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C'est pour quand 1929?

Peut-être est-on en train de foncer tête baissée contre un mur, mais ce n'est pas spécifiquement la faute des gouvernements. Ils courent eux aussi, comme tout le monde.
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Vendredi 28 juillet, 11 h 00. Le Dow Jones de New York est légèrement en baisse, le S&P/TSX de Toronto légèrement en hausse, et la bourse de Shanghai en très forte hausse. 1929 n'arrivera pas aujourd'hui.

Pierre-Guy Veer, qui se définit comme libertarien engagé, dit que la récente chute des marchés n'est pas surprenante. Il prétend que c'est la faute de nos gouvernements, qui auraient créé de «l'argent facile» et «qui se sont lancés dans une orgie de dépenses pour "sauver" l'économie qu'ils ont eux-mêmes saccagée».

Un autre libertarien notoire, Bill Bonner, est plus nuancé. Il n'affirme pas péremptoirement que seuls les gouvernements sont à blâmer. D'après lui, ils sont complices d'une escroquerie: «Le capitalisme est innocent. C'était l'œuvre d'une taupe - un crime commis par les compères et leurs complices au gouvernement. C'était leur manière de non seulement s'attribuer des milliers de milliards de dollars de l'argent des autres - mais aussi de conserver le pouvoir, le statut et la richesse qu'ils ont accumulés ces trois dernières décennies.»

Qui sont les compères que déteste Bill Bonner? Tous ceux qui auraient profité de la soi-disant escroquerie, des baby boomers au fameux 1% qui possédait, jusqu'à la semaine dernière, la moitié des biens de la Terre. Un exemple? Il y a des milliardaires américains qui pensent sérieusement que leurs employés sont mal payés et qui demandent à Washington de les subventionner pour régler le problème.

En tout cas, messieurs Veer et Bonner sont convaincus que le système capitaliste n'y est pour rien. Ils sont aussi persuadés que nous ne vivons pas dans un système capitaliste, nulle part dans le monde. De leur point de vue, un système n'est pas capitaliste s'il n'est pas libertarien.

Je n'adhère aux idées ni de l'un, ni de l'autre, mais si jamais l'un des deux avait raison, je pense que ce serait Bill Bonner.

La séparation des pouvoirs est un principe fondamental dans nos démocraties représentatives. Traditionnellement, nous avons distingué trois pouvoirs: l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Nous les avons voulus étanches pour éviter la concentration dictatoriale.

À ces trois pouvoirs se sont ajouté un quatrième, celui de la presse et un cinquième, celui de la monnaie. Eux aussi, nous les voulons très étanches.

Historiquement, le pouvoir de créer de la monnaie était détenu par l'État. Ce n'est plus le cas depuis belle lurette. Ce pouvoir a été délégué aux banques privées, chapeautées par les banques centrales, elles-mêmes indépendantes des autres pouvoirs. Ce ne sont pas nos gouvernements qui créent de «l'argent facile», ce sont les banques.

Les gouvernements comme les particuliers devraient peut-être résister à la tentation d'emprunter, mais ni les uns, ni les autres ne peuvent créer de la monnaie, ni fixer les taux d'intérêt. C'est la prérogative du cinquième pouvoir. C'est comme ça en Amérique du Nord, en Europe et, de plus en plus, partout ailleurs.

Peut-être est-on en train de foncer tête baissée contre un mur, mais ce n'est pas spécifiquement la faute des gouvernements. Ils courent eux aussi, comme tout le monde. Nous sommes tous majeurs, vaccinés et responsables de ce qu'il adviendra.

Donnez-lui le nom que vous voulez, mais notre système économique a été créé par des hommes. Par définition, il est systématique. Les règles peuvent changer au fil des années, mais il y en aura toujours, parce que les hommes aiment jouer. C'est comme ça, nous aimons jouer à l'argent. Contrairement à l'adage, l'important n'est pas de participer, mais de gagner! Évidemment, un gagnant ne peut jamais se permettre de perdre, sinon - permettez-moi cette lapalissade - il n'est plus gagnant. Alors il lui faut plus d'argent, toujours plus. Il prend tous les moyens pour rester gagnant, jusqu'à épuiser les limites du jeu. C'est à ce moment-là que réapparaît le spectre de 1929.

Du point de vue des Veer et Bonner de ce monde, nous sommes en train d'épuiser les limites du système en mettant de «l'argent facile» à la disposition de tous. D'une part, il serait trop facile d'emprunter parce que les taux sont extrêmement bas; d'autre part, les banques mettent en circulation beaucoup trop d'argent pour répondre à la demande de prêts. Conséquence? L'univers entier et ses habitants seraient hyper-endettés. D'après Veer et Bonner, les gouvernements sont les premiers à donner le mauvais exemple.

Il y aurait donc trop d'argent en circulation. Si c'est exact, il faudra bien un jour s'en débarrasser. L'argent qu'on met en circulation devrait correspondre à la valeur de nos actifs. Une partie de cet argent peut être prêtée par des particuliers qui ont la chance d'en avoir trop. Si l'emprunteur est solvable, c'est un moyen efficace pour le prêteur d'augmenter ses actifs.

