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Chris Hedges était de passage cette semaine à Montréal afin de présenter la version française de son ouvrage,. Ancien correspondant de guerre et ex-journaliste au New York Times, récipiendaire du prix Pulitzer en 2002, il figure parmi les critiques les plus acerbes de l'élite libérale américaine et de sa mainmise économique et politique sur les principaux leviers du pouvoir.
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Chris Hedges était de passage cette semaine à Montréal afin de présenter la version française de son ouvrage désormais incontournable,The Death of the Liberal Class. Ancien correspondant de guerre et ex-journaliste au New York Times, récipiendaire du prix Pulitzer en 2002, il figure, aux côtés de l'universitaire Noam Chomsky, parmi les critiques les plus acerbes de l'élite libérale américaine et de sa mainmise économique et politique sur les principaux leviers du pouvoir. Jean-Philippe Cipriani et moi avons eu le chance de le rencontrer pour une petite entrevue à l'heure du déjeuner afin de revenir sur les grands axes de sa critique envers le gouvernement américain et le président Obama, présenté comme une autre « marque de commerce » politique, de même que du système capitaliste actuel qui semble aujourd'hui totalement déréglé. Avec un taux de chômage réel devant sans doute dépasser les 10%, une population étudiante endettée à la hauteur d'un trillion de dollars, avec un État aux prises avec deux guerres interminables et un fardeau financier de près de 16 000 milliards de dollars, Hedges est plus que pessimiste quant à l'avenir de son pays. Tôt ou tard, la situation finira par exploser. Quand et comment? Il ne s'avance pas à le dire.

« Keep the narrative alive! »

N'en demeure pas moins que face à la crise économique provoquée par les dérèglements du secteur financier et devant la troïka de mesures d'austérité imposées par les gouvernements, qui jettent dans les rues des capitales des dizaines de milliers de protestants de par le monde, l'ancien journaliste se montre agréablement surpris de voir la naissance de nouveaux mouvements sociaux, que ce soit en Amérique ou en Europe. Celui qui écrivait en 2009 que l'espoir de voir naître des mouvements de contestation de l'ordre économique établi n'était qu'un « fantasme » politique affirme candidement aujourd'hui s'être trompé. Et la récente grève étudiante qui a secoué le Québec est, aux yeux de Hedges, l'un « des plus importants mouvement de contestation, en Amérique du Nord, des dernières décennies. » Si le récit de la grève a peu été relayé par les grands médias américains, il n'en demeure pas moins qu'il a trouvé un écho très important parmi les étudiants surendettés de son pays et les organisateurs de mouvements populaires de contestation comme celui d'Occupy. Pour Hedges, c'est la mobilisation soutenue et les efforts constants qui ont été déployés sur une longue période, durant les premiers mois de l'année, qui marquent le caractère singulier du Printemps érable. S'il est normal que la poussière retombe et que la contestation diminue, il faut néanmoins demeurer vigilant et prêts à se faire entendre à nouveau. Selon lui, c'est l'accumulation de petites victoires qui permettra la prise de conscience et la formation d'un mouvement plus important : « Vous n'avez peut-être pas tout gagné, mais vous leur avez fait peur! Il faut maintenir le mouvement, l'histoire [narrative] en vie! »

C'est le sort intellectuel du monde universitaire qui préoccupe également Hedges, et notamment l' « assaut » lancé contre les sciences humaines et les arts dans les grandes universités américaines, disciplines jugées inutiles et subversives. Ces mêmes disciplines ont été marginalisées par ce qu'il appelle l'État corporatiste, c'est-à-dire par les besoins imposés au milieu universitaire par les grandes entreprises et les bailleurs de fonds des universités. Peu à peu, l'on a asphyxié, affamé [starve] les départements, forçant nombre de ceux-ci à fermer leurs portes ou à être condamnés à la marginalité. Pourquoi conviendrait-il de réaffirmer l'importance des humanités, des sciences humaines comme l'histoire, la sociologie ou la philosophie? « Parce que ce sont des matières qui forcent à la réflexion, à l'utilisation de l'esprit critique. » En fermant les départements de langue ou de sciences sociales aux États-Unis, l'on élimine « toute possibilité d'un enseignement incitant les étudiants à mettre en cause les fondements d'une culture en déclin, à s'ouvrir aux réalités ayant cours au-delà de leurs frontières et à définir de nouvelles orientations pour leur société. » Aujourd'hui, les étudiants de sciences humaines ne représentent plus que 8% de tous les diplômés de premier cycle américains. L'on n'apprend plus aux étudiants et aux futurs dirigeants à penser ou à réfléchir sur leur propre rôle, mais à poser les décisions et les gestes machinaux que l'on inculque aux nouveaux techniciens de la gestion et de la finance.

Comme je l'affirmais dans un précédent billet, il nous faut d'emblée nous concentrer sur l'avenir intellectuel de l'université, au-delà de la seule question (importante, bien sûr) des frais de scolarité. Pour Hedges, le gouvernement québécois devrait d'abord mettre l'accent sur l'éducation elle-même et tenter de limiter l'influence des intérêts privés sur l'avenir de l'éducation supérieure. Est-ce que les dirigeants du milieu des affaires devraient être invités au sommet? Non, répond l'essayiste : « De quoi voulez-vous qu'ils parlent? D'éducation? Leur milieu est l'antithèse même de la mission éducative! Ils vont vous parler de marché, d'efficacité et de productivité. » Des mots qui peuvent trouver un certain écho lorsque l'on se penche sur l'avenir de notre propre milieu universitaire, certes différent du réseau américain, mais non pas à l'abri des mêmes dérives. C'est ainsi que l'on ne se surprend plus de voir des recteurs comme Guy Breton donner des discours devant des parterres de gens d'affaires, rediffusés à la télévision sous le titre évocateur de Rendez-vous avec nos PDG et dans l'un desquels le dirigeant de la respectable institution d'enseignement affirmait être fier que ses étudiants « n'étudient plus pour étudier » et qu'ils atteignent un taux de placement enviable sur le marché du travail.

Hedges a le ton et l'attitude du professeur et journaliste qui a beaucoup voyagé, beaucoup vu et qui a aujourd'hui perdu toutes les illusions qu'il a jadis pu avoir sur sa société, le monde politique ou même le milieu des intellectuels qu'il accuse de complaisance et de passivité. D'un ton étonnamment détaché, il affirme d'emblée que les intérêts financiers ont déjà gagné la partie et que l'élection présidentielle prochaine ne changera probablement rien à la situation intérieure des États-Unis. Tout ce que nous pouvons faire, c'est maintenir une constante vigilance, sortir manifester par milliers et surtout, garder un esprit critique et alerte. Est-ce que les mouvements de contestation ne sont que passagers? Sur ce point, il demeure optimiste : « Je ne crois pas ». Si la voix d'Hedges pèse et qu'il est aujourd'hui un incontournable de la pensée américaine contemporaine, seul le temps viendra dire s'il avait raison ou non. Celui qui était en Allemagne de l'est lors de l'effondrement du mur de Berlin a bien vu que l'histoire peut parfois s'accélérer de façon totalement imprévue. La transformation des sociétés et la recomposition du système politique et financier semblent inévitables pour Hedges. Et ce moment pourrait bien arriver plus rapidement qu'on ne le croit...

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