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«SLĀV» n’est pas de l’appropriation culturelle

La censure, bête et brutale, a mis fin aux représentations montréalaises de «SLĀV».
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Paméla Lajeunesse

L'appropriation, c'est du vol. En tout cas, dans la tête des personnes qui ont manifesté contre le spectacle inspiré de la démarche de Betty Bonifassi et mise en scène par Robert Lepage.

Betty Bonifassi s'intéresse à la collection Lomax depuis plusieurs années. Dès 2014, elle a publié des albums inspirés de cette collection. Elle a interprété des chants d'esclaves partout au Québec.

Chanter des chansons composées par des esclaves, ce n'est pas voler leurs descendants.

Alan Lomax fut un ethnomusicologue. Il a surtout collecté la musique des États-Unis et des Caraïbes, et des nations européennes qui ont influencé cette musique, mais il a travaillé dans le monde entier.

Il fit ses premiers enregistrements en 1933, en compagnie de son père John, et ses derniers en 1985, soit un travail de 52 ans. Sa collection est immense. Les chants d'esclaves ne sont qu'un genre parmi tous ceux qu'il a enregistrés.

Alan Lomax était Blanc. Il n'a rien volé à personne. Tous ses enregistrements ont été faits avec le consentement des artistes. Lui et son père ont mis à la disposition du monde entier le fruit de leur travail. À condition de respecter les droits, n'importe qui peut utiliser le contenu de la collection Lomax ou s'en inspirer.

Chanter des chansons composées par des esclaves, ce n'est pas voler leurs descendants.

Strange Fruit est une des plus célèbres chansons dénonçant le racisme blanc aux États-Unis. Elle a d'abord été chantée par Billie Holiday, mais on connaît peut-être davantage la version de Nina Simone.

Strange Fruit est une chanson d'Abel Meeropol, un Blanc. A-t-il volé les noirs en la composant? Les Noirs volent-ils l'auteur en la chantant?

L'appropriation culturelle

On me dira que je ne comprends rien au concept d'appropriation culturelle. Je retiens ce qu'en dit Manon Arundhati Fabre, assistante de recherche au Centre International pour la Paix et les Droits de l'Homme (CIPADH).

«[...] trois types de préoccupations émergent de discussions sur l'appropriation culturelle. La première concerne le préjudice que cela peut porter à l'intégrité et l'identité des groupes culturels concernés, la deuxième considère l'impact sur l'objet culturel, qui risque d'être endommagé ou transformé et la troisième aborde l'idée que l'appropriation permet à certains individus de tirer un bénéfice au détriment [...] d'autrui.»

«SLĀV» permet certainement à quelques individus de faire un peu d'argent, mais est-ce au détriment des descendants d'esclaves? Certainement pas.

SLĀV porte-t-il préjudice aux personnes ayant subi l'esclavage aux États-Unis et ailleurs? Supposément non, puisqu'il dénonce cette pratique. Pour en avoir le cœur net, il faudrait aller voir le spectacle. Au meilleur de ma connaissance, les personnes qui ont dénoncé les représentations n'ont même pas voulu voir SLĀV. C'est comme les ultra-catholiques qui manifestaient contre Les fées ont soif en 1978. Quarante ans d'écart, mais le même comportement stupide.

SLĀV dénature-t-il les chansons issues de l'esclavage? Que plusieurs soient chantées par des Blanches les rendent-elles insignifiantes? Il faudrait voir le spectacle pour le savoir.

SLĀV permet certainement à quelques individus de faire un peu d'argent, mais est-ce au détriment des descendants d'esclaves? Certainement pas. Rien n'empêche ces descendants d'utiliser le même matériel et d'en tirer eux aussi des bénéfices.

Ainsi, rien n'indique que SLĀV est de l'appropriation culturelle. Rien n'indique que c'est du vol. Rien n'indique que ce spectacle aurait pu causer du tort aux descendants d'esclaves ou aux personnes qui subissent encore l'esclavage.

Quand Orson Welles a joué Othello, il n'a volé personne. Quand Barbara Hendricks chante Mozart, elle ne vole personne. Quand Eric Clapton a interprété Robert Johnson, il n'a volé personne. Quand Janis Joplin a chanté du Big Mama Thornton, elle n'a volé personne. Quand les compositeurs classiques empruntent au folklore, ils ne volent personne. Quand les rappeurs font de l'échantillonnage, ils ne volent personne.

Quand Betty Bonifassi trouve son inspiration dans la collection Lomax, elle ne vole personne. Quand Robert Lepage la met en scène avec d'autres comédiennes, il ne vole personne. Ces artistes-là interprètent des textes anciens. Ils essaient de ressentir les effets de l'esclavage dans leur tête et dans leur corps. La couleur de leur peau n'importe pas. C'est absurde de les accabler de reproches sans même les avoir écoutés. C'est ignoble de leur crier des noms en refusant de les entendre.

La censure, bête et brutale, a mis fin aux représentations montréalaises de SLĀV. Il a suffi que quelques individus honnissent l'œuvre sans l'avoir vue. Pire, en refusant de la voir. C'est déplorable.

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