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Et je me dis: «non, ce n'est pas vrai, le Canada ne va pas se doter d'un gouvernement sur la base d'un détail aussi insignifiant que l'opposition ou l'approbation du niqab ? » Dans ce cas, pourquoi ne pas voter pour le candidat le plus beau ?
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En ce temps de réflexion sur l'avenir du pays, et alors qu'il faut choisir le parti et son chef qui prendront le pouvoir sur nos vies, la polarisation actuelle sur le niqab est désolante à plusieurs titres. Selon moi, ce qui aurait dû être à peine un incident de parcours montre en définitive que les citoyens sont désabusés à un point tel qu'ils se rabattent sur leurs instincts primaires. Ils n'ont pas confiance que les partis et les candidats qu'on leur présente peuvent régler les enjeux véritables : l'environnement, l'emploi, les inégalités sociales et la paix dans le monde (je ne considère pas l'économie comme un enjeu en soi : elle est plutôt un moyen pour atteindre les autres).

Et je me dis, «non, ce n'est pas vrai, le Canada ne va pas se doter d'un gouvernement sur la base d'un détail aussi insignifiant que l'opposition ou l'approbation du niqab ? » Dans ce cas, pourquoi ne pas voter pour le candidat le plus beau ? Pour celui qui représente le mieux l'image du bon papa ? Ou de la chaleureuse maman ? Pour celui qui nous rassure sur la justesse de nos instincts ? Ou pour le coq le plus batailleur ?

Nous approchons du moment où la surpopulation humaine jumelée à une sur utilisation des ressources débouchera sur une crise planétaire marquée. Les changements climatiques, les mouvements de population, la perte d'habitats terrestres productifs, la dégradation des chaînes alimentaires marines en sont déjà les symptômes. Comment y faire face politiquement ?

Je crois à la démocratie pour y arriver. Et je vais toujours voter. J'ai même eu le courage et l'audace d'être candidat à l'élection fédérale de 2008. Je battais la campagne dans une immense circonscription avec 42 municipalités comptant de 102 à plus de 35 000 habitants. Les portes auxquelles je frappais s'ouvraient souvent sur des gens désabusés et parfois franchement impolis - ces derniers étaient toujours des hommes, en passant. Certains me lançaient agressivement: « Vous êtes tous des pourris. La politique, ça ne sert à rien. Je ne vote pas, il y a des années que je ne vote plus. Ça ne m'intéresse pas ». Mais avant que la porte ne se referme brusquement, j'avançais le pied, sortant de ma poche un petit carnet et un stylo. « Pardon, Monsieur XX, justement, je vais faire quelque chose pour vous. Et tout de suite ! » Je voyais ses yeux dubitatifs se déplacer légèrement vers leurs coins. « Je veux juste confirmer votre nom - j'ai déjà l'adresse ... Voyez-vous, les élections, ça coute cher: les listes électorales, les bulletins de vote, les candidats qui courent à gauche et à droite, et le reste. Puis le jour venu, il n'y a même pas 50% des gens qui se présentent. » À cet instant, il se détendait un peu : je venais un tant soit peu d'approuver sa position. « Et alors ? », me lançait-il. « Je dresse dans ce carnet une liste de ceux qui ne votent jamais. » « Et ça vous donnera quoi ? » « Et bien, pour économiser, on va leur retirer le droit de vote ! » Ça marchait à tout coup. « Comment tabarn... ! M'enlever le droit de vote ? Z'avez pas le droit de faire ça ! Calvaire ... » Mais j'avais déjà retiré mon pied lorsque la porte claquait.

Et pourtant, à bien des époques, personne n'a eu besoin de consulter les citoyens pour que volontairement, massivement, ils bradent leur droit de vote et se vouent à la dictature. Par instinct. Je m'intéresse beaucoup à l'histoire. En fait, je lis presque exclusivement sur ce sujet et sur ceux qui ont fait l'histoire à toutes les époques. Force est de constater que des crises ont frappé la civilisation à de nombreuses reprises depuis l'Égypte et la Chine anciennes. La crise majeure la plus récente est sans contredit celle qui a débouché sur la Seconde Guerre mondiale. Cette guerre a été précédée d'une profonde crise sociale et économique qui a engendré une perte de confiance dans la démocratie comme outil pour régler « les vraies affaires », comme l'on dit de nos jours. Alors, on a réagi instinctivement, on a cherché des boucs émissaires, on a cru en ceux qui tapaient du pied, parlaient fort, et le semblaient tout autant. On a abandonné le pouvoir à des dictateurs. Joseph Staline, Benito Mussolini, les militaristes japonais, et Adolf Hitler.

