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Le monde regarde les États-Unis qui eux, en période électorale comme en temps normal, se regardent le nombril. La bourde de Romney qui ne savait pas que l'Iran n'a pas besoin de la Syrie pour avoir accès à la mer est symptomatique de ce désintérêt pour le monde.
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Un grand nombre de commentaires pertinents ont été écrits à la suite du débat le 22 octobre entre Obama et Romney sur la politique étrangère des États-Unis. Ainsi, si l'Iran a été mentionné 45 fois, Israël 34 fois et l'Europe ou la Palestine ont été absentes des débats cela reflète non pas le niveau d'intérêt des États-Unis, mais le niveau d'intérêt de l'électorat et donc la possibilité d'attirer des voix auprès d'électeurs polarisés sur certains problèmes et ignorant les autres.

Les anciens dirigeants du shin beth, les services secrets israéliens, ainsi que leurs homologues américains, savent bien que l'Iran n'est pas prêt d'avoir la bombe nucléaire que, de toute façon, ce pays ne pourrait utiliser sans être immédiatement vaporisé par Israël et les États-Unis, une idée déjà exprimée par l'ancien président français Chirac avant qu'il ne se rétracte. L'Iran n'est en aucune façon un danger pour les États-Unis, c'est un pays autoritaire voire totalitaire dont l'économie va mal et dont le pouvoir n'est pas aux mains d'Ahmadinejad. Il sert d'épouvantail comme l'Irak de Saddam Hussein autrefois. La nature peu démocratique du régime qui a truqué les élections en 2009, n'est pas en doute mais cela n'implique aucun risque géopolitique réel pour les États-Unis. L'Irak était dirigé par un boucher autrement plus sanguinaire mais, comme l'a affirmé une commission parlementaire américaine, n'avait pas d'armes de destruction massive et donc ne menaçait pas les États-Unis. Parler autant de l'Iran ne correspond pas aux problèmes fondamentaux auxquels les États-Unis doivent faire face. Si, comme le pensent certains analystes, le but de Netanyahou, le Premier ministre israélien, n'était pas de vraiment lancer une opération militaire contre l'Iran mais de faire disparaître le conflit israélo-palestinien de l'agenda politique américain alors son succès serait complet. La Palestine a disparu des discours des deux candidats.

Sur Israël, les deux candidats sont, comme sur beaucoup de questions de politique étrangère, en fait, d'accord mais ils cherchent à souligner des différences fort peu significatives pour attirer un électorat spécifique, l'électorat juif, qui traditionnellement vote à plus de 75% pour les démocrates. Tous les deux sont favorables à un soutien militaire, financier et politique fort d'Israël. Obama l'a montré par ses actes au pouvoir et Romney ne pourrait pas faire plus. Il ne ferait pas la guerre à l'Iran pour les mêmes raisons qu'Obama: les militaires américains n'en veulent pas et la politique actuelle de sabotage et d'assassinats ciblés de scientifiques coordonnée avec Israël et le groupe MEK, problématique sur le plan du droit et de l'éthique, a toutes les chances de continuer.

La Chine fut évoquée, de façon burlesque par Romney qui voudrait faire croire qu'il serait plus dur avec elle, mais là aussi il y a peu de différence fondamentale entre les candidats. Comme l'a dit Mme Clinton, il faut faire attention lorsque l'on parle à son banquier : la Chine est l'un des banquiers qui achètent de la dette américaine et elle assure aussi le succès de certains capitalistes américains, comme les dirigeants de Walmart. Les réalités géopolitiques et les débats électoraux sont aux antipodes.

L'Europe a été quasiment absente du débat, sauf lorsque Romney a prédit un avenir à la grecque aux États-Unis si Obama était réélu. Affirmation dénuée de sens car la première puissance économique américaine, effectivement aussi endettée que la Grèce, peut faire tourner la planche à billets et vendre ses bons du trésor et ne risque donc pas d'avoir à faire face à des taux exorbitants pour ses emprunts sur les marchés. Ce désintérêt pour l'Europe est significatif alors que partout en Europe les médias sont focalisés sur l'élection américaine, produisent des enquêtes et reportages spéciaux, interrogent spécialistes américains et européens et font de l'élection américaine un choix de société dont les implications sont planétaires. S'agit-il là d'une situation typique de différence d'intérêt entre un puissant et un faible, comme il peut en exister entre la France et la Tunisie ou entre la Grande-Bretagne et la Gambie ?

Le monde s'intéresse plus aux États-Unis que ceux-ci ne s'intéressent au monde, en dehors des pays ou zones qui sont en guerre avec eux --ou avec qui ils ont une relation particulière, en gros Israël seulement, car même la relation dite "spéciale" avec la Grande-Bretagne ne mobilise pas les foules. Néanmoins, il faut distinguer ici les électeurs des dirigeants. Obama est intervenu fréquemment pour dire que les Européens devait régler le problème de l'euro et, notamment pour critiquer implicitement les positions de l'Allemagne. Sur le plan économique, l'Europe reste un partenaire capital pour les États-Unis. L'austérité choisie par les dirigeants européens non seulement crée la récession et la pauvreté en Europe mais aura des effets sur l'économie américaine elle-même qui ne peut dépendre que de ses échanges avec l'Asie du sud est. Cela ne fait pas partie des débats mais, fondamentalement, a plus d'importance que les rodomontades du président iranien.

La focalisation mondiale sur les États-Unis est bien évidemment un reflet de la domination militaire, économique et culturelle de ce pays qui produit des effets partout dans le monde. Le déclin relatif de l'économie américaine va cependant de pair avec une diversification des influences culturelles et la domination militaire est elle-même relativisée par deux types de phénomènes. Comme l'avait déjà vu Paul Kennedy dans les années 80, dans son ouvrage publié en France sous le titre de Naissance et déclin des grandes puissances : transformations économiques et conflits militaires entre 1500 et 2000, tous les empires ou pays dominants passent par une phase d'imperial overstretch (surextension impériale). Si l'économie perd en vitalité et est rattrapée par d'autres alors la domination purement militaire devient plus difficile. D'autre part, la domination militaire des Etats-Unis, indéniable si l'on compare les dépenses d'armement, n'est pas très utile dans les cas de guerres asymétriques contre un ennemi plus faible mais utilisant les techniques de guérilla sur son terrain comme en Afghanistan.

Le monde regarde les États-Unis qui eux, en période électorale comme en temps normal, se regardent le nombril. La bourde de Romney qui ne savait pas que l'Iran n'a pas besoin de la Syrie pour avoir accès à la mer est symptomatique de ce désintérêt pour le monde, même de la part de celui qui veut diriger le pays le plus puissant de la planète. Evidemment, commentateurs politiques et universitaires s'intéressent au monde mais pas la population dans son ensemble qui regarde des bulletins d'information télévisuels où le monde a presque disparu. Pourtant le Pew Research Center produit de très bonnes enquêtes d'opinion sur l'image des États-Unis dans le monde qui établissent que l'image peut être positive en Europe mais critique sur les drones. En même temps, les sondages de ce centre reflètent la croyance en un déclin économique des États-Unis. La politique étrangère américaine ne va pas changer de façon significative quel que soit le candidat élu, elle évoluera surtout en réaction aux changements géopolitiques ou économiques partout dans le monde.

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