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Révolte à Côte-des-Neiges

On écrit pour dire autre chose que ce qui se dit, construire autrement que ce qui se bâti, réfléchir en rupture de ce qu'on nous prêche.
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Effectuer une recherche sur la toile puis écrire un blogue en terrasse a aujourd'hui la banalité d'y prendre une bière fraîche.

Pourtant...

Je ne suis pas si vieux, mais assez pour me souvenir de cette Côtes-des-neiges quand il ne s'y trouvait aucune terrasse. Sauf peut-être celle de «Chez Vito» (et, à propos, qu'est-il devenu, M.Vito, cet excellent restaurateur ?) qui ressemblait davantage à un solarium. À cette époque, pourtant moderne déjà, «Chez Vito» on ne rédigeait pas de blogues et les écrivains n'y trimbalaient pas leur machine à écrire. Tout au plus certains originaux solitaires griffonnaient-ils, dans les pages cornées d'un calepin qu'ils rangeaient ensuite dans la poche arrière de leurs pantalons, des textes épars en attendant d'être servis.

Maintenant, cette rue de si joli nom m'offre un large choix de terrasses toutes aussi invitantes les unes que les autres. J'y prends place comme à ma table d'écriture à la différence cependant que j'écris au milieu de la multitude et que je jongle en observant la vie qui bat autour de moi tel que je le fais à Paris boulevard Saint-Germain, Saint-Michel, Montparnasse... Cette façon d'être là en même temps qu'ailleurs est un travers dû aux moyens de communication qui foisonnent et ne cessent de se perfectionner jusqu'aux miracles tant tout en est possible et tant ils ont transformé notre manière de voir notre environnement immédiat. Maintenant on voit double, triple, et plus encore. Et je ne parle pas ici d'effets éthyliques : seulement des images multiples d'ailleurs qui nous habitent sans répit. On compare, évalue, estime et juge tout, la tête pleine de comparaisons, car rien ni nulle part ne paraît plus original ou nouveau : Internet nous a tout montré déjà.

Heureusement, il se trouve encore des « originaux solitaires » qui, aux terrasses, en tapant sur des claviers comme autrefois ils écrivaient sur des pages cornées, pratiquent l'art d'écrire. La littérature survit donc, à l'écoute de la rumeur ambiante, réinventant le monde en créant un langage qui le force à réfléchir dans sa course vers une technologie sans âme.

Comme l'a dit Camus, écrire est toujours un geste de révolte. On écrit pour dire autre chose que ce qui se dit, construire autrement que ce qui se bâti, réfléchir en rupture de ce qu'on nous prêche.

Non, ce n'est pas aussi banal que siroter une boisson que de bloguer à une terrasse d'un samedi ensoleillé.

Attention : ce peut même être un peu subversif.

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