C'est arrivé, et ça arrivera encore. Mais ça ressemble à quoi une dictature qui s'installe dans un pays auparavant démocratique? Le processus n'est pas toujours le même; il est parfois soudain, parfois amené plus lentement, quoique la plupart du temps accompagné de violence. Au long de mes lectures sur le monde en crise des années 1929 à 1936, je me suis très souvent imaginé comment j'aurais agi à cette époque. Je n'ai pas de peine à m'y voir en ce moment même. Je suis en Allemagne, à Berlin, je déambule de la porte de Brandebourg aux berges de la Spree, et j'observe ce que le citoyen Adolf a fait de la ville et du pays. Il a réussi son pari en faisant appel aux instincts profonds qui sommeillent en nous. Aujourd'hui, son parti et son pays ne font qu'un, et voici comment il les a conquis et les gère :

  • il concentre toute la prise de décision, tout droit de parole sur sa propre personne ;
  • aucune dissension n'est tolérée à l'intérieur de son parti, où sa parole fait office de loi ;
  • il accorde une importance particulière aux communications et son message met à l'avant-plan son parti et son histoire; ainsi, affiches, slogans et messages montrent le seul aspect de la vérité qui est favorable à son parti et à sa vision;
  • paradoxalement, pendant que l'accès à l'information se restreint, le nombre de fonctionnaires dans les services de l'information augmente;
  • il assimile gouvernement et parti ;
  • pour lui, la chose primordiale en politique est la prise du pouvoir. Dans une campagne électorale, il insiste sur ce seul enjeu: notre parti doit prendre le pouvoir et former une majorité ;
  • le style d'une campagne électorale est plus important et plus déterminant que son contenu (ou le programme du parti, qui demeure vague) ;
  • il simplifie le discours politique, qui se résume à l'opposition entre deux visions contraires: le bien ou le mal ; l'économie ou le marasme; nous ou le chaos ;
  • partisan du droit et de l'ordre, il renforce le régime carcéral et les peines imposées aux contrevenants; il propose notamment d'augmenter le nombre de lieux de détention, et, logiquement, le nombre de détenus ;
  • il juge que la torture et les mauvais traitements sont admissibles lorsque le bien commun est en cause ;
  • il favorise le renforcement de la puissance militaire de son pays ;
  • il insiste sur des symboles royalistes rattachés à la gloire d'un impérialisme passé ;
  • en matière de culture, de politique et de droit social, son objectif est de remodeler la société ;
  • il n'a pas besoin de données, de statistiques et d'analyses expertes pour éclairer sa prise de décision; ainsi, là où il en a le pouvoir, il restreint la liberté de parole des experts ;
  • en matière de culture, il s'efforce de limiter la diffusion des œuvres qu'il juge inappropriées ;
  • il fait appel aux instincts de la personnalité humaine, enfouis dans le soi profond et fondés sur une conception du droit naturel soi-disant inné ;
  • il veut restreindre l'immigration en provenance de pays dont la culture n'est pas ajustée à celle de sa nation ;
  • sous sa gouverne, on a établi des contingentements d'emplois dans la fonction publique en fonction de la race ;
  • il est motivé par une idéologie simpliste, teintée d'esprit religieux et d'une plus ou moins forte intolérance à ce qui ne semble pas venu du courant dit « normal » de la moralité et de l'histoire ;
  • il détruit l'image de ses adversaires à coup d'attaques personnelles, plutôt que de procéder à un échange sur les idées; ainsi, il associe à des criminels ceux qui s'opposent à ses politiques ;
  • tôt dans la carrière de son parti, il en a adouci l'image d'extrême droite en formant une alliance avec un parti plus centriste ;
  • il a finalement obtenu le pouvoir après quatre élections nationales qui se sont succédé en quelques années ;
  • pour lui le parlementarisme est une perte de temps, particulièrement lorsque le pays et le monde traversent une période économique difficile ;
  • depuis l'arrivée au pouvoir de son parti, il s'en est pris aux institutions qui protègent la démocratie et l'État de droit.

Je vous en conjure, le 19 octobre, allez voter. Et surtout, au moment décisif, dans l'isoloir, ne mettez pas votre croix dans la case «instinct».

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