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Les femmes et les hommes n'existent pas

Je rêve d'une éducation où la notion de binarité du genre serait inexistante.
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PETER_LSW via Getty Images

Il semble important de se demander comment on peut revoir notre modèle d'éducation sexuelle pour arriver à certains constats dont la société aurait un grand besoin actuellement. D'abord, revoyons certains concepts :

Le genre, théorisé entre autres par Judith Butler dans Trouble dans le genre, a été distingué de la notion commune de « sexe » pour désigner les différences sociales entre hommes et femmes qui n'étaient pas directement liées à la biologie.

L'identité de genre renvoie à la façon dont les humains pensent et ressentent leur identité en regard des deux sexes définis et construits dans la société. Un homme se sentant pleinement homme serait cisgenre. Une personne qui a une identité de genre différente du sexe assigné, des hommes avec des caractères féminins et des femmes masculines peuvent construire des identités de genre multiple. Dans nos sociétés, certaines personnes ne sont point en mesure de s'identifier au sexe masculin ou féminin (comme transgenre entre autres). Ces personnes se définissent en dehors de la dualité femme-homme. D'ailleurs, le gouvernement canadien est désormais en mesure de reconnaitre ces personnes.

L'identification du sexe d'une personne, quant à elle, n'est pas aussi simple qu'il y paraît. Nombreux sont les auteurs qui ont tenté de souligner la pluralité irréductible des critères de détermination du « vrai sexe » d'une personne. En fait, ni l'anatomie (pénis/vagin), ni l'ADN (chromosomes XY/XX) et ni l'organisation du cerveau humain ne permettent de donner une définition sûre du sexe. D'ailleurs, certaines analyses sur l'intersexuation ont ainsi démontré comment tous les jours, des sexes indéterminés sont promulgués ou reconstruits en fonction de critères directement liés à la nécessité sociale de distinguer les hommes des femmes.

L'indéfectible rupture du lien entre sexe et tempérament

Combien de fois avons-nous entendu dire que les femmes sont dotées de capacités cognitives liées davantage à la sensibilité et la douceur tandis que les hommes seraient davantage agressifs et violents? Trop de fois, je dirais. Selon la chercheure Margaret Mead dans Mœurs et sexualité en Océanie, on entrevoit des conclusions étonnantes à ses analyses. Chez les Aparesh, en Océanie, leur idéal est celui d'un homme doux et sensible marié à une femme tout aussi douce et sensible que lui. Chez les Mundugumor, c'est celui d'un homme violent et agressif marié à une femme tout aussi violente et agressive. Chez les Chambuli, quant à eux, on entrevoit une image renversée de ce qui se passe dans nos sociétés. La femme y est la partenaire dominante : elle a la tête froide, et c'est elle qui mène la barque. L'homme est, des deux, le moins capable et le plus émotif.

La dérive vers l'utilisation abusive de la biologie pour expliquer les différences entre les sexes reste une vraie menace pour la démocratie.

Lorsqu'il est question d'une telle confrontation, des conclusions très précises se dégagent. Pour ainsi dire, certaines attitudes que l'on croyait traditionnellement associées au tempérament féminin – comme la passivité, la sensibilité et l'amour des enfants – peuvent aisément être typiques des hommes d'une tribu et, dans une autre, inversement, être complètement rejetées par la majorité des hommes et des femmes. Ainsi, les auteures Catherine Vidal et Simone Gilgenkrantz affirment qu'il n'y a plus aucune raison de croire que les différences traditionnelles que nous dégageons des hommes et des femmes sont irrévocablement déterminées par le sexe d'un individu. De ce fait, prétendre que c'est la testostérone qui fait les hommes compétitifs et agressifs tandis que les oestrogènes rendent les femmes émotives et sociables relève d'une vision simpliste, bien loin de la réalité biologique. Si dans un groupe social, hommes et femmes tendent à adopter des comportements stéréotypés, la raison tient d'abord à une empreinte culturelle rendue possible grâce aux propriétés de plasticité du cerveau humain. D'ailleurs, l'idée même de différenciation des sexes est liée au capitalisme sauvage : c'est le sujet de prédilection de l'industrie pharmaceutique qui tente d'accroître ses marchés par la vente de produits miracles stimulant féminité ou virilité. La dérive vers l'utilisation abusive de la biologie pour expliquer les différences entre les sexes reste une vraie menace pour la démocratie.

