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Du bon usage des monstres en géopolitique

Dans le discours médiatico-politique les tyrans, despotes, autocrates ou dictateurs sont souvent présentés comme des monstres. Leurs supposés déséquilibres psychologiques servent à légitimer les interventions contre leurs régimes.
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Dans le discours médiatico-politique les tyrans, despotes, autocrates ou dictateurs sont souvent présentés comme des monstres ou des êtres anormaux. On insiste alors sur leurs supposés déséquilibres psychologiques et cette monstruosité construite sert à légitimer les interventions contre leurs régimes ou leurs pays.

Saddam Hussein, Khadafi, Assad, Kim Jong-il, Ahmadinejad, Poutine sont présentés comme de nouveaux Hitler ou de nouveaux Staline. Il y a des différences appréciables entre tous ces dirigeants dont aucun n'est, bien évidemment, un gentil démocrate. Dans le discours médiatique, ils sont présentés comme déséquilibrés, voire fous et diaboliques. Il est bien sûr impossible d'éprouver une quelconque sympathie pour eux ou leurs régimes, mais là n'est pas l'essentiel. L'Occident, c'est à dire surtout les États-Unis, ne met en marche la machine à dénoncer les monstres que dans certaines circonstances.

À d'autres moments, l'Occident coopère avec ces monstres qui sont alors présentés uniquement comme des leaders autoritaires. Jeane Kirkpatrick avait même fait de la distinction entre régimes autoritaires d'Amérique latine et régimes dictatoriaux de l'Europe communiste un élément de sa réflexion. Les autoritaires étaient les dictateurs soutenus par les États-Unis. La sémantique venait masquer les similitudes entre dirigeants et régimes tyranniques.

L'Occident a ainsi soutenu Saddam Hussein pendant longtemps, notamment lors de l'agression irakienne visant l'Iran, puis ce dernier est devenu un monstre lorsqu'il a eu la mauvaise idée d'envahir le Koweït riche en hydrocarbures. Assad et Khadafi ont été reçus dans certaines capitales occidentales dont Paris alors qu'ils étaient tout aussi monstrueux qu'au moment de leur bannissement ou élimination. Le monstre est donc une figure de l'ennemi qui est mobilisée pour des raisons géopolitiques et pour façonner l'opinion. Le Shah d'Iran, dictateur sanguinaire, était l'ami et l'allié de l'Occident (donc pas monstrueux) tandis que les mollahs tyranniques étaient les ennemis des États-Unis.

Lors de la guerre d'Irak lancée illégalement par les États-Unis de Bush avec la connivence de la Grande-Bretagne de Blair, les opinions mondiales n'ont pas marché dans le simplisme proposé par Washington et Londres. Les millions de manifestants contre la guerre ne soutenaient pas un monstre ou un régime tyrannique, mais s'opposaient à une guerre injuste qui allait faire de nombreuses victimes civiles. La tentative de réduire les positions face à l'Irak à une opposition manichéenne n'a pas fonctionné.

Le fait que certains pays comme la France, la Russie et l'Allemagne s'opposaient aussi à la guerre a favorisé ce refus du manichéisme. Les populations du monde ont refusé le simplisme au nom du respect de la dignité humaine. On sait maintenant que Bush et Blair étaient des menteurs qui ont cherché à abuser leurs opinions nationales et l'opinion mondiale et que les manifestants avaient raison.

Dans le cas de Poutine actuellement, il existe des similitudes. On le présente comme pas tout à fait maître de ses facultés, mais aussi comme un diabolique manipulateur et l'on insiste sur les violations du droit en Russie et sur le plan international. Il est construit comme un méchant, un bad guy. Ce qu'il est assurément dans ses déclarations vulgaires et homophobes, sa répression des Pussy Riot, son jeu avec les oligarques et sa façon de brutaliser la Tchétchénie. La géopolitique cependant ne fonctionne pas comme l'éthique. Dans les relations entre Etats ce n'est pas le caractère monstrueux ou pas, même tyrannique ou pas qui prime.

Que Poutine soit déséquilibré ou même qu'il soit un brillant joueur d'échecs aussi déjanté que Bobby Fischer n'importe pas plus que la folie de Kadhafi ou la monstruosité de Hussein. Ce qui compte, c'est le jeu entre puissances ou leur interaction. La Chine n'est pas plus démocratique que la Russie, mais l'Occident lui fait des courbettes alors même que les États-Unis cherchent aussi à la contenir. Hilary Clinton s'était demandée comment parler de façon dure à son banquier.

Dans le cas de l'Ukraine constituer Poutine en tyran ou en monstre ne sert à rien sinon à fabriquer le consentement des opinions occidentales, qui d'ailleurs résistent, et à masquer les responsabilités de son camp (aussi bien l'OTAN, la diplomatie américaine que le gouvernement transitoire à Kiev). Les Pussy Riot, que l'on ne peut soupçonner d'une quelconque affection pour le président russe, ont récemment rendu visite à une femme militante du mouvement Occupy emprisonnée aux États-Unis. Elles ont donc montré beaucoup de cohérence dans leur combat pour la liberté d'expression, aussi bien en Russie que dans une démocratie.

Sur les armes de destruction massive, Hussein le tyran disait plus vrai que Bush et Blair, leaders non respectueux de la démocratie proclamée, mais les manifestants pour la paix ne se sont pas déterminés en fonction de sa personnalité ou de la nature du régime, que bien sûr ils n'aimaient pas.

Il est tout à fait faux de considérer que les Occidentaux, comme les anciens chanceliers allemands Schmidt et Schröder ou le politiste Anatol Lieven, qui sont favorables à une solution fédérale pour l'Ukraine sont les dupes du monstrueux Poutine. Les analyses géopolitiques prennent en compte les forces et les intérêts en jeu et examinent les meilleures chances de la paix. Que Poutine soit autocratique ne fait pas de doute, mais c'est avec lui que les Ukrainiens de Kiev, les Européens et les Étatsuniens doivent négocier pour éviter non seulement la guerre, mais aussi la crise permanente en Ukraine.

Lorsqu'il s'agit de la Chine ou de la Corée du Nord (un régime qui ne doit pas avoir un seul partisan en Occident) tous les acteurs comprennent qu'il n'y a pas d'autre voie que la négociation et que la guerre est impossible. La diabolisation médiatique n'existe pas pour ces régimes avec lesquels on est soit partenaires-adversaires, pour utiliser le terme de Raymond Aron (Chine) soit en opposition froide (Corée du Nord).

Il est donc parfaitement légitime que les critiques visant la Russie pour ses politiques internes continuent, comme celles qui concernent la NSA ou les drones pour les États-Unis, mais la diabolisation d'un adversaire«qui donne bonne conscience, masque nos propres failles et simplifie à la manière des films hollywoodiens» est totalement contre-productive pour comprendre les enjeux et négocier de façon efficace. Il serait tout de même cocasse que les Pussy Riot comprennent cela mieux que certains experts patentés ou journalistes renommés.

Peut-être pourrait-on inventer une nouvelle discipline en détournant un terme médical de son sens premier: la tératologie géopolitique.

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