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Ce que Bob Dylan peut nous apprendre de la géopolitique

Il ne faut être ni pro-russe ni pro-américain mais pro-diplomatie, pro-Dylan et pro-Amnesty.
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Une chanson du nouveau prix Nobel de littérature, Bob Dylan, intitulée Masters of War qui date de 1962 fut constamment remastérisée et les vidéos qui l'accompagnent ont, au fil du temps, montré différents maîtres de la guerre.

Ainsi, on peut voir dans une version récente à la fois Nixon et Kissinger mais aussi les tanks à Pékin sur la place Tian'anmen en 1989 qui cherchent à éviter un courageux protestataire, Cheney et Bush mais aussi Hitler, des troupes soviétiques. Dylan dénonce les fauteurs de guerre quelle que soit leur nationalité, c'est une position cohérente dont la validité ne connaît pas de frontières. C'est aussi le choix d'Amnesty International ou de Human Rights Watch, comme de la plupart des ONG : ces organisations dénoncent les violations des droits humains partout dans le monde quel que soit la nature régime, démocratique ou pas, qui viole ces droits.

Les dénonciations de Dylan ou d'Amnesty n'ont pas pour fonction de se donner bonne conscience en dénonçant les crimes ou turpitudes des autres sans aborder les siens propres. Dans la situation internationale actuelle, les accusations de crimes de guerre s'éloignent de la position éthique d'Amnesty ou du Bob Dylan de Masters of War. Les médias occidentaux accusent la Russie de crimes de guerre à Alep, car, en effet, un hôpital a été visé et donc des civils sont les cibles des bombardements aériens. Le New York Times a même publié un article reliant Berlin, Alep et Grozny pour illustrer les stratégies russes de destruction totale. Ce rapprochement pose néanmoins problème car les États-Unis ne se sont pas émus ou plaints en 1945 lorsque l'Armée rouge, alors alliée des pays occidentaux, a détruit Berlin. Au contraire, à l'époque pour lutter contre l'Allemagne nazie et le Japon son allié les Occidentaux n'ont pas hésité à raser Dresde ou à lâcher des bombes atomiques sur Hiroshima ou Nagasaki. Il est clair que les crimes nazis, notamment la Shoah, étaient sans commune mesure, mais ceux commis au Japon par les États-Unis n'en sont pas justifiés pour autant.

La Russie, bien évidemment, rend l'Occident responsable des blocages et se tait sur ses propres crimes. Alors que la France et les États-Unis accusent la Russie de crimes de guerre, ce qui semble justifié, ces deux pays arment l'Arabie saoudite qui commet des crimes de guerre au Yémen et les médias américains et français en parlent beaucoup plus rarement. Il faut souligner que Français et Américains, en armant l'Arabie saoudite sont complices des crimes de Riyad. La dénonciation des crimes russes a donc une fonction de masque immoral pour les crimes dont nous sommes responsables ou dont sont responsables nos alliés.

Dans l'espace public, souligner que les États-Unis ont eux aussi visé des hôpitaux de MSF et sont coutumiers de crimes de guerre au Vietnam mais aussi en Irak, par exemple à Falloujah en 2004, ou répétitivement avec des drones qui tuent des innocents et favorisent le terrorisme conduit à l'accusation d'être pro-russe ou pro-Poutine. La brutalité et la vulgarité de Poutine sont bien connues et il ne s'agit pas ici de les minimiser. Il faut cependant résister au petit jeu manichéen dans lequel toute critique de A est réinterprétée en approbation de B. Comme Dylan ou Amnesty cependant, il convient de ne pas s'aveugler sur ses crimes ou responsabilités dans les crimes de guerre ou interactions politiques qui donnent carte blanche aux Maîtres de la guerre. La liste des pays qui commettent des crimes de guerre ou oppriment leur population est longue. Mais qui met dans cette liste à la fois les Philippines actuelles dirigées par un meurtrier avoué et Israël dont, par exemple le rapport Goldstone montre que les crimes de guerre sont avérés (le rapport accuse également le Hamas), qui mettra dans la même liste l'Indonésie des années 60 et l'URSS, la France de la guerre d'Algérie et la Syrie du boucher Asad ? Les conditions historiques sont différentes mais la propension aux crimes de guerre ou massacres traverse l'histoire humaine.

Les États-Unis et la Russie ont une histoire de guerres et de crimes de guerre assez fournie, comme d'autres pays. La guerre s'accompagne quasiment tout le temps de crimes de guerre, que ce soit en ex-Yougoslavie, en Tchétchénie ou en Argentine et au Chili lorsqu'il s'agit de guerre civile ou de répression. Aujourd'hui, il faudrait une diplomatie renforcée entre Russie et États-Unis pour mettre un terme au carnage syrien, pas des accusations mutuelles, aussi fondées soient elles. Du reste, ceux qui accusent la Russie de crimes sont souvent les mêmes qui blâment Obama pour sa faiblesse supposée en Syrie. Ne pas être faible voudrait, bien sûr, dire intervenir plus fermement ou brutalement contre le régime syrien qui lui même est criminel--ce qui faciliterait les avancées des djihadistes. Les interventions plus fermes des États-Unis en Irak ou en Afghanistan ont, par ailleurs, fait la preuve qu'il n'y avait pas de solution militaire et qu'en sus des crimes de guerre commis les interventions menaient au chaos.

La Libye post-2011 est un cas d'école : lorsque les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont fait preuve de force et de détermination ils ont remplacé une dictature par un chaos propice au terrorisme. Qu'Obama ne veuille pas la répétition de ce qu'il considère maintenant comme une erreur est tout à fait compréhensible. On peut craindre qu'Hillary Clinton soit plus guerrière et interventionniste que lui . La Russie en Afghanistan a subi le même sort que les États-Unis au Vietnam, ce qui était voulu par Brzezinski d'ailleurs. Il est possible que la victoire militaire russe en Syrie conduise à un chaos du même type que celui qui a suivi la victoire militaire américaine en Irak, car contrairement à ce que plastronnait Bush, la mission n'est toujours pas accomplie. Aujourd'hui les Maîtres de la guerre devraient laisser la place aux as de la diplomatie. L'exemple de l'accord sur le nucléaire iranien conclu l'an passé montre que c'est possible. Les crimes de guerre et bavures doivent cesser mais aussi les accusations aveuglantes qui servent à se donner bonne conscience mais pas à mettre fin aux carnages. Il ne faut être ni pro-russe ni pro-américain mais pro-diplomatie, pro-Dylan et pro-Amnesty.

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