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Où sont les priorités du Barreau?

Le Barreau n’est pas un parti politique et nos cotisations ne devraient jamais servir à autre chose que la protection du public et de la primauté du droit.
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Micha? Chodyra via Getty Images

Le 16 avril dernier, j'apprenais, quelque peu estomaqué, que mon ordre professionnel, le Barreau du Québec (en plus du Barreau de Montréal), lance une croisade contre le gouvernement du Québec, dans le but de s'assurer que les lois du Québec soient adoptées en français et en anglais, simultanément, au lieu du système actuel d'adoption des lois, qui consiste en un processus quasi unilingue (selon le Barreau) et qui se termine par une traduction anglaise. Le tout, justifié par le respect de la constitution canadienne.

Laissons les experts débattre des arguments légalistes et constitutionnels. Je ne doute aucunement que ces questions, arides pour le citoyen non-juriste, soient sérieuses et non dénuées de fondement, bien que fort débattables.

Comme citoyen et comme avocat, je m'interroge cependant sur l'opportunité du geste de mon ordre professionnel.

Comme citoyen et comme avocat, je m'interroge cependant sur l'opportunité du geste de mon ordre professionnel. Où le Barreau tire-t-il la légitimité d'engager de précieuses ressources humaines et financières dans une guérilla judiciaire éminemment politique qui, n'en doutez pas, serait désapprouvée par une majorité de membres du Barreau si un sondage sur la question était tenu?

On nous répliquera que le Barreau n'agit pas en fonction des valeurs de ses membres, mais en fonction du respect de la primauté du droit. Il reste que le choix de se lancer dans une telle aventure (à l'issue plus qu'incertaine) constitue une décision politique qui relève de la discrétion du Barreau. À une époque où l'érosion du français au Québec et particulièrement à Montréal est tangible, quantifiable et quantifiée, où le joyeux navire du bilinguisme devenu anglicisation transporte allègrement une nation comateuse vers l'acculturation lente, mais certaine, comment expliquer que le Barreau décide d'ajouter du poids à ce bulldozer sauce trudeauiste, au lieu de prêter plus courageusement sa voix et son expertise à la défense de la primauté du français, langue commune et seule langue officielle?

Le Barreau du Québec n'est pas un lobby politique. Il doit cependant veiller à la protection du public et assurer le respect de la primauté du droit. Or, on ne convaincra aucune âme éclairée en claironnant que ce genre d'initiative n'est pas politiquement teintée, qu'il s'agit d'un simple détail administratif visant à régler une défectuosité de l'appareil parlementaire, défectuosité supposément très coûteuse pour les justiciables. Qu'Alliance Québec ou tout autre lobby politique initie une telle démarche se serait inscrit dans la logique d'une démocratie libérale où la liberté d'expression est garantie, mais que le Barreau du Québec, institution neutre, se prête à un tel jeu a de quoi faire sourciller.

Si le Barreau tient tant aux respects des droits linguistiques de tout un chacun, pourquoi n'engage-t-il pas des ressources supplémentaires pour s'assurer du respect de la Charte de la langue française et de la loi 101, lois bafouées au jour le jour s'il en est par les individus, les entreprises et les institutions?

Il tourne le dos à la majorité francophone du Québec et à la prédominance du français, langue commune, pour se ranger du côté trudeauiste/bilingue.

Nous sommes à l'ère de l'« inclusion » tous azimuts et de la « diversité » chantées dans tous les accents et déclinées dans toutes les langues. Portés par une rectitude politique ambiante devenue toxique, ces mots, aujourd'hui totalement galvaudés et vidés de leur sens, camouflent aussi des agendas politiques. En mettant l'accent sur l'« inclusion » de l'anglais, le Barreau envoie un message. Il tourne le dos à la majorité francophone du Québec et à la prédominance du français, langue commune, pour se ranger du côté trudeauiste/bilingue. Le nouveau paradigme n'est plus la pérennité du français, mais la bilinguisation de la nation. Mais la seule issue possible d'un tel sentier est la lente déliquescence du fait français au Québec et la folklorisation de la langue de Molière, car le combat est inégal. Au nom de vocables comme « pluralisme » et « ouverture », censés être des valeurs universelles inattaquables, on érode en fait les acquis de la Révolution tranquille en matière de droits linguistiques de la majorité, pour défendre des intérêts communautaristes particuliers.

Comment, en effet, en sommes-nous arrivés à un point délirant où défendre une identité et une langue communes au détriment des communautarismes qui créent une société fragmentée et faible, peut vous valoir des accusations de xénophobie? C'est ce climat délétère de rectitude politique qui perdure depuis près de 20 ans qui a conduit à une telle absurdité et qui pave la voie, dans l'indifférence générale, à cette récente prise de position par le Barreau.

Il faut aussi s'interroger sur le choix du moment par le Barreau. Pourquoi maintenant? Si cet unilinguisme allégué des lois du Québec perdure depuis des années voire des décennies, pourquoi n'a-t-il pas agi avant, si tant est que la situation soit intenable? À l'heure où le bâtonnier du Québec mène un combat légitime pour arrimer le système de justice à la réalité technologique de 2018, cela ne risque-t-il pas de créer une étrange diversion? Le citoyen lambda ne risque-t-il pas de se demander si le Barreau cherche à défendre des intérêts particuliers, contraires à ceux de la majorité, au lieu de défendre la réelle primauté du droit sur des questions essentielles comme l'accès à la justice?

Au-delà de cette question particulière éminemment politique qu'est ce combat pour le bilinguisme, il faut, dans une perspective plus globale, se demander d'où le Barreau puise sa légitimité de se prononcer, il me semble, sur l'opportunité des lois adoptées par le législateur, et non simplement leur légalité. Nous avons vu, dans les dernières années, de nombreux cas où notre ordre professionnel exprimait un point de vue politique sur certains enjeux. La ligne est parfois mince entre remettre en question la valeur morale (l'opportunité) d'une loi et sa légalité. Les membres ne votent pas, lors des élections au Barreau, en fonction de l'orientation politique des administrateurs. Le Barreau n'est pas un parti politique et nos cotisations ne devraient jamais servir à autre chose que la protection du public et de la primauté du droit.

Laissons le reste aux lobbys et aux partis politiques.

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