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Hugo Chavez a mis en scène le divorce entre États-Unis et Amérique du Sud et l'a globalisé par ses talents oratoires ainsi que son génie de la provocation. Mais ce n'est pas le président vénézuélien qui l'a inventé. Il a soufflé sur les braises de l'hostilité des dirigeants de gauche latino-américains vis-à-vis de leur puissant voisin du Nord.
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En esta fotografía de archivo del 24 de noviembre de 2004, el presidente venezolano Hugo Chávez habla en una ceremonia en la que le fue otorgado el premio Internacional Gadafi de Derechos Humanos 2004 en Trípoli, Libia. El vicepresidente venezolano Nicolás Maduro anunció el martes 5 de marzo de 2013 que Chávez ha muerto. (Foto AP/Yousef Al-Ageli, archivo)
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En esta fotografía de archivo del 24 de noviembre de 2004, el presidente venezolano Hugo Chávez habla en una ceremonia en la que le fue otorgado el premio Internacional Gadafi de Derechos Humanos 2004 en Trípoli, Libia. El vicepresidente venezolano Nicolás Maduro anunció el martes 5 de marzo de 2013 que Chávez ha muerto. (Foto AP/Yousef Al-Ageli, archivo)

En 2006 Chavez qui passait à la tribune de l'ONU après Bush déclara que la pièce sentait le soufre. Il voyait en Bush un nouveau diable impérialiste. Cet épisode indique bien quel était l'état de la relation entre le président vénézuélien et son homologue nord-américain. Du côté des administrations américaines, il n'y avait aucune confiance envers Chavez. Le coup d'État qui a écarté celui-ci du pouvoir pendant quelques jours en 2002 avait été approuvé sinon inspiré par les États-Unis qui voyaient d'un mauvais œil ce "populiste provocateur". Le mot "populiste" n'a pas de sens très défini et est surtout utilisé pour décrédibiliser ses adversaires et suggérer qu'ils pervertissent la démocratie. C'est le reproche officiel des États unis vis-à-vis de Chavez dont les discours étaient parfois démagogiques. Chavez avait tenté un coup d'État lui-même en 1992, mais les États-Unis étaient dans une situation inconfortable pour lui reprocher ses pratiques non démocratiques.

Pour comprendre l'hostilité des dirigeants de gauche latino-américains vis-à-vis de leur puissant voisin du Nord, il faut évidemment connaître la longue histoire d'interventions étasuniennes depuis la doctrine Monroe (1823) jusqu'aux dictatures des années 1950 à 2000. Les États-Unis qui en 1823 se disaient les protecteurs de l'Amérique latine n'ont cessé d'intervenir pour agrandir leur territoire (Mexique 1846-48), régler les différents entre pays, imposer des régimes ou en renverser (Guatemala 1954, Chili 1973). Les dictatures du Brésil, d'Argentine, du Paraguay ou d'Uruguay furent soutenues plus ou moins directement par les États-Unis et souvent même les putschistes étaient pilotés depuis Washington. En 1971, un auteur uruguayen, Eduardo Galeano, a publié un ouvrage intitulé Les Veines ouvertes de l'Amérique latine qui traite de l'impérialisme dont cette partie du monde a souffert. Voilà le contexte historique qui explique la méfiance des gringos vis-à-vis des yanquis et ce que les Américains appellent l'antiaméricanisme.

Chavez en se présentant comme un nouveau Bolivar s'est inscrit dans cette tradition anti-impérialiste. Au contraire de Lula au Brésil, il a choisi une approche haute en couleur et contestatrice vis-à-vis de Washington. Son verbe haut est ce qui le distingue d'autres dirigeants. Cela contribuait à sa popularité auprès d'une grande partie d'un peuple qui partage la méfiance des Latino-Américains envers l'impérialisme américain. Chavez, contrairement à la Colombie, ne souhaitait pas être proche de Washington ou faire profil bas. Son mélange de références socialistes et chrétiennes visait toujours la puissance hégémonique américaine. Cela l'a conduit à adopter des postures visant à irriter Washington, par exemple en s'opposant à l'intervention en Libye (moins par soutien à Kadhafi que pour s'opposer à ce qu'il pensait, comme beaucoup d'autres moins tonitruants, être une forme de néo-colonialisme). Même chose pour l'Iran, selon le principe "l'ennemi de mon ennemi est mon ami". Chavez était un gêneur pour Washington, surtout par ses positions publiques, car, sur le fond, sa défiance vis-à-vis des États-Unis se distingue à peine de celle des autres dirigeants latino-américains, Correa ou Morales, par exemple.

