Via ses études, il a prétendu que la valorisation du travail, «le travail dur», par la majorité des sociétés occidentales, découle directement de l'éthique du protestantisme. En effet, la doctrine protestante relie le travail au fait de subvenir seul à ses besoins et ceux de sa famille, le voyant ainsi comme un devoir de citoyen. Ce courant religieux tout comme sa doctrine se sont propagés massivement un peu partout en Europe, plus particulièrement dans les pays anglo-saxons, durant le 16e siècle. Plus près de chez nous, les Pères fondateurs des États-Unis, ceux qui ont élaboré la Constitution, ceux qui en ont établi les piliers, étaient en grande majorité protestants.

Vous me voyez venir! Difficile de remettre en question l'apport de l'Europe, et surtout celle des États-Unis dans le façonnement de notre culture! Ils sont les modèles politiques, idéologiques, juridiques, etc., sur lesquels le Québec et le Canada se sont construits. Alors, se pourrait-il, dans ce cas, que notre relation avec le travail tienne beaucoup de ces influences extérieures, qui sont désormais bien ancrées dans nos habitudes? Absolument!

Ce n'est pas tout. Je crois qu'une autre raison fondamentale faisant en sorte que nous souhaitons autant travailler est la récompense implicite qui est au bout. Non pas le salaire, mais ce qu'on peut acheter avec. Important de faire la nuance. Aujourd'hui plus que jamais, on vit dans l'accomplissement matériel, on se définit avec ce que l'on possède. Facile de bien paraitre avec le char de l'année, une montre prise chez Birks, des vêtements haute couture, la bouteille de Veuve Clicquot qu'on s'empresse de publier sur Instagram. Facile oui, du moment qu'on se le paye... en travaillant toujours plus!

N'en demeure pas moins qu'il réside dans le travail un caractère essentiel pour tout individu, mais aussi pour toute société! Oui c'est important de travailler, chacun doit contribuer, mais à mon avis le travail ne devrait rester qu'un moyen pour atteindre nos besoins, nos objectifs, nos désirs. Il ne devrait être qu'une voie d'accès pour obtenir une réelle liberté, et non un facteur la restreignant. N'est-ce pas un peu réducteur pour notre vie de devoir travailler 50 semaines par année, pour n'obtenir que 2 ou 3 semaines de vacances en retour et tout ça pendant 30-35 ans? Laissez-moi le bénéfice de douter.

Malgré mon brin d'ironie, lorsqu'à la blague je prétends que le travail «n'appartient qu'aux pauvres», je trouve tout de même dommage que le travail soit aussi accaparant, qu'il s'avère parfois être notre raison de vivre. De cette façon, il nous empêche de nous réaliser pleinement dans d'autres sphères que nous offre la vie, alors qu'au final, le travail devrait seulement être un moyen pour en faciliter l'accès.

Autrement dit, ne devrait-on pas travailler pour vivre, au lieu de vivre pour travailler?

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