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Obama: Gulliver empêtré, Gulliver déchainé

Le président des États-Unis, souvent présenté comme l'homme le plus puissant du monde, ne peut pas faire passer une mesure de bon sens qui est soutenue par une immense majorité d'Américains. Il y a clairement un problème structurel dans le fonctionnement de la démocratie américaine. Les lobbys, notamment la NRA (National Rifle Association), s'opposent à toute tentative de réglementation des ventes d'armes. Comme les élus dépendent de ces lobbys pour leur élection, ils suivent leurs recommandations, même lorsque leurs électeurs ont une opinion différente. Gulliver empêtré est condamné à la paralysie politique.
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L'expression "Gulliver empêtré" est due à Stanley Hoffman ; c'est le titre d'un de ses livres portant sur la politique étrangère américaine dont l'édition en anglais (Gulliver's Troubles) remonte à 1968. Déjà en ce temps-là, on parlait des limites au pouvoir des États-Unis, mais l'expression peut être employée aujourd'hui pour évoquer le pouvoir et la paralysie du président américain.

Obama ne semble pas être en mesure d'obtenir une majorité au Congrès pour faire passer des lois contrôlant quelque peu les ventes d'armes à feu. Suite à la tuerie de Newtown, il souhaite faire passer une loi pour renforcer les contrôles s'appliquant aux acheteurs de ces armes (background checks). Il s'agit de mieux vérifier si les acheteurs ont un casier judiciaire ou ont des problèmes psychiatriques. Il a récemment affirmé que 90% des Américains soutiennent le renforcement de ces contrôles.

C'est un pas dans la bonne direction qui est fort éloigné d'une interdiction totale des armes de poing si souvent utilisées dans des meurtres aux États-Unis. Néanmoins, même chez les démocrates, la mesure, pourtant fort timide, suscite de fortes oppositions et ne passera probablement pas au Congrès.

Ainsi le président des États-Unis, souvent présenté comme l'homme le plus puissant du monde, ne peut pas faire passer une mesure de bon sens qui est soutenue par une immense majorité d'Américains. Il y a clairement un problème structurel dans le fonctionnement de la démocratie américaine. Les lobbys, notamment la NRA (National Rifle Association), s'opposent à toute tentative de réglementation des ventes d'armes. Comme les élus dépendent de ces lobbys pour leur élection, ils suivent leurs recommandations, même lorsque leurs électeurs ont une opinion différente. Gulliver empêtré est condamné à la paralysie politique.

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De la même façon, Obama qui avait promis la fermeture de Guantanamo ne l'a pas mise en œuvre. Là aussi il a rencontré une forte opposition parlementaire et judiciaire. Certes, on peut penser qu'il n'a pas beaucoup lutté pour obtenir cette fermeture et qu'il aurait pu, comme l'on dit en science politique, dépenser un peu plus de son "capital politique" pour faire avancer le dossier, mais il n'en reste pas moins que le Président n'est pas seul. Dans le cas de Guantanamo, il n'a pas de soutien populaire très fort et il n'est pas sûr qu'il ait vraiment envie d'avancer sur un dossier de libertés publiques.

Par ailleurs, le président américain s'est arrogé le droit de vie ou de mort en ce qui concerne ceux que les services de renseignement américains qualifient de suspects dans la lutte contre le terrorisme. Obama a une "kill list" de ces suspects et décide de qui tuer par une attaque de drone. Il ne consulte aucun tribunal et le Congrès n'a pas non plus son mot à dire. On voit donc que le président américain peut être omnipotent dans un domaine et impuissant dans un autre. Dans un cas, le pouvoir exécutif ignore tous les autres pouvoirs et n'en subit aucune conséquence politique alors que dans l'autre, les oppositions le paralysent totalement sur le plan politique. Pas de "checks and balances" (freins et contrepoids) pour arrêter les assassinats ciblés ; que des freins et aucun équilibre pour lutter contre les tueries dans les écoles.

Le pouvoir des lobbys explique en grande partie ces situations différentes ainsi que divers aspects de la politique étrangère américaine. Cependant, au-delà des lobbys en tant que tels, il faut noter les lignes de force dans la société américaine, ce que le sociologue américain C. Wright Mills appelait "l'élite du pouvoir". Il y a eu un quasi-consensus institutionnel au moment de l'assassinat de Ben Laden et aucun lobby ou groupe politique important ne l'a désapprouvé alors que sur les armes à feu ou les débats sur le déficit, il existe de fortes oppositions. Le président n'a donc que le pouvoir que le jeu des forces politiques et économiques lui laisse. Il ne peut contrarier le complexe militaro-industriel ni même s'imposer face à la NRA mais il peut attenter aux libertés publiques et organiser des attaques dont la légalité est mise en doute par les juristes de l'ACLU (American Civil LIberties Union), par exemple.

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Stanley Hoffman avait publié un autre ouvrage en 2004 portant le titre Gulliver Unbound dont la traduction aurait pu être : Gulliver déchainé. Il s'agissait d'un livre d'entretiens d'abord publié en français qui portait sur la politique étrangère de Bush. Là encore, entre ces deux titres, on peut discerner ce qui fait le mouvement de balancement entre deux pôles de puissance pour le président américain, Obama ou un autre. De "Gulliver empêtré" à "Gulliver déchainé" il n'y a qu'un tout petit écart : Obama-Gulliver peut être déchainé lorsqu'il donne l'ordre de tuer un suspect au Yémen et, le même jour, se retrouver empêtré lorsqu'il s'agit de faire passer une loi limitant quelque peu l'accès aux armes à feu. Les progressistes pourraient préférer un renversement : qu'il soit empêtré par les lois et les défenseurs de libertés publiques, mais déchainé dans la réglementation des ventes d'armes et la fermeture de Guantanamo. L'élite du pouvoir s'accommode mieux du contraire qui lui réussit bien sur le plan électoral.

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