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La juste part des Panama Papers

Peut-être qu'on vit au-dessus de nos moyens, mais nos moyens ne sont pas aussi élevés qu'ils devraient l'être, avec tout cet argent qui nous glisse entre les doigts.
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«S'il y a des paradis fiscaux, c'est qu'il existe des enfers fiscaux.» - Adrien Pouliot

Lorsque j'ai vu cette citation, gracieuseté chef du Parti conservateur du Québec (PCQ), commentant le scandale des Panama Papers, j'ai ressenti un certain malaise. J'en ai déduit que ce politicien cautionnait, d'une certaine façon, l'évasion fiscale... Mon malaise s'est amplifié après avoir analysé son programme concernant l'aide sociale où il reprend (malhabilement d'ailleurs) un passage d'une chanson de Félix Leclerc : «La meilleure façon de tuer un homme, c'est de le payer à ne rien faire». Passage servant à justifier les coupes draconiennes qu'il effectuerait au détriment des prestataires d'aide sociale s'il atteignait le pouvoir. Grosso modo, réduire le confort des pauvres, aucun problème. Réduire celui des fortunés, jamais.

De ce que je sais des fondements idéologiques auxquels se rattache le programme du PCQ, et de façon plus globale la droite économique, c'est qu'ils estiment qu'en tant qu'individu, on fait un choix individuel quant au nombre d'heures qu'on souhaite consacrer au travail. Même chose pour le nombre d'heures qu'on souhaite consacrer au loisir. «Naturellement», le temps de loisir a un coût, acheté «normalement» par le fruit du travail. «Malheureusement», offrir une aide sociale réduit les coûts du loisir, donc favoriserait les mal intentionnés voulant profiter des largesses de l'État pour se «procurer» plus de temps de loisir, qu'ils ne pourraient se payer autrement. Cette assise idéologique, nommons-là : la théorie néoclassique est contestée par la littérature pour son manque de nuance et sa vision trop mathématique d'une science qui est d'abord sociale.

J'ai observé que cette haine envers les assistés sociaux «qui profitent du système» est la même dirigée sur le dos des fonctionnaires. Pas besoin de chercher longtemps sur Internet pour trouver l'opinion des animateurs de radios de Québec, tels Jeff Fillion ou Jérôme Landry, au sujet des fonctionnaires : «[il y a] trop de fonctionnaires», «[ces] privilégiés aux bénéfices exorbitants» qui sont ni plus, ni moins que des «gras durs payés à ne rien faire». Tous ces propos au nom de la défense du «pauvre payeur d'impôts» et du «vrai travailleur». De véritables Robin des Bois!

Sachez que ces propos sont très contestables, voire inexacts, surtout lorsqu'on s'intéresse aux chiffres et statistiques. Mais là n'est pas le cœur de ce texte. Une autre fois, peut-être. Revenons à nos moutons.

Il est beaucoup plus difficile de trouver l'opinion de ces animateurs de radio au sujet des profiteurs impliqués dans les Panama Papers. Pire! Certains politiciens font des déclarations douteuses. Celle d'Adrien Pouliot, mentionnée en début de texte, remporte la palme. L'opinion publique ne semble pas non plus s'insurger de cet événement. Pourtant, l'impact de cette magouille est de loin beaucoup plus dommageable sur nos sociétés que les conditions de travail des fonctionnaires, ou du 3 % de fraudeurs potentiels inscrits à l'aide sociale.

Il me semble qu'on se trompe de bouc émissaire.

Si les ménages sont surendettés, si la dette ne fait que s'accumuler, si les services sociaux se désintègrent, s'effritent, soyons rigoureux : ne mettons pas la faute sur les assistés sociaux ou sur les fonctionnaires, ils ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan.

(Il ne faut pas se leurrer, rien n'est optimal, tant les dépenses consacrées à l'administration publique que celles octroyées dans les filets sociaux. Mais là aussi, il ne s'agit pas du propos du texte. Une autre fois, peut-être.)

