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Snowden ou l'invention de la guerre tiède

Les États-Unis sont mus par une logique du secret et de l'intimidation et les seuls pays qui peuvent leur résister sont des pays en guerre tiède avec eux, la Russie ou le Venezuela et la Bolivie.
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Suite aux derniers développements de l'affaire Snowden, Obama a accusé la Russie de retour aux pratiques de la guerre froide en annulant sa future rencontre avec Poutine. On peut cependant se demander ce que cette affaire, du nom du lanceur d'alerte américain aujourd'hui réfugié en Russie avec un permis de séjour d'un an, signifie pour les relations entre ces deux pays.

Commençons par évoquer les points de vue les plus courants dans les médias occidentaux : comment la Russie qui ne supporte pas les dissidents chez elle, qui les met en prison, peut-elle se faire la protectrice d'un dissident américain ? Celui-ci n'aurait-il pas pu choisir un pays plus respectueux des droits de l'homme pour y demander asile ? En effet, la Russie n'est pas exactement connue pour son respect des opinions différentes. Mais Snowden avait-il le choix ? Des 21 pays à qui il a demandé l'asile, aucun pays européen démocratique n'a répondu favorablement. En outre, des pays comme la France ou l'Espagne ont montré avec l'interdiction du survol de leur territoire à l'avion du président Morales qu'ils subissaient les pressions des États-Unis et cédaient aux demandes de ce pays.

Obama invoque le droit pour demander l'expulsion de Snowden car celui-ci, employé par un sous-traitant de la NSA, avait signé un contrat le contraignant à la confidentialité. En révélant que la NSA espionnait tout le monde, dirigeants étrangers de pays amis comme Américains ordinaires, Snowden a donc enfreint la loi américaine. Il l'a fait en conscience et en mettant en doute la légalité d'une surveillance aussi générale et automatique. Ses révélations ont montré que les responsables américains, notamment James Clapper, avaient menti devant le Congrès, ce qui est aussi illégal, mais ces responsables ne risquent aucun procès intenté par l'administration Obama.

L'invocation du droit est donc problématique puisqu'il est clair que les responsables qui violent ce droit ne risquent rien alors que le lanceur d'alerte, mu par un souci d'information démocratique, risque un procès inique comme Bradley Manning, le soldat qui a fourni des informations à Wikileaks (notamment des images d'une tuerie en Irak à partir d'un hélicoptère dont les responsables ne sont pas poursuivis). Les menteurs de l'administration Bush responsables de milliers de morts en Irak ne risquent aucun procès car Obama a dit qu'il fallait regarder vers le futur et non en arrière pour refuser toute action en justice. La loi ne semble s'appliquer qu'aux ennemis pas aux amis ou collègues.

D'autre part, comme le note Glenn Greenwald, le journaliste du Guardian à l'origine de la publication des révélations de Snowden, les États-Unis ont fréquemment refusé l'extradition de criminels avérés comme Carriles.

Obama invoque aussi la situation des homosexuels en Russie pour éventuellement appeler à un boycott des Jeux olympiques d'hiver qui doivent avoir lieu en Russie. Il est clair que les homosexuels sont victimes d'attaques et de dénis de liberté en Russie, mais cette situation intolérable est instrumentalisée dans une logique de guerre tiède avec la Russie tout comme les droits des femmes pour justifier la guerre en Afghanistan l'avait été par Bush. Obama n'invoque pas le droit des femmes en Arabie saoudite ni celui des homosexuels au Koweït. Le droit et les avancées sociétales sont des arguments qui ne servent que dans une logique de guerre rhétorique.

Est-ce à dire qu'il faut renvoyer dos à dos Russie et États-Unis? On peut être d'accord avec Chomsky qui affirme fréquemment que les États-Unis sont le pays le plus libre du monde, au sens où l'accès à l'information y est plus facile qu'ailleurs et néanmoins continuer à critiquer les politiques américaines, comme le font de nombreux sites alternatifs américains. La Russie ne protège pas Snowden par amour de la liberté, de la transparence démocratique ou prédilection pour les lanceurs d'alerte. Il est clair qu'elle tient là un moyen de rabaisser le caquet des États-Unis et de montrer que le donneur de leçons en matière de droits de l'homme a beaucoup à se reprocher.

Comme au temps de la guerre froide, chacun des deux camps peut appuyer là où cela fait mal chez l'autre, tout en prenant bien soin de ne pas évoquer ses propres turpitudes. La Russie est certes l'héritière d'un système totalitaire, mais aujourd'hui cet héritage n'est pas suffisant pour comprendre l'affaire Snowden. A la chute du communisme, les États-Unis de Bush père et surtout de Clinton ont tout fait pour imposer le néolibéralisme aux élites russes et à un président Eltsine qui n'a compris que tard que les intérêts de la Russie n'y trouvaient pas leur compte. Le néolibéralisme a, comme ailleurs, produit misère et catastrophe (lire le livre de Naomi Klein sur la Stratégie du choc) et l'arrivée de Poutine en nouvel homme fort doit aussi se comprendre comme une réaction aux leçons américaines si peu favorables aux intérêts de la Russie en tant qu'État, mais aussi des Russes ordinaires.

Ce que disent les Russes sur Snowden est motivé par le renouveau des tensions avec les États-Unis, mais n'est pas forcément faux. Les pouvoirs autoritaires ou mêmes dictatoriaux n'ont aucun mal à dire les vérités qui dérangent leurs adversaires en taisant les vérités qui leur sont défavorables. Mais n'est-ce pas aussi ce que font les démocraties? Sur les armes de destruction massives en Irak, c'est le tyran Hussein qui disait vrai et le tandem Bush-Cheney qui mentait.

Un défenseur des valeurs de la transparence démocratique est ainsi un phénomène rare en Russie et Snowden aurait pu avoir une place plus appropriée au Danemark en Allemagne ou en France. Mais qui lui a offert cette place? Dans cette affaire, les États-Unis sont mus par une logique du secret et de l'intimidation et les seuls pays qui peuvent leur résister sont des pays en guerre tiède avec eux, Russie ou Venezuela et Bolivie. Ces pays ont leurs problèmes de droits de l'homme, mais ces problèmes sont-ils plus graves que ceux du pays des drones, de Bagram et de Guantánamo? L'information est plus libre aux États-Unis qu'en Russie, cela ne fait aucun doute, mais cette information révèle aussi les graves manquements liberticides et anti-démocratiques dans ce pays. Pour les États-Unis, la meilleure façon de traiter l'affaire Snowden serait peut-être de commencer à mieux respecter les lois et les valeurs qui sont officiellement celles du pays, à commencer par le 4e amendement à la Constitution.

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