Le Venezuela n'a pas interrompu ses livraisons de pétrole aux États-Unis qui n'ont pas imposé d'embargo, contrairement à ce qui s'est passé pour Cuba ou l'Iran concernant leur commerce extérieur. Chavez fit même livrer des carburants à des prix préférentiels à des familles pauvres des États-Unis pour qu'elles puissent se chauffer en hiver. Le geste provocateur avait un double destinataire politique : l'opinion américaine à qui Chavez pouvait montrer que les autorités de leur pays ne se souciaient pas des pauvres et l'opinion publique latino-américaine qui savourait ce geste de défiance à l'égard du "grand frère" américain.

Le billet de Pierre Guerlain se poursuit après la galerie

Hugo Chavez est mort: des Vénézuéliens en deuil

Hugo Chavez est mort: des Vénézuéliens en deuil

L'élection d'Obama, d'abord saluée par Chavez, n'a pas changé grand-chose aux relations entre États-Unis et Venezuela. Obama a soutenu les forces les plus à droite en Amérique latine, comme au Honduras, et n'a donc pas fait évoluer les grandes lignes de sa politique étrangère vis-à-vis de l'Amérique latine. En 2010, le Brésil avait, avec la Turquie, pris l'initiative de négocier un accord avec l'Iran sur les échanges de combustible nucléaire. Accord qui ne pouvait que déplaire à Washington bien qu'il ait été signé par deux alliés des États-Unis. Accord qui montre aussi que Chavez n'était pas isolé dans ses positions en matière de politique étrangère même si son manque de diplomatie délibéré le faisait percevoir comme un trublion par les Américains et donc comme un héros par de nombreux Latino-Américains.

L'Amérique latine ne croit pas aux discours de défense de la démocratie des États-Unis, car elle fut trop souvent la cible d'attaques américaines contre la démocratie. Déçu par les résultats d'une élection mexicaine, le président Wilson avant la Première guerre mondiale avait dit qu'il fallait apprendre aux Mexicains à élire des good men (hommes qui auraient plu aux Américains). Par la suite, les gouvernements élus démocratiquement au Guatemala ou au Nicaragua, puis au Venezuela furent renversés ou soumis à des fortes pressions. Le livre d'un historien américain, Max-Paul Friedman, tout juste paru en 2012, Rethinking Anti-Americanism, retrace bien l'histoire des conflits entre Étatsuniens et Latino-américains. L'auteur montre l'ampleur de la méfiance du sud et écarte l'idée qu'il s'agissait d'anti-américanisme. Si l'on ne se focalise pas sur le sensationnel et les déclarations à l'emporte-pièce, on voit que Chavez n'a fait que s'inscrire dans une mouvance progressiste sud-américaine.

Sa mort ne changera la donne géopolitique que si son successeur désigné, Maduro, est battu aux élections. Celui-ci semble être moins gouailleur et provocateur que Chavez, ce qui n'est pas forcément un avantage politique dans son pays, mais sa ligne politique sera très proche. Les coups de gueule de Chavez qui suscitaient tant de critiques dans les pays européens ou aux États-Unis sont une des sources de sa popularité dans le contexte latino-américain. Le divorce entre nord et sud est profond, même s'il est parfois gommé par les déclarations diplomatiques. Dilma Rousseff n'est pas vraiment plus proche des États-Unis que ne l'était Chavez, elle ne déploie pas la même rhétorique flamboyante, mais le Brésil sera certainement une plus grosse épine dans les pieds des États-Unis que le Venezuela dont l'économie compte moins. Chavez a mis en scène le divorce entre États-Unis et Amérique du Sud et l'a globalisé par ses talents oratoires et son génie de la provocation, il ne l'a pas inventé.

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