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Téléphone intelligent: une addiction aussi insidieuse que celle à la cigarette

J'ai un usage réprimé du portable, sinon j'y passerais tout mon temps. Car c'est une addiction insidieuse, comme l'addiction à la cigarette. L'une peut remplacer l'autre, d'ailleurs.
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Ce témoignage a été initialement publié dans la revue Philosophie Magazine (numéro 73, octobre 2013). Les propos ont été recueillis par Martin Legros, rédacteur en chef.

J'ai un usage réprimé du portable, sinon j'y passerais tout mon temps. Car c'est une addiction insidieuse, comme l'addiction à la cigarette. L'une peut remplacer l'autre, d'ailleurs. Une des nombreuses fois où j'avais décidé d'arrêter de fumer, j'avais remplacé chaque cigarette par une partie d'un jeu électronique, Zooma, sorte de Tetris où il faut éliminer des boules colorées qui tombent de plus en plus vite. À la fin, je passais plusieurs heures par jour à jouer à ce jeu débile, mais très bien conçu en terme de capture de l'attention.

De la même manière que la cigarette se consume seule une fois allumée, on ne peut arrêter la partie une fois qu'elle est lancée, on peut seulement en refaire une, comme on rallume une cigarette... Dans les deux cas, on fait l'expérience d'un temps indépendant de soi. Sauf qu'en fumant, on peut penser à autre chose, alors qu'avec le portable on est happé.

On touche là, à mon avis, à l'une des transformations majeures apportées par le smartphone : il modifie notre rapport à l'ennui, notre capacité de perdre notre temps. Avant, lorsque j'étais en avance à un rendez-vous, je n'avais qu'à attendre que le temps passe. Mon attention était rendue disponible, captée par ce qui se passait autour de moi ou voguant au gré de mes pensées. Aujourd'hui, je sors mon portable. Le portable et Internet ne nous rendent pas bête. Ils nous empêchent de perdre notre temps.

Certes, dans ces temps "morts", je peux décider de ne pas prendre mon portable, de ne pas consulter mes mails. Mais, justement, je dois décider de ne pas le faire : ce qui était involontaire devient volontaire. L'ennui, la rêverie, l'attente, le temps perdu avaient quelque chose d'objectif, ils étaient vécus comme des données irréductibles de la condition humaine. Il faut dorénavant les vouloir pour en faire l'expérience.

Le deuxième changement, de mon point de vue, c'est le fait d'être joignable partout et tout le temps. Cela transforme fondamentalement notre rapport à l'inconnu. Avant, l'angoisse de mes parents quand je sortais le soir et que je ne rentrais pas à l'heure dite, c'était : "où est-il?", "que fait-il?". Ils étaient face à une inconnue, face à l'inconnu de la nuit et à la nuit de l'inconnu. Cela a disparu. Aujourd'hui, si les enfants ne répondent pas, les parents font face à une volonté individuelle, celle de l'enfant de ne pas répondre. Quand, à l'avenir, mes enfants, encore trop jeunes pour sortir le soir et avoir un portable, ne répondront pas, je ne me demanderai pas : "où sont-ils?", mais : "pourquoi est-ce qu'ils ne répondent pas?" La nuit de l'inconnu aura été remplacée par une incertitude psychologique.

Comment envisager l'avenir du portable? D'une certaine façon, je ne m'intéresse pas au futur mais au possible. Et, à mes yeux, le possible le plus curieux passe par les neurosciences. Prenez les recherches sur la "lecture cérébrale". Avec un casque muni d'électroencéphalogrammes sur la tête, un sujet peut "agir" en activant le signal cérébral associé à tel ou tel mouvement. Une expérience de l'Université de Cornell, visible sur YouTube, a mis au point un jeu vidéo de tennis purement "cérébral", sans joystick. Grâce à ce type d'expérience, les paraplégiques pourront bientôt actionner leur fauteuil roulant par la pensée.

Mais qui dit que demain le téléphone portable ne prendra pas la place du casque? Le téléphone se présentera alors comme une oreillette téléphonique branchée sur notre cerveau ou comme une puce implémentée dans notre esprit. Au lieu de taper le numéro de téléphone que vous souhaitez appeler, vous aurez "seulement" à le penser dans votre tête. Pour accéder à vos mails, vous aurez "seulement" à cliquer sur votre "écran mental" grâce au "curseur cérébral" dans "boîte de réception". Reste qu'il faudra sans doute plus d'une génération pour développer la "gymnastique intellectuelle" qui permettra d'utiliser ce téléphone "neuronal" tout en marchant dans la rue.

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