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La tragédie du président

Dans un bouquin plus récent, Giesbert rapportait ces paroles prononcées par le président défait il y a quelques années. « Je ferai un mandat, un seul, et quand j'aurai réformé la France, j'irai dans le privé et je ferai de l'argent. » (M. le Président, 2011) Paroles prophétiques, hormis que le fait que ce sont les Français, et non le président lui-même, qui ont décidé de la fin de l'aventure.
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C'est maintenant officiel. Au terme d'une campagne électorale menée rondement, sans erreur de parcours, celui que tous les sondages d'opinion prédisaient victorieux est devenu hier le septième président de la Ve République française. François Hollande a ainsi recueilli près de 52% des suffrages exprimés, défaisant le président Nicolas Sarkozy qui sollicitait un second mandat. La réaction du président vaincu ne fut pas longue à venir : devant une salle de la Mutualité bondée de partisans amers, le candidat de la droite à concéder la victoire en annonçant d'emblée qu'il comptait bien « redevenir un Français parmi les Français ». Dans les circonstances, il s'agit d'un euphémisme pour celui qui fut tout sauf un citoyen et un candidat « normal ». L' « hyperprésident », le président « bling-bling » a eu un parcours politique hors du commun, une ascension fulgurante et une fin tout aussi spectaculaire. Aujourd'hui, alors que tous les yeux se tourneront vers le nouveau président socialiste, le rideau tombe sur une brillante carrière de près de trente ans.

Une machine politique

La tragédie du président. C'est le titre d'un ouvrage de Franz-OlivierGiesbert, directeur du Point et observateur caustique des jeux de coulisse des palais de la République française, paru en 2006. Giesbert, observateur caustique des jeux de coulisses des palais de la République française, y relatait les derniers mois du mandat de Jacques Chirac. Mais surtout, il y mettait en scène la rivalité de deux hommes, le président Chirac et le fougueux Nicolas Sarkozy, ministre hyperactif, autrefois fils spirituel du président avant qu'il ne le trahisse au hasard de la campagne présidentielle de 1995. À l'époque, le jeune Sarkozy, étoile montante de la droite française, avait préféré faire faux bond à Chirac qui lui avait pourtant mis le pied à l'étrier, pour appuyer - à son propre malheur - la vedette des sondages d'opinion. L'histoire nous a révélé la suite : Chirac est littéralement ressuscité auprès de l'opinion publique française à la faveur d'une campagne électorale de terrain, coiffant au poteau le candidat appuyé par Nicolas Sarkozy. Mais surtout, Giesbert mettait en relief un trait somme caractéristique du passage de Chirac à l'Élysée : si l'ancien président était un animal politique extraordinaire, d'une rare efficacité dans la conquête du pouvoir, il s'avérait difficilement capable de tracer une orientation claire dans sa gestion quotidienne du pays. S'il savait comment prendre le pouvoir, il ne savait trop quoi en faire une fois celui-ci conquis. Trait qui semble avoir été hérité par son cadet Sarkozy.

Le sarkozysme, c'est avant tout une méthode, un style plutôt qu'une véritable idéologie politique. Capable de dire tout et son contraire, Nicolas Sarkozy, c'est un « four qui toujours chauffe et où rien ne cuit » pour reprendre l'image de Voltaire. Voici un homme capable, dès son arrivée au pouvoir, de festoyer dans un grand restaurant avec les bonzes du milieu de la finance, de prendre des vacances sur le yacht du grand industriel Vincent Bolloré, avant que de dénoncer, dans sa campagne de réélection, la puissance des « élites » sur la vie politique française. Voici un homme capable de se faire élire à la tête d'un parti de droite, avant que d'en appeler à la « refondation » du capitalisme lors de la dernière crise économique. Refondation qui se fait,par ailleurs, toujours attendre. Un homme capable de dénoncer les conséquences de l'immigration illégale, alors qu'il a lui-même été dans les dix dernières années ministre de l'Intérieur et président de la République. Est-ce donc dire que la situation qu'il dénonçait dans les dernières semaines était, au fond, la résultante de ses propres décisions politiques? Les Français, eux, l'ont visiblement pensé hier lorsque fut venu le temps de voter. Les élections présidentielles sont avant tout un moment où les Français élisent un véritable monarque républicain, quelqu'un qui saura incarner la grandeur - réelle ou passée - de la France, de sa culture, de ses institutions. Ils ont cependant eu droit, pendant cinq ans, à un homme détestant le vin (véritable crime culturel!), joggant tel un président américain avec un t-shirt NYPD et n'hésitant pas à quitter son Olympe républicaine pour lancer à un citoyen : « Casse-toi pauvre con! ». Si les électeurs ont sanctionné hier les résultats des politiques élaborées par la droite durant la dernière décennie, nombreux sont ceux qui pensent aussi que c'est une méthode, un style de gouvernance et de présidence qui a été rejeté. Un véritable référendum contre Nicolas Sarkozy.

Le calme après la tempête

Dans un bouquin plus récent, Giesbert rapportait ces paroles prononcées par le président défait il y a quelques années. « Je ferai un mandat, un seul, et quand j'aurai réformé la France, j'irai dans le privé et je ferai de l'argent. » (M. le Président, 2011) Paroles prophétiques, hormis que le fait que ce sont les Français, et non le président lui-même, qui ont décidé de la fin de l'aventure. Dans les prochains jours, les Québécois qui s'intéressent à la politique française pourront contempler le grand ballet - toujours impressionnant - de l'alternance politique dans les palais dorés de la République française. L'ancien président, quant à lui, prendra sûrement le large quelque temps pour panser ses plaies, alors que sa famille politique se déchirera en coulisse afin de trouver celui ou celle qui occupera désormais la première place à droite de l'échiquier politique. Cependant, il est une chose dont on peut être certain : ce genre de fauve politique ne peut jamais, vraiment, se passer de sa nourriture quotidienne des dernières décennies. L'ambition, la soif de pouvoir, le désir d'occuper l'avant-scène. Que ce soit à la direction d'une grande firme privée ou peut-être, sait-on, au sein d'instances européennes, il est fort à parier que Sarkozy émergera à nouveau, un jour ou l'autre. Sa carrière aura été une véritable tragédie politique, faite de victoires, de défaites, d'alliances et de trahisons. Elle aura été une relation compliquée d'amour-haine avec le peuple français. À François Hollande, désormais, d'imprimer sa marque aux commandes de l'Élysée. Après la tempête Sarkozy, les Français auront droit à la « force tranquille » de Hollande. Le calme après la tempête, en somme, mais pour combien de temps?

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