Que faire quand la demande de prêts dépasse la quantité d'argent à prêter? Les banquiers peuvent choisir de refuser les prêts ou de créer la monnaie nécessaire pour répondre à la demande. Ils choisissent habituellement de créer la monnaie.

Quand c'est fait prudemment, en s'assurant que l'emprunteur possède des garanties, qu'il est solvable et qu'il utilisera cet argent pour augmenter ses actifs, je ne vois pas de problèmes. Mais si c'est utilisé, comme on dit, pour payer l'épicerie, ou si l'emprunteur devient insolvable, les banquiers auront créé trop d'argent. Il faudra régler le problème en effaçant la dette, ce qui appauvrit la banque, ou en diluant l'argent dans une inflation galopante, ce qui appauvrit les bougres qui n'y sont pour rien.

Souvent aussi, les banquiers vont demander l'aide des gouvernements, en argumentant qu'ils sont trop gros pour crever, ce qui fait suer le contribuable qui devra payer la note.

Les banques ont-elles créé trop d'argent? L'ont-elles prêté en prenant trop de risques? C'est ce que pensent Veer et Bonner. C'est probablement ce qui est arrivé en 2007-2008 avec les subprimes, du crédit à haut risque. C'est peut-être ce qui est en train de se passer en Grèce, qui sait?

Il y a aussi l'assouplissement quantitatif connu sous son sigle QE, pour "Quantitative Easing". Il s'agit d'une politique monétaire non conventionnelle -- donc, supposément exceptionnelle -- à laquelle ont recours les banques centrales lors de crises économiques et financières de grande ampleur. Depuis celle de 2008, nous en sommes au QE3. Autrement dit, les banques centrales ont eu recours trois fois à l'assouplissement quantitatif. Qui pis est, à cause de la présente crise chinoise, elles devront probablement passer bientôt au QE4. Ça en prendra combien avant d'éclater?

Il est presque 16 h 00. La bourse fermera en baisse d'un demi-point à New York, mais en hausse à Toronto et à Shanghai. C'est sûr qu'on ne retournera pas en 1929 aujourd'hui. En fait, personne ne sait quand, si jamais cela doit arriver. Il y a Monsieur Robert J. Shiller, qui a écrit un article intitulé Rising Anxiety That Stocks Are Overpriced. De plus en plus de gens craindraient que le prix des actions à la bourse soit trop élevé. D'après lui, cette seule crainte pourrait précipiter le prochain krach. Il dit que, depuis 1950, il y a eu 29 corrections boursières supérieures à 10%; c'est presqu'une correction bisannuelle. On ne se trompe jamais en prédisant une baisse... ou une hausse!

Il ajoute que les craintes d'une baisse sont fondées. Il possède un outil pour mesurer la surévaluation des marchés: le CAPE («Cyclically Adjusted Price Earnings ratio»). Le CAPE moyen entre 1881 et 2015 est 17 aux États-Unis. En juillet, c'était 27. En avril 2000, juste avant l'éclatement de la bulle technologique, c'était 44.

Vingt-sept est beaucoup plus que 17, mais peu comparé à 44. Impossible d'affirmer que la catastrophe appréhendée est imminente.

J'ai un outil qui mesure la performance du S&P/TSX canadien. C'est tout simplement son taux de rendement annuel cumulé (TRAC), calculé quotidiennement depuis 1979. Hier, c'était 6,99%. Cela signifie qu'un investisseur avec un portefeuille équivalent à celui du S&P/TSX depuis 1979 aurait obtenu un TRAC de 6,99 % par année, pour un rendement total de 1260 %. Lundi dernier, le 24 août, au creux (jusqu'à maintenant) de la présente correction, c'était 6,84%. Le TRAC varie en fonction de la période visée. Le TRAC au cours des 2500 jours ouvrables (environ dix années) se terminant hier: un maigre 2,62%. Le TRAC moyen sur dix ans: 6,85%. Nous sommes très loin du TRAC moyen.

Il y un an, nous avons atteint un sommet d'environ 7,50% que nous n'avons plus dépassé. Nous sommes en phase baissière depuis. En mars 2009, au creux de la pire crise du nouveau millénaire, nous étions à 6,50%. Je pense intuitivement que le seuil de tolérance avant correction se situe entre 6,50% et 7,50%. Nous sommes présentement à 6,99%. Si la correction n'est pas terminée, je risquerai une prédiction de hausse quand le TRAC aura atteint un creux de 6,50%. S'il remonte jusqu'à 7,50%, je risquerai une prédiction de baisse. Sa sévérité sera proportionnelle à la rapidité de la remontée et au sommet atteint.

Le TRAC du S&P/TSX était tout près de 9% quand les bourses se sont effondrées en 2008. Il me semble qu'il devra dépasser ce 9% pour que nous revivions l'euphorie des années folles et le krach de 1929. C'est pratiquement impossible à court terme.

Reste à savoir si les banques ont vraiment créé trop de monnaie ou si elles ont pris trop de risques. Elles nous assureront que non, mais qui sait?

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