Le cerveau n'a pas de genre

Lorsque l'on nait, nous ne sommes pas conscients d'avoir un sexe. On l'apprend au fur et à mesure que nos capacités cognitives se développent. Gaïd le Maner-Idrissi nous rappelle que le sexe n'est pas inné. Ce n'est qu'à partir de deux ans et demi qu'un enfant est en mesure de s'identifier à l'un des « deux sexes ». Or, depuis la naissance, l'enfant évolue dans un environnement qui est, pour la plupart du temps, sexué : la chambre, les jouets, les vêtements et même la socialisation diffèrent selon le sexe qu'on attribue à l'enfant tout en prétendant de l'identité de genre de ce nouvel individu en développement. Selon certaines expériences, des adultes, de manière inconsciente, ont adopté des interactions davantage physiques avec les bébés garçons, alors qu'ils s'orientaient vers la socialisation chez les filles. Ainsi, l'interaction avec l'environnement social, familial, culturel et scolaire va orienter les goûts, les aptitudes et ainsi contribuer à forger l'identité même d'un individu, et ce, en fonction des rôles masculins et féminins dictés par la société (théorisé par Cordelia Fine). Pour ainsi dire, la structuration de notre matière cérébrale est entièrement liée au reflet intime de l'expérience vécue de chaque individu.

Au niveau des performances, on a démontré qu'hommes et femmes réussissent de manière égale dans les tâches de langage et d'orientation; des aptitudes verbales et spatiales; des sciences naturelles et des mathématiques. Prenons l'exemple d'une classe d'élèves de 11-13 ans qui s'apprêtent à faire un test mesurant les capacités de représentation spatiale. Lorsque le test est présenté par le professeur comme étant un test de géométrie, les résultats des garçons sont meilleurs que les filles. Néanmoins, lorsque le professeur présente son test comme étant une évaluation en dessin, alors les filles présentent des résultats meilleurs que les garçons. Cette expérience vient démontrer comment les filles viennent à intérioriser, de manière inconsciente et invraisemblable, une infériorité en mathématique. Néanmoins, on a tout de même démontré que garçons et filles n'ont pas des statistiques différentes au niveau du raisonnement mathématique.

Vers une éducation non genrée

Je rêve d'une éducation où la notion de binarité du genre (dualité femme-homme) serait inexistante. Comment s'est-on rendu là? Comment se fait-il qu'il existe encore des disparités probantes entre femmes et hommes? Encore aujourd'hui, les femmes occupent une place limitée au sein des pouvoirs politiques, des conseils d'administration et des mouvements syndicaux. Cette hiérarchisation du genre est issue davantage de normes sociales établies par le patriarcat d'où la nécessité de s'en défaire. La binarité du genre n'est qu'illusion.

Il n'y a pas de masculinité, ni de féminité, mais des gens qui adoptent des comportements stéréotypés tout ça, bien entendu, dans un contexte d'une société hétéronormative vouée à une reproduction et une croissance économique perpétuelles.

En 1949, dans le deuxième sexe, Simone de Beauvoir nous rappelle qu'on « ne nait pas femme, on le devient ». Pour ainsi dire, il y a déjà plus de soixante ans, on dénotait déjà l'imbrication de la normalisation du genre de nos sociétés. Il n'y a pas de masculinité, ni de féminité, mais des gens qui adoptent des comportements stéréotypés tout ça, bien entendu, dans un contexte d'une société hétéronormative vouée à une reproduction et une croissance économique perpétuelles. Le genre, quant à lui, est nul autre qu'une construction sociale. Comme quoi il y a encore du chemin à faire.

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