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Quand Picasso «avouait» être un escroc

À l'occasion de la réouverture du musée Picasso, penchons-nous sur un aspect méconnu de la vie de l'artiste. Nous sommes en 1952, et une simple lettre du peintre va déchaîner les passions, sur un fond trouble de guerre larvée entre services secrets.
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À l'occasion de la réouverture du musée Picasso, penchons-nous sur un aspect méconnu de la vie de l'artiste. Nous sommes en 1952, et une simple lettre du peintre va déchaîner les passions, sur un fond trouble de guerre larvée entre services secrets.

Adressée à l'intellectuel Giovanni Papini, elle est publiée par celui-ci en 1952 dans son Livre noir. Elle fait dès lors couler beaucoup d'encre. Et pour cause! Picasso est alors au sommet de sa gloire. Une anecdote veut même que, alors qu'il réglait une addition au restaurant en se contentant d'un dessin sur la nappe, le serveur lui ait reproché de ne pas l'avoir signé. Le Catalan se serait contenté de répondre: « Je n'ai pas dit que j'achetais le restaurant. »

Une étonnante confession

Célébré partout et par tous, Picasso confesse dans cette fameuse lettre n'être rien d'autre qu'un imposteur. Il avoue avoir eu dans sa jeunesse « la religion de l'art, du grand art », mais que tout cela appartient désormais au passé.

« Je me suis aperçu que l'art, comme on le concevait jusqu'à la fin de 1800, est désormais fini, moribond, condamné, et que la prétendue activité artistique avec toute son abondance n'est que la manifestation multiforme de son agonie. »

L'art est mort pour la simple raison que les hommes sont passés à autre chose. Ils s'intéressent à la science, à l'argent, au pétrole, et non à la peinture. « Nous ne sentons plus l'art comme besoin vital, comme nécessité spirituelle, comme c'était le cas dans les siècles passés. »

Après avoir admis que ses contemporains ne peignent que par routine et ostentation, Picasso ne voit d'avenir à l'art que « dans les musées et bibliothèques comme incompréhensible et inutile relique du passé ».

Picasso: un escroc intellectuel?

Encore ces considérations intellectuelles pourraient-elles être mises sur le compte d'une légère mélancolie et n'auraient pas de quoi faire trembler le monde de l'art. Ce sont surtout les idées qui suivent qui terniront la réputation de l'artiste. Picasso se décrit comme un amuseur, qui doit son succès à la bêtise de riches oisifs à la recherche de nouveauté. Plus ses œuvres sont bizarres, plus elles sont admirées.

« Les raffinés, les riches, les oisifs, les distillateurs de quintessence cherchent le nouveau, l'extraordinaire, l'original, l'extravagant, le scandaleux. Et moi, depuis le cubisme et au-delà, j'ai contenté ces messieurs et ces critiques avec toutes les multiples bizarreries qui me sont venues en tête, et moins ils les comprenaient, et plus ils les admiraient. »

Le peintre résume avec cynisme son succès.

« À force de m'amuser à tous ces jeux, à toutes ces fariboles, à tous ces casse-têtes et arabesques, je suis devenu célèbre et très rapidement. Et la célébrité signifie pour un peintre: ventes, gains, fortune, richesse. »

En est-il pour autant satisfait? Ce serait aller un peu vite en besogne.

« Aujourd'hui, comme vous savez, je suis célèbre et très riche. Mais quand je suis seul avec moi-même, je n'ai pas le courage de me considérer comme un artiste dans le sens grand et antique du mot. Ce furent de grands peintres que Giotto, Le Titien, Rembrandt et Goya. Je suis seulement un amuseur public qui a compris son temps. »

Une telle critique de son œuvre ne pouvait manquer de faire du bruit, et la lettre est reprise par de nombreux journaux, notamment en France.

La guerre froide et l'art

Mais si la conclusion pouvait laisser croire que l'artiste venait de faire un dur aveu - « c'est une amère confession que la mienne, plus douloureuse qu'elle ne peut sembler, mais elle a le mérite d'être sincère » - la réalité est tout autre.

La lettre aurait en fait été inventée de toutes pièces par Papini. En délicatesse avec un certain nombre de personnes depuis la chute du fascisme, il aurait cédé aux pressions de l'OTAN. Que vient faire l'OTAN là-dedans? Nous sommes au début de la guerre froide et le communisme affiché de Picasso déplaît fortement à certains, qui décident de ternir sa réputation.

L'OTAN n'est pas isolée. La CIA monte le programme « long leash » destiné à promouvoir les peintres américains afin de prouver que le libéralisme peut aussi produire de grands artistes. Jackson Pollock, Robert Motherwell, Willem de Kooning et Mark Rothko bénéficient des largesses de l'agence américaine, qui leur obtient (sans doute à leur insu) des expositions et des articles louangeurs dans les journaux. Cela paraît tellement incroyable que jusqu'aux aveux récents de l'ancien agent Donald Jameson, l'aide supputée des services secrets à des artistes peu orthodoxes n'était considérée que comme une rumeur attribuée à des réactionnaires et des artistes jaloux.

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