Quand j'apprends qu'entre 21 000 à 32 000 milliards de dollars reposent bien sagement dans des paradis fiscaux un peu partout sur la planète, j'ai bien de la difficulté à comprendre le statu quo des gouvernements dans leur lutte contre ce fléau.

D'ailleurs, si vous avez de la misère à vous imaginer ce que représentent 32 000 milliards de dollars, dites-vous qu'il s'agit environ du cumul des produits intérieurs bruts (PIB) des États-Unis et du Japon, combinés.

Lorsque j'entends les disciples de la rigueur budgétaire lui en faire les éloges, dire qu'il faut arrêter de vivre au-dessus de nos moyens, qu'on croule sous la dette publique, je suis découragé. Peut-être qu'on vit au-dessus de nos moyens, mais nos moyens ne sont pas aussi élevés qu'ils devraient l'être, avec tout cet argent qui nous glisse entre les doigts.

D'ailleurs, c'est avec cette excuse que notre gouvernement justifie le recours aux mesures d'austérité, ou les multiples déclinaisons qu'il se plaît à utiliser, prétendant qu'il s'agit d'une nécessité et de la seule option qu'on a afin de se donner une marge de manœuvre économique.

D'emblée, j'ose espérer pour ceux qui ont lu jusqu'ici que le qualificatif «nécessaire» qu'on aurait pu lui prêter, à tort, devient de plus en plus discutable pour vous. L'austérité est d'abord et avant tout un choix politique et idéologique. Bref, tout sauf un fait de nature s'imposant à nous comme l'hiver en janvier. L'austérité, c'est le désir de réduire les dépenses de l'État et, ultimement, la taille de celle-ci, afin de laisser une plus grande place au secteur privé.

Il existe plus d'une manière d'équilibrer un budget. Vrai, réduire les dépenses figure parmi ces dernières, mais rapatrier les sommes dormant dans les paradis fiscaux, c'est-à-dire les sommes de ceux qui ne paient pas leur juste part, fait aussi partie de ce lot de mesures possibles.

Selon la logique de certaines élites politiques, la richesse se crée via l'entreprise privée et il serait risqué de trop la contraindre dans ses actions. Ce qui est prôné, en revanche, c'est un sabrage dans les dépenses publiques et dans les services à la population, au profit du privé. C'est d'ailleurs exactement le même constat qu'a fait Noam Chomsky : «rendre les services publics si inefficaces que la privatisation s'impose de fait».

La comparer à une fatalité, c'est rire de nous, surtout quand on connaît le peu d'efforts investis sur les vrais problèmes - pardon, «les vraies affaires» - qui pourraient facilement éviter le recours aux mesures d'austérité. Au final, les grands perdants sont les acteurs de la classe moyenne. Les vrais travailleurs, si vous préférez.

Si l'on s'inquiète de la condition des payeurs de taxes, du travailleur de la classe moyenne, je crois qu'il faut réorienter notre combat. Oui, il faut espérer une meilleure gestion des finances publiques, mais cela ne se limite pas qu'aux salaires des fonctionnaires, ou aux restrictions imposées à l'aide sociale. Combien de temps durera l'effervescence des Panama Papers? Même question au sujet des allégations de corruption et de collusion qui règnent au sein du Parti libéral du Québec. C'est à se demander qui sont les véritables «privilégiés aux bénéfices exorbitants»...

Je rêve du jour où les Landry, Fillion, mais aussi les Duhaime, Arthur, Morais, Martineau, etc., s'en prendront quotidiennement dans leurs chroniques aux paradis fiscaux et à leurs bénéficiaires... Qui sait, peut-être que je commencerai à devenir fan d'eux.

Mais je crois qu'en attendant, nous avons un devoir de nous informer, mais surtout de dénoncer ces malfaiteurs, à l'instar de ceux qui le font aux dépens des fonctionnaires et des assistés sociaux. Donc, pour ceux qui auraient tendance à les dénigrer en les comparants à de vulgaires profiteurs, s'il vous plaît, allez plus loin que le discours des politiciens teintés par leur idéologie, ou celui des trop nombreux pseudo-experts d'économie politique. Mais surtout, allez vous en prendre aux vrais coupables, aux vrais profiteurs.

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